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Discours de F. Hollande au biopôle de Nancy sur l’enseignement supérieur et la recherche, 5 mars 2012
lundi 5 mars 2012
Pour lire ce discours sur le site de campagne du candidat du PS.
Seul le prononcé fait foi
Mesdames, messieurs,
J’ai choisi de faire de la jeunesse la priorité de mon projet pour la France. Je veux mobiliser toute la nation autour de cette volonté. Je sais qu’elle y est prête, toutes générations confondues, toutes professions aussi, et j’ai la conviction que cette volonté peut unir même au-delà des clivages politiques.
Pourquoi ?
Parce que c’est une cause juste, et une idée forte : parce que le problème majeur de la France est bien celui de la préparation de son avenir, et du traitement que nous accordons à la génération qui vient.
C’est ce défi de l’avenir que je vous propose de relever ensemble. C’est cette volonté que je vous demande de partager et de mettre en œuvre. Elle peut nous permettre, individuellement et collectivement, de nous dépasser. C’est la grande tâche du prochain quinquennat.
Où en sommes-nous ?
L’état des lieux n’est pas bon. Ce n’est pas un phénomène récent. Mais les choses se sont aggravées.
J’entends que le candidat sortant se félicite d’avoir donné la priorité à l’enseignement supérieur et à la recherche.
Si c’était le cas, je serais le premier à m’en féliciter tant je considère que sur ces sujets d’intérêt national nous devrions être capables de dépasser toutes les postures partisanes.
Mais ce n’est pas la réalité.
Pour ce qui concerne la recherche :
En dix ans, en intensité de recherche nous sommes passés de la 4ème à la 15ème place des pays de l’OCDE. Pour un pays qui ne cesse de parler d’excellence, ce n’est pas concluant !
La recherche publique civile, contrairement à ce qui peut se dire, est en forte baisse : les organismes de recherche, l’Agence nationale de la recherche elle-même voient leurs crédits baisser dans des proportions importantes. Pour cette année, 12% de baisse pour le CNRS et 15% de baisse pour l’ANR.
La recherche privée, malgré l’explosion du Crédit impôt recherche, multiplié par cinq en cinq ans, stagne en euros constants.
La situation des jeunes chercheurs est un révélateur puissant de la gravité de cette crise. Leur situation ne cesse de se dégrader : débouchés privés insuffisants, création d’emplois scientifiques publics en baisse, disparité, faiblesse et insuffisance des financements de thèse.
Si notre nombre de thèses ne baisse pas, c’est en raison de l’apport des étudiants étrangers.
Ils représentent 40% des doctorants. On a vu comment ils ont été traités. C’est pourquoi, je le redis, nous abrogerons définitivement le circulaire "Guéant". Si cela est nécessaire, nous légiférerons sur les conditions d’accueil, de séjour et de première insertion professionnelle des étudiants et des chercheurs étrangers pour sortir de l’insécurité juridique, financière, sociale et professionnelle où ils se trouvent aujourd’hui trop souvent.
Les universités maintenant :
Pour un grand nombre, elles sont asphyxiées financièrement. Certaines sont même sous tutelle. Pourquoi ? Nicolas Sarkozy avait promis, en 2007, une augmentation de 800 millions par an pour la recherche et d’un milliard par an pour que les universités puissent faire face à leurs nouvelles obligations et au progrès de la démographie étudiante. En 2012, le budget n’a augmenté que de 373 millions d’euros. La dotation de fonctionnement des universités a augmenté de 46 millions d’euros, c’est-à-dire moins que l’inflation. Les Présidents d’Université eux-mêmes ont récemment sonné l’alarme. L’augmentation des charges n’a été ni prévue ni compensée par l’Etat. Le résultat, nous le connaissons : quelques universités déjà sous tutelle, d’autres en grandes difficultés, le gel de nombreux postes.
Nous avons devant nous des besoins majeurs pour ce qui concerne l’immobilier universitaire. Le plan Campus, avec le mauvais choix des Partenariats public privé, a budgété les intérêts de 5 milliards d’euros. Il faut mettre ces sommes en regard des 6 milliards du plan Université 2000 et des 7,6 milliards du plan université 3 millénaire. C’est une véritable bombe à retardement que nous laisse ici la mauvaise gestion de la droite, commandée par les effets d’annonce.
Quant aux étudiants :
Près de 50 % des étudiants sont en échec dans les premiers cycles universitaires et 90 % pour ceux issus des bacs professionnels. Le Plan licence a été lui-même épinglé par la cour des comptes quant "aux conditions hâtives dans lesquelles les crédits ont été alloués" et aux "modalités sommaires qui ont présidé au suivi de leur emploi".
Les conditions de vie des étudiants ne cessent de se dégrader : alors que près de 20% n’ont pas de complémentaire santé et que plus d’un tiers renonce à se soigner, le gouvernement décide le doublement de la taxe sur les complémentaires, y compris étudiantes. Les étudiants sont de plus en plus, contraints de travailler parallèlement à leurs études, leur précarité augmente, les inégalités entre eux s’accroissent.
J’entends le président sortant se féliciter du bilan de son gouvernement et proposer en modèle l’action conduite dans les universités et la recherche. C’est dire leur lucidité, et c’est dire leur ambition pour l’avenir. Si le modèle de la réussite c’est cela, qu’est-ce que serait l’échec ?
Je veux aujourd’hui vous dire mon projet pour l’Enseignement supérieur et la recherche.
Je fixe au pays trois priorités :
Le premier objectif concerne la réussite des étudiants et la réforme des premiers cycles.
Je décrète la mobilisation générale pour les premiers cycles universitaires.
Une des premières causes de l’échec, c’est l’absence d’orientation positive et sérieuse. Je veux la création d’un service public de l’orientation territorialisé. Ce service devra être unifié du secondaire au supérieur. Dans les universités, nous donnerons aux bureaux d’insertion professionnelle de vraies compétences et des moyens. Les régions sont prêtes à s’engager à nos côtés pour relever ce défi. Il est essentiel. Je veux que ces bureaux aient pour mission de permettre un rapprochement entre le monde de l’université et celui du travail. Ils devront avoir pour objectif d’offrir à tout étudiant une expérience dans le monde du travail à l’intérieur de son cursus de licence et de préparer à l’insertion professionnelle.
La réussite des étudiants suppose que l’on renforce l’encadrement et que l’on développe des pédagogies adaptées. J’affecterai 5000 des 60000 postes prévus pour l’éducation nationale à un plan de recrutement et de résorption de la précarité, et je demanderai que ces postes soient affectés prioritairement au premier cycle. J’ouvrirai une réflexion et une concertation sur le statut des Professeurs agrégés du supérieur.
Je veux que soit valorisé nettement, dans les carrières des enseignants-chercheurs, les tâches et l’implication pédagogiques. Des bonifications des dotations de l’Etat aux universités seront accordées à celles qui feront preuve d’initiatives innovantes et efficaces pour assurer la réussite des étudiants. Des accompagnements personnalisés, sous forme de tutorat, devront être institués, et les doctorants mobilisés à cet effet.
Par ailleurs, nous instaurerons des spécialisations plus progressives dans le parcours de licence, et nous organiserons les passerelles entre les différentes formations du supérieur. La première année sera revue en priorité car c’est à son niveau que se joue l’essentiel des décrochages. Je ferai réserver aux lycéens des enseignements professionnels et technologiques des places dans les STS et les IUT.
Dans le même temps, nous savons que les étudiants issus de milieux modestes travaillent de plus en plus pour financer leurs études, et malheureusement il existe une corrélation étroite entre ce travail, qui s’allonge en termes de durée hebdomadaire, et l’échec. La condition étudiante, problèmes de soins, de logements, de revenus, se dégrade.
C’est pourquoi cette réforme pédagogique doit s’accompagner d’un plan national pour la vie étudiante :
Un programme de 40 000 nouveaux logements étudiants sur cinq ans, sera lancé auquel s’ajouteront les logements sociaux auxquels les étudiants devront avoir accès.
Je propose le renforcement et la simplification du système de caution solidaire de telle sorte qu’il soit efficace.
J’ouvrirai une concertation pour l’extension du chèque santé que certains départements ont déjà mis en place.
Je proposerai la création d’une allocation d’études supérieures et de formation sous condition de ressources, dont la montée en puissance devra conduire, par la remise à plat des aides existantes, à construire un parcours d’autonomie permettant aux étudiants issus de milieux modestes de se consacrer à leurs études dans le cadre d’un contrat de réussite qui les engagera.
De même, j’ouvrirai des pré-recrutements, en particulier pour ceux qui se destineront aux carrières de l’enseignement à travers les Ecoles supérieures du Professorat et de l’éducation que nous créeront dans le cadre des Universités.
Restaurer la confiance avec les enseignants-chercheurs et les chercheurs.
Je ne veux pas de faux-débat. Je ne veux pas de faux-procès, de fausses divisions au sein des universités. Je veux surmonter les dissensions et les oppositions créées au sein du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche par une mise en concurrence généralisée des territoires, des universités, des enseignants-chercheurs.
La loi LRU devra être réformée. Nous la remplacerons par une loi-cadre, et nous ferons précéder cette loi d’Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche pour que le dialogue, l’écoute, le respect, la considération retrouvent leur droit.
Il ne s’agit pas de revenir sur le principe d’autonomie. C’est un principe porté par la gauche depuis longtemps. Il s’agit de revenir sur la façon dont elle a été mise en œuvre. Nous savons dans quelle direction il nous faut avancer : celle d’une gouvernance plus collégiale et plus démocratique, qui permette le respect des libertés académiques, et celle de financements qui ne conduisent pas à accroître les disparités, à rogner sur les enseignements, à placer certaines universités sous tutelle.
Le principe de compensation devra être respecté : à transfert de charges, transfert de moyens. Il s’agit de donner les moyens à l’Université autonome, ancrée sur son territoire, d’élaborer sa politique scientifique et sa stratégie par la mise en cohérence des différents partenaires : écoles, organismes de recherche, acteurs socio-économiques, sur la base de contrats d’objectifs et de moyens négociés.
Il va nous falloir aussi simplifier le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche devenu illisible par l’accumulation de nouvelles structures. Les chercheurs doivent se consacrer à leurs recherches plutôt qu’à rechercher des financements.
Les organismes nationaux retrouveront un rôle de pilotage scientifique national et d’appui à la recherche conduite dans les universités.
Nous réaffirmerons la place de l’unité mixte de recherche comme élément structurant de la recherche universitaire, en rééquilibrant les soutiens de base, les crédits récurrents, et les crédits sur projets. Il faut que les équipes puissent se projeter sur le moyen et long terme.
Cela conduira à recentrer les missions de l’Agence nationale de la recherche sur les priorités nationales, les projets émergents et les projets interdisciplinaires. Les grands organismes doivent être associés, définir les priorités, effectuer la programmation et retrouver des moyens.
De même je reviendrai sur l’évaluation, et donc sur le fonctionnement de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, trop complexe, trop opaque.
Il appartiendra à la concertation de proposer, à partir des Comités nationaux et du Conseil national des Universités, de redéfinir le rôle et les méthodes de cette agence.
Quant aux investissements d’avenir, ils ont aggravé les disparités et les déséquilibres. Il ne peut s’agir de remettre en cause le travail considérable accompli par les équipes, ni de renier la parole de l’Etat. Mais nous devrons corriger ces inégalités territoriales et veiller à ce que ne se constituent pas des déserts universitaires et scientifiques. Une logique de coopération devra se substituer à une logique de compétition.
La question de la recherche privée doit également nous préoccuper. Le Crédit Impôt Recherche (CIR) a triplé depuis 2007, les dépenses de recherches des entreprises ont stagné, et trop d’effets d’aubaine ont joué pour les grandes entreprises. Le rapport Carrez, député UMP, a montré que bénéficiant pour 80% désormais aux grands groupes. Le caractère incitatif du CIR a diminué. Nous réformerons le CIR en le recentrant sur les entreprises qui en font le meilleur usage. La contractualisation avec des laboratoires publics fera partie des objectifs que nous nous fixerons, pour encourager la collaboration du privé et du public, faciliter les transferts, l’innovation, la valorisation. Je veux favoriser la recherche fondamentale, la grande sacrifiée de ces dernières années : elle doit trouver enfin des ressources nouvelles importantes. De même, nous renforcerons l’incitation à embaucher des docteurs dans l’assiette du CIR.
La troisième priorité que je fixe au pays concerne la place des chercheurs
Vous comprendrez que je m’attarde particulièrement sur la situation des doctorants et des docteurs. Nous donnerons au doctorat des garanties nationales, scientifiques et sociales. Le doctorat doit rester un diplôme national et unique ; la place des écoles doctorales doit être réaffirmée et confortée ; mais surtout nous devons nous fixer comme objectif que tout doctorant doit avoir une thèse financée avec un contrat de travail, donc une protection sociale, et que cela doit compter pour ses annuités de retraite. C’est un objectif à long terme. Une réflexion sera conduite pour examiner de quelle façon, dans le contrat doctoral, peut être inclus une charge pédagogique d’enseignement ou de tutorat qui contribuera à la réforme en profondeur des premiers cycles. La mobilisation générale dont nous avons besoin doit s’appuyer sur des logiques de coopération et de solidarité. Des bonifications doivent être envisagées pour les Universités qui augmentent leur nombre de contrats doctoraux.
Mais la question des débouchés pour nos docteurs reste très préoccupante.
Nous devons faire reconnaître le doctorat dans les conditions d’accès aux concours de la fonction publique, qu’elle soit d’Etat ou territoriale.
De la même façon, pour ce qui concerne le secteur privé, nous inciterons les partenaires sociaux à la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives, au moins à sa valorisation dans les branches. Le principe en est acquis, mais la mise en œuvre ne s’est pas faite.
Enfin, dans la réforme du Crédit impôt recherche, nous accentuerons la prise en compte du recrutement des docteurs comme condition.
Mesdames, Messieurs,
Voilà les grands axes de la politique que je propose de conduire, si je suis élu, pour redonner à l’enseignement supérieur toute sa place et aux jeunes étudiants et aux jeunes chercheurs confiance dans leur vocation et leur mission.
Mes priorités sont claires : refondation des premiers cycles universitaires, amélioration de la condition étudiante ; simplification et démocratisation de la gouvernance de la recherche et des universités ; actions fortes et concrètes en direction des doctorants et des jeunes docteurs.
Je sais que d’autres actions seront nécessaires, et je pense en particulier aux revalorisations des carrières des jeunes chercheurs comme à celle, trop différée, des personnels biatos. Des propositions seront faites selon les moyens budgétaires dont nous disposerons.
Cette politique qui assume ses priorités, sera utile pour les universités, pour la recherche, pour notre jeunesse. Mais elle sera utile pour tout le pays.
Je veux rendre hommage aux chercheurs. Les Français ne se trompent pas sur la considération et l’encouragement que doivent trouver auprès des pouvoirs publics celles et ceux qui ont choisi de se consacrer à la production et à la transmission des connaissances et à l’amélioration de notre vie.
Mesdames, Messieurs,
Je crois au progrès scientifique.
Nous devons bâtir une société où démocratie et connaissance s’enrichissent mutuellement.
Une société où le savoir, l’intelligence, la culture jouent, dans la Cité, tout leur rôle.
C’est cette idée de la France et de la République que je porte dans cette élection.
Vous pouvez compter sur moi.
Je vous remercie pour votre attention.