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"M. Peillon n’exclut pas « un allègement d’horaires au lycée »", Un entretien du Monde avec Vincent Peillon, en charge du dossier de l’enseignement dans l’équipe de François Hollande sur le blog collectif de l’équipe éducation du Monde ("Peut mieux faire"), 21 novembre 2011
lundi 21 novembre 2011
Si l’entretien concerne essentiellement l’enseignement primaire et secondaire, V. Peillon dit quelques mots sur les projets du candidat concernant l’enseignement supérieur.
A lire sur le site du Monde
Chargé par François Hollande d’un immense secteur allant de la maternelle à l’université, englobant la jeunesse, la formation professionnelle et la recherche, Vincent Peillon est l’un des hommes forts de la campagne du candidat socialiste à l’élection présidentielle. Il dévoile au Monde le détail du programme esquissé samedi 19 novembre à Strasbourg par M.Hollande.
(Ceci est une version longue de l’entretien paru dans Le Monde daté du 22 novembre 2011)
Vous avez entre les mains un des dossiers majeurs de la campagne 2012. Comment l’abordez-vous ?
La République française s’est construite autour de et par son école. Lorsque l’école est affaiblie, c’est la République qui est atteinte. Mais, inversement, lorsque la République est méprisée, c’est l’école qui est attaquée, maltraitée. C’est là que nous en sommes. Pour nous, pour François Hollande, nous devons à la fois résoudre la "crise de l’avenir" qui mine la société française et opérer la refondation républicaine nécessaire à un moment où, on l’a vu, les plus hautes instances de l’Etat s’interrogent sur l’identité de la nation, et ce faisant s’égarent.
D’un côté, la mauvaise santé de l’école entraine une vive inquiétude pour le reste du pays. De l’autre, la nation ne cesse de demander toujours plus à son école. Nous devons lui redonner une mission claire et des objectifs. C’est la raison pour laquelle l’école est prioritaire dans notre projet. François Hollande souhaite, il l’a redit samedi, passer un nouveau contrat entre l’école et la nation : "refonder l’école de la République, pour refonder la République par l’école". C’est une belle ambition.
Vous avez une approche très quantitative du sujet avec la re-création, annoncée par François Hollande, de 60 000 postes.
Pas du tout. Nous souhaitons au contraire opérer de grandes réformes, pour permettre une réussite individuelle et collective. Lutte contre les effets des inégalités sociales sur les parcours scolaires, réformes des temps scolaires, des approches pédagogiques, du métier d’enseignant... Pas dans les mots : dans les actes. Pas pour habiller de nouvelles régressions et préparer de nouveaux échecs. La droite dit : reconquête du temps scolaire. Et elle-même crée le désordre en instaurant la semaine de quatre jours, en accroissant encore l’absurdité de nos rythmes scolaires. Le président dit : il faut mettre en place une formation des enseignants. Il vient de la supprimer. Il faut lutter contre l’échec scolaire : et il pénalise l’accueil des jeunes enfants en maternelle et appauvrit les zones d’éducation prioritaires où se concentrent les difficultés, les échecs, alors que toutes les études montrent que c’est là, dans les premières années et les zones reléguées, qu’il faut mettre le paquet.
Si vous voulez rétablir une formation, initiale et continue, accueillir les jeunes enfants, lutter, dès le CP, massivement contre l’échec scolaire lié aux difficultés sur les apprentissages fondamentaux, permettre des pédagogies plus différenciées, il faut s’en donner les moyens. Ces moyens qui ont été détruits par la droite ! Ce ne sont pas les moyens ou la réforme : c’est les moyens pour la réforme.
Pensez-vous réellement que la France a pris conscience de l’état de son école ?
Oui, et les français sont mobilisés pour l’avenir de leurs enfants. Notre situation n’était pas très bonne déjà il y a dix ans : toutes les études, internationales et nationales, montrent qu’elle a empiré depuis 10 ans, que le nombre d’élèves en grande difficulté s’accroît et que le décrochage s’accélère. Les français le savent, parce qu’ils le vivent. L’école, pour la droite, c’est un coût ; pour nous c’est un investissement. L’enjeu est considérable, car l’école c’est beaucoup plus que l’école : c’est la France de demain. L’oeuvre de redressement à laquelle nous appelle François Hollande va trouver là à s’exercer.
Vous avez beaucoup de priorités, mais quelles sont vos urgences absolues ?
Nous avons trois sujets primordiaux : la réussite de tous les élèves pendant la scolarité obligatoire, en particulier dans les zones qui relèvent de l’éducation prioritaire, le temps scolaire et le métier d’enseignant.
La droite s’occupe déjà du temps scolaire, non ?
La droite a réduit à 140 le nombre de jours de classe, contre une moyenne européenne à 180. Pour autant, nous avons les heures-années souvent les plus lourdes pour les élèves. D’où des journées surchargées. Il faut de nouveau réformer. Néanmoins, ce sujet est essentiel car c’est par cette entrée que nous aborderons l’aide individualisée, les programmes, les méthodes.
Vous mettez l’accent sur l’enseignement primaire ?
Oui, plus largement en travaillant sur une meilleure continuité des apprentissages tout au long de la scolarité obligatoire et en n’oubliant pas que l’école maternelle a été particulièrement maltraitée ces dernières années. Il faut se redonner les moyens de remonter à plus de 30 % le taux de scolarisation des enfants entre 2 et 3 ans : il était à 34 % il y a dix ans, il est à 13 % aujourd’hui. C’est un des nombreux exemples du saccage de notre école par les gouvernements successifs de la droite. Il nous faut reconstruire : cela nous coûtera effectivement quelques milliers de postes, mais cela répondra aux besoins des enfants de milieux les plus défavorisés. Mais cela ne permettra pas de réduire massivement les 15 % de non lecteurs à la sortie du primaire… Cela y contribuera. Notre école primaire est aujourd’hui celle où le taux d’encadrement est le plus faible des pays de l’OCDE. Il y a là un effort spécifique à faire, en particulier sur le CP. Les élèves en difficulté à la fin du CP sont les mêmes qui se retrouvent en difficultés à tous les autres niveaux, et ces difficultés ne font que s’accroître, pour les élèves, comme pour le système global, qui chute d’année en année dans les classements. Or ici comme ailleurs, la prévention vaut mieux que la remédiation. C’est moins coûteux, et c’est plus efficace.
C’est aussi une des approches du programme du PS que vous reprenez à votre compte ?
Avec Bruno Julliard, qui va continuer à piloter, à mes côtés, le dossier de l’enseignement scolaire, nous avons toujours travaillé en totale confiance et harmonie. Il a une grande connaissance des dossiers, et il a su gagner l’estime des uns et des autres. Nous allons continuer.
Vous nous parlez du primaire, pas de l’école du socle, une école que fréquenteraient tous les jeunes jusqu’à 16 ans ?
Le problème des transitions est déterminant : entre le primaire et le collège, entre le collège et le lycée, entre le lycée et l’université. Je suis favorable à tous les renforcements de la continuité scolaire, et en particulier à cette école du socle commun. Et je suis opposé à toutes les atteintes au collège unique, atteintes qui se profilent avec des tentatives de spécialisation prématurée. Mais la question, posée déjà à l’époque du plan Langevin-Wallon, de savoir si le collège est un petit lycée ou un primaire supérieur n’a jamais été suffisamment traitée. Des évolutions doivent avoir lieu, progressives et maîtrisées. Nous allons en débattre.
Vous prenez ces moyens sur les re-créations de 60 000 postes ou vous vous attaquez au lycée qui est très gourmand en moyens ?
Je vous ai dit que les dépenses d’éducation dans le primaire sont nettement plus faibles que pour la moyenne des pays développés. Inversement, par exemple, le coût d’un lycéen est plus élevé. Est-ce juste et efficace ? Je ne le crois pas, et d’abord pour nos lycéens qui ont, dans notre pays, des journées de cours tellement chargées que nous n’avons plus de temps disponible pour les aider, au sein du lycée, à effectuer leur travail personnel. Nous renvoyons cette tâche aux familles avec toutes les inégalités de nature sociale que cela engendre. Il doit y avoir des moyens restitués, c’est acquis, mais on peut aussi envisager des redéploiements. Il n’y a pas de tabou, dès lors que la finalité est l’amélioration de la performance éducative de notre système, et non une "attaque", pour employer votre vocabulaire, contre lui.
Et les enseignants, vous réformez leur métier qui à ce jour n’est défini que par l’obligation d’assurer des cours, alors qu’ils font bien d’autres choses ?
Mais nous ouvrirons aussi le chantier du métier d’enseignant. Nous vivons une crise du recrutement sans précédent. Les conditions de travail sont devenues plus difficiles, les rémunérations n’ont pas évolué, les pouvoirs publics ont méprisé et abandonné comme jamais les enseignants. François Hollande ne croit pas, lui, que ce soit ridicule d’enseigner La Princesse de Clèves ou que le prêtre ou le pasteur soient plus compétents que le professeur pour enseigner le sens de la vie. Il va donc falloir envisager une revalorisation matérielle et morale du métier d’enseignant. Mais en même temps il faudra faire évoluer la définition du métier, de ses tâches, de ses obligations, des services. C’est la feuille de route que m’a donné François Hollande, avec une double exigence : le seul critère, c’est l’amélioration de la réussite pour tous les élèves, et la seule méthode c’est, à partir d’objectifs clairs assumés par le politique, la concertation et la négociation.
Exactement ce que fait la droite avec ses heures supplémentaires et son travailler plus pour gagner plus ?
Pardonnez-moi, exactement l’inverse. Travailler plus, pourquoi ? Travailler mieux et différemment. Les heures supplémentaires, elles ont surtout profité à une petite catégorie d’enseignants, souvent déjà les moins en difficultés, en particulier dans les classes préparatoires. Non, il s’agit de reconnaître les missions qui sont accomplies, missions nécessaires, mais aujourd’hui non reconnues - la grande majorité des enseignants effectue déjà de nombreuses heures de présence dans les établissements en dehors des heures de cours - et donc peu ordonnées, peu encouragées : il s’agit donc de faire évoluer le métier. Les enseignants y sont prêts, dès lors qu’ils ont la garantie qu’il ne s’agit pas, une fois de plus, d’organiser une régression mais d’améliorer en profondeur un système éducatif qui doit l’être en les associant pleinement. Vouloir réformer l’éducation contre les enseignants est une absurdité. Ni cogestion ni provocation, ce sont les conditions de la réussite. A la demande de François Hollande, je rencontrerais avant le 15 décembre, avec ceux qui m’entourent, l’ensemble des acteurs de l’éducation, organisations syndicales, associations de parents d’élèves, grandes associations périéducatives, et François Hollande les recevra au début de l’année 2012.
La carte scolaire… la gauche ne peut pas rester muette sur ce sujet !
Ce qui a été fait depuis 2007 a accru les inégalités. Il semble que le ministre veuille persévérer dans ses erreurs. Nous ne resterons pas muets. L’avenir de la France ne peut être la ghettoisation et la ségrégation communautaire, sociale, territoriale. Ce sujet est pour nous central.
L’enseignement professionnel fera-t-il aussi partie de vos priorités ?
Absolument. Cela concerne plus d’un million de lycéens en formation professionnelle. Ceux dont on ne parle jamais. Une réforme est en cours. Laissons la se poursuivre. Mais François Hollande a déjà clairement dit qu’il n’accepterait pas que l’enseignement professionnel soit considéré comme un sous-produit de l’enseignement général, qu’on lui laisse concentrer beaucoup des difficultés. La France, pour la ré-industrialisation de demain, a besoin d’une élite productive, d’une excellence professionnelle reconnue et encouragée. Mais cela nous conduit déjà jusqu’aux premiers cycles du supérieur.
Vous êtes aussi en charge du supérieur. Quelle sera votre action sur l’enseignement supérieur ?
Nous nous attaquerons en priorité à réformer le 1er cycle, où les taux d’échec sont insupportables pour la nation. C’est un immense gâchis. Nous avons aussi à prendre vigoureusement en main quelques questions lourdes qui concernent la condition étudiante. Pensez aux difficultés de logement ou de santé, qui sont devenues très préoccupantes aujourd’hui.
Et la loi LRU, loi d’autonomie des universités, vous revenez dessus ?
Nous la réformerons. Le principe de l’autonomie est bon, nous le garderons, mais nous nous attacherons à créer une gouvernance plus démocratique et à résoudre le paradoxe qui conduit à faire que plus d’autonomie pour les universités, c’est moins d’autonomie pour les chercheurs et les enseignants. Il y a un problème de lisibilité du système. On a empilé les structures, ce qui conduit à harasser les chercheurs en multipliant les tutelles et les guichets. On a organisé des concurrences plutôt que des complémentarités et des solidarités.
Et vous persistez sur votre idée que notre système dual universités-grandes écoles doit évoluer ?
Oui, et c’est une idée qui a fait son chemin. Tant mieux. Il y a deux choses inacceptables pour la République : un élève de classe préparatoire côute deux fois plus cher à la nation qu’un étudiant de l’université, alors même qu’il vient d’un milieu plus favorisé, tendance d’ailleurs qui s’accroît. C’est une redistribution à l’envers, une discrimination positive où on donne plus à ce qui ont plus ! A l’université, les élèves issus de l’enseignement professionnel ou technologique, qui n’accèdent plus aux IUT, qui viennent de milieux plus modestes, sont en échec presque total. Voilà ce à quoi il faut remédier, avec des objectifs clairs, une vision de long terme, une volonté ferme. Le chemin ne sera pas de séparer davantage, non pas non plus de mettre en cause nos excellences, mais de rapprocher, de diffuser et de partager cette excellence. Nous en avons bien besoin si nous voulons retrouver le chemin de la croissance qui est aussi celui de la justice.
Propos recueillis par Maryline Baumard et Nathalie Brafman