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La face cachée de l’autonomie des facs - L. Mouloud, L’Humanité, 6 janvier 2012
samedi 7 janvier 2012, par
Depuis le 1er janvier, la quasi-totalité des universités sont « autonomes ». Loin d’être le succès tant vanté par le chef de l’État et l’UMP, la LRU nuit gravement à la santé des petits et moyens établissements. Exemple à l’université de Pau.
C’est étonnant comme les universitaires, aux confins du Béarn, ne partagent pas l’enthousiasme de Nicolas Sarkozy… « La loi sur l’autonomie ? Vous ne trouverez personne ici qui s’en réjouisse », lâche un enseignant. Loin de l’autocongratulation gouvernementale, l’université de Pau et des pays de l’Adour (Uppa), avec ses 11 400 étudiants, n’en finit plus de tirer le triste bilan de la loi relative aux « libertés et responsabilités des universités » (LRU).
Cette vaste réforme, votée en 2007 et appliquée depuis le 1er janvier dans la quasi-totalité des universités, fait la fierté de l’UMP. Gouvernance resserrée autour du président d’université, transfert de la masse salariale, nouveau management… À entendre le parti présidentiel, c’est l’une des « grandes réussites » du quinquennat, qui a « libéré la créativité et l’initiative ». Seulement voilà. À l’université de Pau, passée à l’autonomie en 2010, on n’a rien vu de cela.
Pour cet établissement de taille moyenne, comme pour d’autres, la LRU est devenue synonyme de déboire budgétaire, de dégradation des conditions de travail et de perte de sens. À l’image d’une demi-douzaine d’universités, l’Uppa présentera, jeudi, un budget en déficit. Deux millions d’euros manquent à l’appel. Auxquels s’ajoutent deux millions de l’année précédente. Et l’incertitude règne partout.
« Dès la fin de l’été, il est apparu que notre établissement allait connaître des difficultés financières », explique Jean-Louis Gout, le président de l’université. En cause, l’État, qui a transféré les compétences mais pas les moyens suffisants. Ainsi les dotations ont-elles « oublié » de prendre en compte, par exemple, la hausse de la masse salariale liée à l’ancienneté et aux évolutions de carrière des personnels (manque à gagner de 850 000 euros), ou encore une aide sur le transport local (près de 400 000 euros).
Vers une université à deux vitesses
Dans le même temps, les charges pesant sur l’université augmentent. Dans le cadre du « plan licence », les facs comme Pau sont censées augmenter le nombre d’heures de cours. Elles doivent également assurer la formation des enseignants, en lieu et place des IUFM. « Tout cela demande des moyens supplémentaires qui ne sont pas là », souligne Abdellah Saboni, secrétaire du Snesup-FSU.
Au final, pour faire face à son déficit, l’université de Pau ne possède que trois variables d’ajustement : les salaires, les emplois et les frais d’inscription. Trois leviers que, pour le moment, elle se refuse à actionner. Mais déjà, l’offre de formations a souffert cette année. « Les premières années en sciences n’ont plus de cours d’anglais ; en droit, il n’y a plus que trois groupes de TD contre huit auparavant… » énumère Julien Pinquet, responsable de SUD étudiant. La moitié des 450 personnels Biatoss (administratifs, technique) sont des contrats précaires. Et l’ambiance se dégrade. « On travaille plus intensément à moyens constants, souligne Antoine Meylan, du Snasub-FSU. Le nouveau management accentue la tension. On a plus de demandes de changement de service et même une tentative de suicide dans un labo. »
Figure syndicale de l’université et membre du Snesup, Jean Ortiz n’est pas dupe du petit jeu du gouvernement. « Il se flatte de ne pas avoir appliqué la RGPP à l’université, mais dans les faits, il a transféré la pénurie sur les établissements et c’est à eux de la gérer. Le gouvernement veut nous étouffer financièrement et nous pousser vers des partenariats privés. »
Beaucoup, à Pau, parlent ainsi d’une « fausse autonomie » et redoutent la dévaluation de leur établissement, coincé entre les « grands pôles d’excellence » de Toulouse et de Bordeaux. L’Uppa possède 36 % d’étudiants boursiers, offre des logements abordables, comparé aux grandes métropoles, et présente de très bons résultats, avec notamment l’un des meilleurs taux de réussite au Capes. Et pourtant, Pau n’a pas vu la couleur du « plan campus », alors que Bordeaux doit toucher à ce titre pas moins d’un milliard d’euros…
« C’est une politique volontairement inégalitaire qui vise à consolider les pôles les plus rentables pour l’économie, estime Jean Ortiz. Leur but est de faire une université à deux vitesses : des petites, comme nous, limitées à la formation bac +3 et les pôles d’excellence pour ceux qui auront les moyens d’y aller. C’est ni plus ni moins que de la ségrégation sociale. »
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Ainsi que l’éditorial et l’entretien avec Marine Roussillon