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La réforme de la formation des enseignants passe en urgence, Lucie Delaporte, Médiapart, 16 février 2012
jeudi 16 février 2012, par
Alors que la session parlementaire est sur le point de se clore, l’Assemblée nationale a donc adopté mercredi 15 février, en urgence, la proposition de loi Grosperrin sur la formation des enseignants. Présentée comme une simple « réponse technique » à l’annulation fin novembre par le Conseil d’Etat de l’arrêté relatif à la masterisation, la proposition de loi vient en réalité sauver in extremis une réforme aujourd’hui unanimement décriée pour avoir réduit à néant la formation des profs.
Le Conseil d’Etat, qui avait en novembre dernier motivé sa décision par le fait que le ministère était passé en force sur ce dossier, commettant rien de moins qu’un « abus de pouvoir », avait également suspendu l’exécution de sa décision à la tenue de réelles concertations.
« Depuis, aucune discussion n’a été entamée entre le ministère et nous sur ce sujet », affirme aujourd’hui Daniel Robin, secrétaire général du Snes. Ouvrir des discussions avec les organisations syndicales et les différentes instances représentatives quand la réforme est condamnée de toutes parts, et ce à quelques mois de l’élection présidentielle ? Le gouvernement n’y était évidemment pas prêt. Graver la masterisation dans le marbre de la loi, deux ans après son entrée en vigueur, permet de couper l’herbe sous le pied du Conseil d’Etat. Et si cela ne règle rien sur le fond – de l’avis des députés UMP eux-mêmes, cette réforme est entièrement à revoir –, il y avait manifestement urgence à sortir de cet imbroglio juridique.
Pour le rapporteur Jacques Grosperrin mais aussi le ministre Laurent Wauquiez, interpellé lors de l’audition du 8 février, le texte présenté à l’Assemblée avait simplement pour but d’« apporter un minimum de sécurité juridique » aux enseignants-stagiaires, placés de fait dans une situation ubuesque. Mais l’argument invoqué de la sécurisation juridique pourrait tout aussi bien concerner, en priorité, le gouvernement lui-même et à travers lui l’Etat. Depuis l’arrêté du Conseil d’Etat, les procédures devant le tribunal administratif se sont en effet multipliées à l’initiative du Snes pour réclamer une indemnisation des stagiaires qui ont subi « le double préjudice d’être privés de formation mais aussi d’avoir travaillé dix heures hebdomadaire en plus sans rémunération » (l’année de stage étant supprimée), affirme Daniel Robin. Selon le Snes, ce sont plusieurs centaines de dossiers qui seront prochainement portés devant le tribunal.
Une procédure qui ne laisse aucune place à la concertation
Il y avait donc, sur ce front là aussi, urgence. Déposé le 10 janvier dernier, le texte, pour lequel le gouvernement a décidé de recourir à la procédure accélérée, a été inscrit à l’ordre du jour d’une semaine réservée à l’initiative gouvernementale. Par ce choix, le débat que le gouvernement voulait à tout prix éviter avec les syndicats sur ce dossier miné n’aura pas non plus eu lieu sur les bancs de l’Assemblée. En commission, l’examen du projet de loi n’aura pas pris plus d’une heure, au grand dam des députés de l’opposition. « Pourquoi recourir à la procédure accélérée, qui ne laisse pas la moindre place à la plus élémentaire concertation ? », s’est ainsi interrogée Martine Faure, députée PS de Gironde, membre de la commission des affaires culturelles.
« Parce que ce texte, a-t-elle poursuivi, a été dicté par le ministère de l’éducation nationale et parce que sans la procédure accélérée, une proposition de loi déposée le 10 janvier n’aurait pas pu être examinée avant le 21 février, ce qui, faute de temps pour la navette, aurait empêché son adoption. Je regrette vraiment que notre collègue Jacques Grosperrin se prête à cette tartufferie. » Pour la députée communiste Marie-Hélène Amiable, qui siège également dans la commission, il s’agissait aussi d’éviter « la délibération en conseil des ministres, l’avis du Conseil d’État, la réalisation d’une étude d’impact ». Autant de risques de « mauvaise publicité » pour la réforme.
Devant le tollé provoqué par la première mouture du projet de loi Grosperrin qui laissait penser que la formation des enseignants pouvait être en partie confiée à des prestataires privés, un amendement est venu rectifier le tir – sans lever toutes les ambiguïtés. La référence aux IUFM pour la formation des maîtres, dans l’article L. 625-1 du code de l’éducation, est bel et bien supprimée au profit des « établissements d’enseignement supérieur, notamment les universités ». Autre concession par rapport au texte initial, le rapporteur Jacques Grosperrin a accepté de remplacer le « référentiel » sur la formation des enseignants, jugé bien trop flou, par le « cahier des charges » qui offre un cadre bien plus strict.
« La logique commandait un texte de réforme »
Malgré ces amendements, la réprobation contre ce passage en force est unanime. Pour l’Unsa éducation, cette proposition « ne témoigne que de la rage idéologique à éradiquer toute réelle formation professionnelle au métier d’enseignant » puisqu’« il s’agit d’enterrer, avant inventaire, la moindre trace des IUFM sous un ultime passage de rouleau compresseur ».
Le très sévère rapport de la Cour des comptes sur la masterisation, rendu public la semaine dernière, est venu souligner l’urgence d’une refonte complète de la formation des enseignants.
Ce branle-bas de combat pour sauver cette réforme plombée n’a pas été du goût de tous les députés UMP. En commission, les critiques les plus dures ont d’ailleurs été portées par René Couanau, qui a quitté l’UMP il y a quelques mois : « Tout le monde le dit : l’urgence est de revoir la formation initiale et continue des enseignants. Vous parlez dans votre rapport, a-t-il lancé au député Grosperrin, de masters problématiques, d’une professionnalisation insuffisante, voire inexistante, de stages virtuels, de parcours de formation incohérents : la logique commandait un texte de réforme. »
Mais il faudra donc, pour l’instant, se contenter d’une rustine législative sur une réforme qui a déjà pris l’eau de toutes parts.