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Quand des universitaires protègent un plagiaire - Louise Fessard, "Médiapart", 10 octobre 2011

lundi 10 octobre 2011, par Laurence

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En France, le plagiat de thèse par des universitaires demeure un tabou que les universités s’empressent souvent d’étouffer de peur d’être discréditées. Un exemple de plus en est donné par une affaire de plagiat en droit privé et en santé publique, où les deux universités concernées ont mis huit ans avant d’engager une procédure d’annulation des thèses plagiats.

En mai 2002, Bénédicte B., docteur en droit privé et maître de conférences à l’université de Besançon, découvre le plagiat de sa thèse sur la recherche biomédicale, soutenue en 1996.

Elle constate qu’un certain Edmond Le B., ancien chargé de mission au ministère de la santé, en a recopié des centaines de pages pour alimenter deux thèses en médecine légale, puis en droit privé, soutenues en 1998 à l’université d’Angers et en 2000 à l’université de Lille-2. Ce qui lui a ouvert en 2000 les portes du barreau.

Dès 2003, le professeur Jacques Hardy, sollicité pour expertise par Lille-2 sous sommation du juge d’instruction, livre un constat accablant : « Le B. a très largement pillé la thèse de B. B. »

Pourtant, il faudra attendre la condamnation définitive d’Edmond Le B. à deux ans d’emprisonnement avec sursis et 20.000 euros de dommages et intérêts, en juin 2010, à l’issue d’une procédure devant la Cour de cassation, et sa médiatisation, pour que les universités d’Angers et de Lille-2 se réveillent.

Au printemps 2011, elles décident enfin de réunir des commissions disciplinaires en vue d’annuler les thèses du plagiaire. Edmond Le B. a été radié du barreau dès 2006, soit cinq ans auparavant !

« Évidemment, annuler les thèses en question, cela aurait été oser remettre en cause le directeur et le jury de thèse, qui sont supposés avoir, a minima, lu la thèse, la bibliographie et s’être posé la question du plagiat », ironise Me Sylvain Coat-Rolland, l’avocat de Bénédicte B.

Plusieurs éléments auraient pourtant pu alerter les membres du jury, notamment l’extrême rapidité avec laquelle Edmond Le B. a écrit et soutenu ses thèses (la première en un an, et la seconde en cinq mois), « des passages recopiés sans aucune suite logique » selon l’arrêt de juin 2009 de la Cour d’appel, une bibliographie s’arrêtant brusquement à la lettre L, etc.

Détail important, cette thèse-plagiat en droit a permis à Edmond Le B., qui n’avait jamais fait une année de droit, de devenir avocat en 2000 sans avoir à passer l’examen d’entrée aux centres de formation professionnelle des avocats (dont sont dispensés les docteurs en droit).

« Cette affaire est un cas d’école car elle comporte un véritable enjeu public, à savoir la valeur des titres universitaires et l’accès qu’ils donnent aux professions réglementées, estime Me Sylvain Coat-Rolland. Si demain l’université française ferme les yeux sur des diplômes bidon donnés à de futurs avocats, médecins, etc., c’est tout le système qui s’écroule. »

Un ancien client d’Edmond Le B., qui avait attaqué une clinique de Boulogne-sur-Mer après la mort en 2000 de sa femme et de son enfant lors de l’accouchement, s’est ainsi mordu les doigts d’avoir choisi cet « avocat », se demandant même devant son incompétence « s’il n’était pas de mèche avec la défense ».

« Le 13 septembre 2005, devant la cour d’appel de Douai, la prestation désastreuse de son avocat avait conduit à la relaxe intégrale de l’équipe de la clinique (...) malgré des expertises défavorables », relatait le journal Vingt Minutes en mai 2006.

L’inaction des universités de Lilles-2 et Angers, alertées dès 2002 du plagiat, a donc eu des conséquences dramatiques. Pire, dans un entretien au Monde de novembre 2010, Bénédicte B. dit avoir « subi différentes pressions pour (l’)inciter à renoncer » à déposer plainte pour contrefaçon.

Pressions

En évoquant sa carrière, des universitaires lui ont en effet demandé, à plusieurs reprises et parfois même par écrit, de cesser ses démarches judiciaires pour ne pas salir l’image de l’université et ne pas mettre en cause les directeurs de thèse et membres des jurys du plagiaire.

De son côté, Me Sylvain Coat-Rolland relate « l’intervention d’un bâtonnier de province, qui a tenté de faire pression sur mon cabinet pour que je lâche l’affaire ».

Décrit à l’audience par Me Sylvain Coat-Rolland comme un « docteur en mythomanie », Edmond Le B. refuse encore aujourd’hui d’admettre le plagiat (il prétend, contre toute évidence, que lui et Bénédicte B. ont « travaillé ensemble » et qu’il l’a aidée) et se présente en victime. Sa femme évoque « une plainte orchestrée politiquement par le maire de Ploermeur » (village breton dont sont originaires Edmond Le B. et Bénédicte B.).

« Je tiens à peine debout, explique Edmond Le B. à Mediapart. J’ai été traité comme un chien, on a cassé toute ma vie sociale et on a meurtri ma famille. »

L’homme semblait pourtant disposer de puissants soutiens dans le petit monde du droit de la santé. Également lésées par le plagiat, « Les Études hospitalières », qui avaient publié en 2001 la thèse de Bénédicte B., ne se sont curieusement pas portées partie civile à son côté.

« C’était une des premières thèses que nous éditions, nous avons essayé de trouver une médiation, puis nous n’avons pas souhaité poursuivre, car nous sommes une petite maison d’édition, nous avions d’autres chats à fouetter et pas vraiment d’intérêt financier à nous porter partie civile, explique aujourd’hui Sébastien Clément, directeur des Études hospitalières. C’était une erreur, que nous avons depuis corrigée, de ne pas avoir soutenu notre auteur. »

A l’époque, le directeur de la collection en question (Thèses), le professeur Gérard Mémeteau, qui a admis devant la juge d’instruction « la réalité du pillage », a même tout fait pour obtenir de la maître de conférence une solution transactionnelle, qui ne mette pas en péril la carrière du plagiaire et lui conserve le bénéfice de ses thèses copiées-collées.

« Il lui semblait que la plaignante va trop loin dans sa volonté de vengeance (sic) », note le tribunal de grande instance dans son jugement du 19 juin 2008.

« Les universités françaises ne font rien, souvent par peur de jeter un discrédit sur le département concerné », nous expliquait déjà en octobre 2010 Michelle Bergada, professeur de marketing et communication à l’université de Genève, qui a créé un site consacré au plagiat universitaire.

Tentative de « blanchiment »

Pire, dans ce cas précis, des avocats et des universitaires ont même cherché à conforter l’assise du plagiaire, en organisant des colloques de droit médical où il intervenait en tant que spécialiste parmi de grands noms servant de caution.

De 2001 à 2005, Edmond Le B. présida ainsi, lors du salon annuel du Conseil national des avocats, une « journée droit et santé ».

« C’est Edmond Le B. qui a fait venir des têtes d’affiche du monde médical et de la justice », se souvient Me Thierry Cahn, qui organisait à l’époque le salon de l’avocat et du droit, et avait sollicité ce « spécialiste du droit médical ».

« Ça s’est très bien passé, il y avait toujours des représentants de la chancellerie, de grands professeurs de médecine, des avocats reconnus : c’est bien la preuve qu’Edmond Le B. était compétent et reconnu comme tel », conclut l’avocat de Colmar.

Des journées organisées en partenariat avec... les Etudes hospitalières, éditeur de Bénédicte B., pourtant mis au courant et convaincu du plagiat dès le printemps 2002. « Il fallait des sponsors, Edmond Le B. a ramené les Études hospitalières, car il avait des liens avec eux », explique aujourd’hui Me Thierry Cahn.

Plus curieux encore, fin 2002, le frère du directeur des Etudes hospitalières, Cyril Clément, maître de conférences à Paris-8, devient l’avocat d’Edmond Le B.

Cyril Clément a fait ses études et a été nommé maître de conférences dans le département de droit de la santé de l’université Paris-8 où enseignait son père, Jean-Marie Clément, fondateur des Éditions hospitalières et ancien de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas).

Comme par miracle, en novembre 2002, Edmond Le B. atterrit dans cette même formation en droit de la santé et y soutient en 2003 un mémoire de DEA. « C’est une tentative de blanchiment du plagiaire, à qui on refait passer un diplôme », estime Jean-Noël Darde, spécialiste du plagiat et maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à Paris-8, qui le premier s’est intéressé à ces drôles de coïncidences.

Après avoir alerté en vain la ministre de l’enseignement supérieur en avril 2011, Jean-Noël Darde estime aujourd’hui l’affaire « si grave pour les universitaires » qu’il demande l’intervention de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR).

Dans cette histoire, ce sont pourtant des spécialistes de l’éthique qui sont à la manœuvre. Le directeur de thèse d’Edmond Le B. à Lille-2 est directeur de l’Institut du droit et de l’éthique de cette même université ; le président de son jury de thèse est l’auteur d’un ouvrage sur « la déontologie de l’avocat » ; enfin le directeur de la collection Thèses des Études hospitalières est, quant à lui, spécialiste de la bioéthique..