Accueil > Revue de presse > Abus de pouvoir : les dérives de la gouvernance des universités depuis la (...)
Abus de pouvoir : les dérives de la gouvernance des universités depuis la LRU, Tribune d’enseignants-chercheurs de l’Université de Paris VIII, Le Monde, 14 mai 2012
jeudi 17 mai 2012
A lire sur le site du Monde
Vendredi 11 mai après-midi l’université Paris VIII a connu des événements qui sont la parfaite illustration des dérapages auxquels peuvent conduire les pouvoirs excessifs accordés à un président d’université depuis la LRU.
De quoi s’agit -il ?
Du refus par l’intersyndicale des enseignants-chercheurs et BIATOS de voir voter les statuts du futur Pôle de Recherche et Enseignement Supérieur (PRES, qui associe dans un premier temps Paris VIII et Paris X) sans qu’ait eu lieu un débat sérieux et constructif sachant que la très grande majorité des enseignants-chercheurs est favorable à cette création.
L’annonce de ce PRES a été faite pendant la première semaine des vacances de printemps, au lendemain des élections des nouveaux conseils, et juste avant 11 jours de fermeture pour congés jusqu’au 2 mai.
Le vote de ses statuts a été annoncé pour le 11 mai. En cinq semaines (en réalité dix jours puisque l’université a pleinement repris toutes ses activités le 2 mai, interrompues à nouveau le 8 mai) devait donc être bouclé le projet le plus important pour le devenir de l’université.
Malgré les alertes de certains membres du CA, du CS et du CEVU et de quelques autres enseignants-chercheurs et administratifs sur les risques de rejet que faisait courir cette précipitation inexplicable (aucun des arguments présentés n’étant démontré) le président, Pascal Binczak, a maintenu son calendrier alors que :
les élections des nouveaux conseils ayant eu lieu les 10 et 11 avril, les conseils sortants ne sont plus totalement légitimes pour engager le devenir de l’université même s’ils en ont légalement le droit ;
Le mandat du président s’achève le 11 juin ;
la candidate déclarée pour lui succéder n’a jamais pris publiquement la parole sur ce sujet puisqu’aux yeux du président elle n’a aucune légitimité à le faire ;
aucun décret ministériel ne peut créer très rapidement ce PRES puisqu’ aucun décret ne peut plus être signé par le gouvernement Fillon démissionnaire et que le nouveau ministère de l’éducation nationale et/ou de la recherche n’est pas encore nommé et on peut supposer que la signature du décret du PRES ne sera pas sa priorité.
dans l’histoire des PRES aucun d’entre eux n’a été mis sur pied en moins de deux mois compte tenu des enjeux qu’il représente et de son caractère politique et non technique quoi qu’affirme le président de Paris 8, pourtant professeur agrégé de droit.
les élections du corps A, celui des professeurs, ont été annulées par la Commission de Contrôles de l’Organisation des Élections et n’auront de nouveau lieu que les 5 et 6 juin ;
le président nouvellement élu de Paris X donnait un peu de temps à l’intersyndicale pour amender le projet et que l’intersyndicale de Paris VIII n’en demandait pas plus.
Rien n’y fit parce que "le président le veut" pour mettre à son bilan le PRES ? Pour faire la nique à Paris 13 qui a snobé Paris 8 pour constituer un PRES ? Pour en être le futur président avec un siège à Paris ?
Aussi pour empêcher le vote des statuts du PRES (celui de la convention du principe de sa création ayant été voté par Paris VIII et Paris X à une large majorité) l’intersyndicale (BIATOS et Enseignants-chercheurs) et des étudiants ont décidé d’occuper le CA pour imposer un débat. Compte tenu du contexte, l’accepter ne pouvait conduire à un vote le jour même, il aurait été raisonnable de repousser ce vote et d’engager le vrai débat.
Ce fut la stratégie de l’affrontement et du passage en force qui fut choisie au nom de la légalité et de la volonté du président d’aboutir à ses fins.
Comme le président déclarait la séance levée, les opposants ont bloqué les sorties de la salle. S’en est suivie une violente bousculade due à la charge d’un vigile pour débloquer une des deux sorties, le président en a profité pour filer protégé par deux autres vigiles. Puis ce fut l’appel aux forces de police pour le "libérer" alors qu’il s’était lui même réfugié et enfermé dans le poste sécurité. Ajoutons aussi la présence du préfet de Seine-Saint-Denis nommé il y a peu par Nicolas Sarkozy pour mettre de l’ordre dans le département. Leur présence dans l’université n’a évidemment fait qu’accroître la tension.
Le CA s’est ensuite réuni à nouveau en comité restreint, soit les cinq membres encore physiquement présents et l’usage des votes par procurations. Ce petit comité a donc siégé en toute illégalité puisque ce CA n’avait pas été convoqué légalement, la séance du début de l’après midi ayant été levée et non suspendue comme le président l’affirme désormais. Ainsi, le vote des statuts du PRES fut acquis illégitimement et scandaleusement. Faire voter les statuts protégés par un peloton de policiers, est indigne et inexcusable ; on ne peut s’empêcher de se demander jusqu’où peut aller ce type de comportement ni d’avoir un sentiment de honte que ceci puisse se passer sur notre campus.
Si la violence politique a fini par se manifester ouvertement ce n’est pas un accident, mais l’aboutissement d’une gestion politique qui n’a cessé d’attiser l’agressivité par ses méthodes autoritaires, peu démocratiques, masquant souvent ses intentions réelles, pratiquant trop souvent le non-dit ou le double discours.
Cet exemple prouve une fois de plus qu’il est urgent de restreindre le champ des pouvoirs des présidents d’université par un contrôle démocratique et l’instauration de véritables contre-pouvoirs, seuls moyens de préserver l’université des abus de pouvoirs. Le nouveau gouvernement serait bien inspiré de rétablir dans la gouvernance des universités une collégialité qui, sans être parfaite, permettait au moins de limiter ce type de dérives autocratiques qui ne peuvent que nuire à la qualité des enseignements et de la recherche.
Enseignants-chercheurs de Paris VIII [1] : Béatrice Giblin, Jean Paul Olive, Éric Lecerf, Barbara Loyer, Patricia Hennion-Jacquet, Anne-Marie Autissier, Frédérick Douzet, Jaime Lopez Krahe, Sophie Molinier, Mireille Azzoug, Pierre-Olivier Chaumet, Virginie Sumpf, Julie Perrin, Jean-Henri Roger, Olga Moll, Antonia Birnbaum, Jean Méhat, Philippe Subra, Cécile Sorin, Philippe Nys, Roberto Barbanti, Gilles Bernard, Antoine Da Lage, Ghislain Deleplace, Joël Augros, Mariannick Dagois, Catherine Perret, Christine Roquet, Soko Phay-Vakalis, Cécile Bourdais, Remi Hess, Vincent Godard, Ben Ali Chérif, Claire Fagnart, Nicolas Jouandeau, Daniel Lepage, J-J Bourdin, Charles Arden, Lucile Eschapasse, Maurice Courtois, Serge Le Péron.
[1] Enseignants-chercheurs et enseignants
Autres signataires au 15 mai : Lucette Colin, Dominique Willoughby, Pierre Gervais, Manuela de Barros, Sabine Bouckaert, Dominique Villain, Eric Canobbio, Jean-Philippe Antoine, Guillaume Loizillon, Paul-Louis Rinuy, Isabelle Launay, Hasan Elmas, Makis Solomos, Ninon Grangé, Alain Raoust, Charles Soulié, Patrice Peveri, Jean Paul Civeyrac, Jean-Louis Le Grand, Alain Quemin, Martine Poupon-Buffière, Francine Demichel, Patrick Vauday, Pascal Froissard, Françoise Py, Geneviève Schwoebel, Sophie Jeusseaume, Maren Köpp, Dominique Archambault, Guy Fihman, Sylviane Pagès, Claudine Eizykman, François Jeune, Sophie Jehel, Christine Poitevin. (note de SLU)