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« Mon salaire horaire est moins élevé qu’à McDo, mais je m’éclate » – Portrait de chercheur (1/3), Blog du Monde Montpellier, Jonathan Parienté , 3 février 2012

vendredi 3 février 2012, par Sylvie

Sur le site du Monde

"J’aurais été bien mieux payée si j’étais restée aux États-Unis, mais faire de la recherche en France a des avantages." Naomi Taylor est médecin et dirige un groupe de recherches sur le système immunitaire au CNRS de Montpellier. Américaine, elle est arrivée en France en 1996. Il y a six ans, on lui a proposé un pont d’or pour diriger une équipe outre-Atlantique. Elle a refusé.

Si elle est restée en France, c’est pour profiter de "l’extraordinaire solidarité" qui règne au sein de l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier (IGMM), créé il y a une vingtaine d’années. Ici, explique-t-elle avec enthousiasme, les scientifiques sont heureux de travailler ensemble, de tendre vers un même but, d’œuvrer sans relâche pour parvenir à leurs fins. Un monde idéal ? Non. "Depuis que j’ai décidé de rester, les conditions ne cessent de se dégrader. Les choses deviennent si dures qu’il va finir par être difficile de rester solidaires", déplore-t-elle dans un français parfait.

La quinzaine de personnes de son groupe travaillent dans des locaux exigus. A droite les paillasses, à gauche la partie bureau où certains finissent leur déjeuner. Ici, il n’y a presque que des femmes. D’où le dessin sur la porte d’entrée, de chromosomes XY barrés qui caractérisent le mâle sous l’inscription "no testosterone laboratory"... Un exemple parmi d’autres de l’humour potache qui s’affiche sur les murs des labos de France et de Navarre.

Dans le groupe de Naomi Taylor, les chercheurs viennent d’un peu partout, de Turquie, du Portugal, de Pologne, du Brésil, d’Italie ; ils ont terminé ou terminent leurs études ici, dans un laboratoire réputé. Quand on lui demande ce qu’elle pense de la "circulaire Guéant" qui complique l’embauche d’étudiants étrangers, elle semble atterrée : "C’est catastrophique. Personne ici ne vous dira le contraire." Ce n’est pas Philippe Jeanteur, fondateur de l’IGMM, qui la contredit. "C’est suicidaire. La science est par nature internationale", assure-t-il.

Faute de moyens, on travaille à l’étroit et avec le minimum : "Il y a des bac +15 qui perdent un temps précieux à nettoyer les salles de culture", tant le personnel dédié manque, regrette Naomi Taylor. Les dotations publiques s’amenuisent d’année en année. Vaste histoire. Pour pallier le manque de financement, les chercheurs, tous les chercheurs, se tournent vers d’autres sources. Ce sont les associations qui permettent à Naomi Taylor et à son équipe de financer leurs travaux. Autrement dit, sans la générosité - "énorme, hallucinante" - des Français, elle ne pourrait pas mener à bien ses recherches.

On sent bien, à l’entendre, que le fait que ces associations comblent le vide laissé par l’Etat est un palliatif fragile. Des associations récoltent des fonds pour le sida ou le cancer. Son domaine de recherche est lié à ces maladies donc elle peut en bénéficier de ces fonds. "On peut taper à beaucoup de portes", résume-t-elle.

Mais quid du reste ? De ce dont on ne parle jamais ? De la recherche fondamentale ? C’est là que le bât blesse. L’argent manque considérablement alors que ces recherches "apportent énormément à la science" même si peu de gens s’en aperçoivent. Pour Jean-Marie Blanchard, qui a dirigé l’IGMM, les pouvoirs publics ont fait une erreur majeure en souhaitant programmer la recherche scientifique : "une recherche programmée est un oxymore ! Bien conduite, une recherche donnera toujours des résultats. Mais une découverte, ça ne se prévoit pas !"

Lundi 30 janvier, Naomi Taylor faisait la "une" du Midi libre. "Montpellier ouvre une voie pour traiter le sida", titrait le quotidien régional. Rien que ça ! Elle tempère : "J’ai fait des découvertes plus importantes dont on a beaucoup moins parlé. Les travaux que l’on vient de publier ouvrent une nouvelle piste, mais ce n’est pas une découverte exceptionnelle car on est loin d’avoir un traitement." Elle est un peu inquiète des espoirs que cela pourrait donner aux malades et à leur famille. Philippe Jeanteur, abonde, racontant qu’il a été contacté par des personnes voulant bénéficier d’un traitement après qu’une de ses découvertes a été relatée dans la presse. "On a besoin d’être modestes", conclut Naomi Taylor.

Après un moment de discussion, Naomi Taylor s’arrête et réfléchit un instant. "On est en train d’être très négatifs, là. Mais je garde à l’esprit que j’ai la chance de pouvoir réfléchir toute la journée à ce qui me passionne. Personne ne me dit ce que je dois faire. Vu le nombre d’heures travaillées, mon salaire horaire est moins élevé qu’à McDo, mais je m’éclate."