Accueil > Revue de presse > "D’Athènes à Shanghai. De Shanghai à Athènes. La France transforme son système (...)
"D’Athènes à Shanghai. De Shanghai à Athènes. La France transforme son système de recherche"
par Elise Cannuel, "Frankfurter Allgemeine Zeitung (17 juin 2008)
jeudi 19 juin 2008, par
Pour les germanophones, un article en doc joint sur le CNRS et les universités françaises.
Et sa traduction, par Anne Saada :
"Récemment, on a assisté dans les rues parisiennes au défilé de l’« Academic Pride ». À la différence de manifestations antérieures, celle-ci n’était pas haute en couleurs. Chercheurs en blouse blanche et universitaires de toutes disciplines ont déambulé dans la capitale en distribuant des livres aux passants. La cause était grave : l’avenir des institutions de recherche et d’enseignement. En 2004, les chercheurs et les enseignants avaient protesté contre la diminution du budget et du nombre de postes. Grâce à une pétition citoyenne signée par 60°000 personnes contre la démission de plus de 1000 directeurs de laboratoire, ils avaient obtenu le recul du gouvernement conservateur. Aujourd’hui, le centre de recherche extra-universitaire le plus important du monde, le CNRS, est visé. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, entend réformer cet institut interdisciplinaire – qui disposait jusque là d’un budget conséquent aux dépens des sciences humaines et sociales ainsi que des sciences de la vie.
Déjà avant que les négociations prévues ne commencent, Madame Pécresse avait confié à la presse les réformes du CNRS souhaitées par Sarkozy. La division de l’organisme de recherche en 6 instituts est prévue : mathématiques, physique, chimie, sciences de l’ingénieur, écologie et biodiversité, sciences humaines et sociales où il faut préciser que ces dernières se réduiront à l’archéologie et l’anthropologie. Toutes les autres disciplines des sciences humaines et sociales que le CNRS couvrait jusqu’à présent, lui seront enlevées.
En outre, les sciences de la vie seront rattachées à l’INSERM – l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale , ce qui donne à penser. L’Inserm en effet qui se tourne toujours davantage vers la recherche appliquée plutôt que vers la recherche fondamentale, va être lui-même réorganisé en fonction de types maladies. S’il s’agit ainsi de travailler pour l’industrie pharmaceutique, c’est tout l’avenir de la recherche fondamentale en biologie qui se retrouve sur la sellette. La directrice/le directeur des six instituts ne sera plus choisi par un collège, mais nommé par le gouvernement. Les chercheurs français résistent et se mobilisent contre ce décloisonnement des sciences et la tutelle souhaitée par le gouvernement.
D’après la célèbre « Ranking-Liste » établie par l’université Jiao Tong de Shanghai, les universités françaises sont encore moins bien classées que les universités allemandes. Pour que la France remonte dans les classements, la Ministre Valérie Pécresse souhaite regrouper des universités et des centres de recherche afin d’en faire des pôles de recherche qui soient visibles sur la scène internationale, y compris du point de vue de Shanghai. Pour cette raison, les nouveaux instituts du CNRS devraient être rattachés aux universités.
Ainsi se pose en France comme en Allemagne la question centrale des relations entre la recherche et l’enseignement. Les professeurs devraient faire de la recherche et les chercheurs de l’enseignement, même s’ils ne le peuvent ou ne le veulent pas forcément. Mais les conditions en France et en Allemagne sont très différentes. Six universités dont les projets ont été jugés particulièrement convaincants ont été choisies pour recevoir 5 millions d’euros dans le cadre de l’« opération campus ». Mais l’argent n’est pas destiné aux laboratoires universitaires : il servira surtout à la rénovation des bâtiments et à la construction de logements pour les étudiants. Les universités, sous financées depuis des décennies, sont dans un état tel qu’elles devront d’abord veiller à rattraper les négligences de l’État. L’initiative « opération campus » ne donnera lieu par conséquent à aucune université d’excellence.
Concernant la réforme des instituts, la ministre Valérie Pécresse s’est inspirée du Président Nicolas Sarkozy qui déjà pendant sa campagne s’exprimait ainsi à propos de la recherche et de l’université : « Chacun peut, s’il le souhaite, faire une thèse sur la littérature grecque ancienne, mais ce n’est pas à l’État d’en assurer le financement. » En janvier dernier, il dénonçait devant le prix Nobel Albert Fert « tous ceux qui croient que la recherche fondamentale s’ennoblit en refusant de s’appliquer », et voyait dans le travail de Fert la preuve que le sens de la recherche réside d’abord dans son application technique. Albert Fert tenta de nuancer ce propos en soulignant que le progrès technologique s’enracine dans la recherche fondamentale. En revanche, si l’on en croit le Président, Fert n’est redevable de ses découvertes qu’à la firme d’armement et d’électronique Thalès qui a été impliqué dans ses recherches. L’éloge prononcé par Sarkozy en l’honneur du prix Nobel s’est révélé aujourd’hui poser les premiers jalons d’un discours programmatique dans lequel les chercheurs ont raison de reconnaître l’annonce du démantèlement de leur institut.
Le gouvernement français veut aujourd’hui fusionner deux institutions longtemps négligées, les universités et les centres de recherche – tous deux devraient bientôt être autofinancés. Les universités en effet devraient obtenir d’ici quelques mois l’autonomie et se financer en grande partie par des fonds privés via des fondations universitaires créées par elles-mêmes. La recherche devrait aussi être sponsorisée par des financements privés, comme les sociétés d’assurance et les consortiums du secteur énergétique. On fait même entrevoir aux doctorants qu’ils devront financer dorénavant leur thèse de cette façon.
L’État veut en retour prendre en charge des financements ponctuels, de courte durée et sur des projets déterminés. La question « quel consortium va fournir du capital à la littérature grecque ancienne » reste encore ouverte. Ce n’est pas la recherche en soi qui intéresse Sarkozy et son gouvernement, mais son influence et son applicabilité pour l’industrie et l’économie. Les chercheurs doivent remplir de façon efficace des contrats dans des domaines stratégiques comme l’aéronautique et l’énergie atomique afin de rendre la France plus compétitive. Comme si le savoir n’avait aucune valeur en soi."
Elise Cannuel