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"Les scientifiques font barrage à la réorganisation du CNRS"
par Pierre Le Hir, "Le Monde" du 19 juin 2008
jeudi 19 juin 2008, par
La réforme du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ne devrait pas avoir
lieu. Du moins pas tout de suite. L’association Sauvons la recherche (SLR) et les
syndicats de chercheurs ont décidé d’empêcher la tenue du conseil d’administration
prévu, jeudi 19 juin, au siège parisien de l’organisme. A son ordre du jour : la
transformation du CNRS en holding d’instituts, mesure annoncée dans Le Monde du 21 mai
par la ministre de la recherche, Valérie Pécresse.
Ce découpage est perçu par beaucoup comme l’amorce d’un démantèlement du premier
établissement de recherche français. Plagiant l’Appel du 18 juin, Bertrand Monthubert,
président de SLR, exhorte les chercheurs à la "résistance" contre "une avalanche de
réformes non concertées qui signent la mort définitive du service public d’enseignement
supérieur et de recherche". Des blocages et manifestations étaient prévus, jeudi, en
province, notamment à Lyon, où Mme Pécresse devait effectuer un déplacement.
SLR a déjà prévenu que, "si la restructuration du CNRS devait être décidée le 19 juin ou
effectuée à la sauvette cet été", une grève administrative "[serait] déclenchée
immédiatement" et "[paralyserait] le système". [Jeudi à la mi-journée, le conseil
d’administration CNRS était reporté sine die face à la mobilisation des chercheurs].
Les organisations de chercheurs ne sont pas seules à monter au créneau. Les présidents
des conseils scientifiques des départements du CNRS ont, ensemble, lancé une "mise en
garde" très inhabituelle à ce niveau de responsabilités : "Dans tous les pays développés
qui sont nos partenaires, les rapports des autorités politiques avec les organismes de
recherche reposent sur le principe de leur autonomie", soulignent-ils, en avertissant
que toute restructuration ne préservant pas "le caractère interdisciplinaire essentiel
au CNRS" serait "massivement rejetée".
De leur côté, plus de 300 médaillés du CNRS, dont quatre Médailles d’or, demandent, dans
un manifeste intitulé "Fiers mais très inquiets", le "maintien d’un CNRS national et
généraliste, mettant en œuvre de façon autonome une politique cohérente, qui favorise
l’interdisciplinarité et les projets à long terme".
Des directeurs d’unités de recherche "non organisés", n’appartenant pas tous au CNRS, se
sont, pour leur part, réunis à Paris, mercredi 18 juin, pour réclamer "le maintien du
périmètre du CNRS avec toutes les disciplines". Dernier camouflet pour la ministre : le
conseil scientifique du CNRS a refusé de voter son projet de réforme.
Mme Pécresse a décidé de passer outre. Cette réorganisation a été décidée avec l’Elysée
et Matignon, précise-t-elle, même si certains y voient une façon de prendre de court
ceux qui, dans les cercles les plus radicaux, prônent la disparition pure et simple du
CNRS. "L’organisme reste entier, son périmètre est inchangé, ses personnels conservent
leur statut. Mais il doit s’ouvrir et être plus coopératif, au moment où l’ensemble du
système de recherche évolue", argumente la ministre.
"L’OBJECTIF DU GOUVERNEMENT EST DE PILOTER À SA GUISE LE CNRS"
Celle-ci a pourtant revu sa copie. Une première mouture prévoyait de remplacer six des
huit départements scientifiques du CNRS par des instituts nationaux (mathématiques,
physique, chimie, sciences de l’ingénieur, sciences humaines et sociales, écologie et
biodiversité) assurant, chacun dans son domaine, une "coordination nationale". Deux
départements, les sciences de la vie et l’informatique, ne changeaient pas de statut.
Mme Pécresse a finalement accepté que les huit départements se transforment en
instituts. Mais certains seulement auront vocation à devenir nationaux, le CNRS devant
"démontrer sa légitimité à être coordonnateur d’une politique nationale" dans ces
disciplines. Ce qui laisse planer une menace sur le sort des sciences de la vie et de
l’informatique.
"Va-t-on créer des sous-chercheurs au CNRS ?", s’interroge Gilles Boëtsch, président du
conseil scientifique de l’organisme, en ajoutant : "Si toutes les disciplines ne sont
pas logées à la même enseigne, dans un institut national, il sera impossible de
travailler ensemble et de faire vivre l’interdisciplinarité. Ce sera l’explosion du CNRS."
L’inquiétude est particulièrement vive pour la biologie, qui représente près du quart
des effectifs du CNRS, avec des recherches très fondamentales. Autre point d’achoppement
: les directeurs des instituts nationaux seront nommés par le ministère. "L’objectif du
gouvernement est clair : c’est de piloter à sa guise le CNRS", dénonce Jacques Fossey,
membre du bureau du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS-FSU) et
administrateur du CNRS.
A quoi faut-il s’attendre ? Vraisemblablement à la convocation, dans les prochaines
semaines, d’un nouveau conseil d’administration. Le gouvernement pourrait profiter de la
période estivale pour pousser sa réforme. Mais, veulent espérer les chercheurs, la
présidence de l’Union européenne par la France pourrait aussi le dissuader d’entrer dans
un conflit ouvert. La bataille du CNRS est loin d’être terminée.
Pierre Le Hir