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Sauver la licence, Martin Andler, blog de J.-F. Méla, 27 mai 2012
mardi 29 mai 2012
Martin Andler est mathématicien, professeur à l’Université de Versailles St-Quentin.
Lutter contre l’échec en licence était une priorité affirmée du candidat François Hollande. Et qui pourrait être contre la volonté de mettre fin au gâchis que représentent ces masses d’étudiants commençant des licences universitaires et qui se découragent, renoncent, ou échouent aux examens ? Mais ce problème, dont Hollande n’est certes pas le premier à se saisir, sans être un faux problème, ne serait pas bien analysé si on se limitait à le poser en termes d’organisation pédagogique ou de condition de vie des étudiants. Car il est avant tout lié à un problème d’orientation.
On a souvent une représentation fausse de la place des licences. Il y aurait une filière d’élite, concernant un faible nombre de bacheliers : les classes préparatoires aux grandes écoles et quelques écoles recrutant directement au niveau du baccalauréat, comme l’IEP de Paris. Les autres étudiants titulaires du baccalauréat général iraient en majorité à l’université, et les bacheliers technologiques se concentreraient dans les filières courtes (IUT, STS) leur permettant une insertion professionnelle sûre et rapide. Comme on le verra, cette image est fausse ; les filières universitaires des facultés des lettres, et encore plus des facultés des sciences, n’attirent qu’une minorité des étudiants qui commencent leurs études supérieures, et ce nombre diminue, au point qu’on peut sérieusement se poser la question de leur survie à court ou moyen terme, ou alors d’une véritable marginalisation/ghettoïsation/spécialisation dans un enseignement supérieur de masse dévalorisé.
La dévaluation des licences est paradoxale car les licences ne fonctionnent pas si mal que cela, bien mieux que la réputation qu’elles ont. Les étudiants qui y réussissent, et ils sont la majorité, se voient ouvrir des perspectives intéressantes. Il y a par ailleurs de nombreuses raisons de vouloir maintenir un enseignement universitaire généraliste de qualité dans notre pays :
Il est sain qu’à l’instar de la totalité des pays avancés, une part significative de chaque classe d’âge reçoive un enseignement, dispensé par des chercheurs, et portant sur les grands champs du savoir, de la philosophie à la biologie, quelles que soient les professions qu’ils exerceront plus tard.
Les cursus universitaires peuvent être une voie efficace de promotion pour les jeunes issus de milieux modestes.
C’est dans ce contexte que la nouvelle ministre de l’enseignement supérieur devrait situer son action.
Dans cet article, nous nous proposons de faire une analyse approfondie de la situation : statistiques sur les choix étudiants, mécanismes de l’orientation, image des filières universitaires.
I. STATISTIQUES : LES FAITS
Il y a en France environ 2 300 000 étudiants, dont un peu plus de 1 300 000 sont à l’université (hors IUT et formations universitaires d’ingénieurs). Les autres se répartissent entre instituts universitaires de technologie [IUT], sections de techniciens supérieurs [STS], classes préparatoires [CPGE] et préparations intégrées, écoles d’ingénieurs, formations universitaires d’ingénieurs, écoles de commerce, grands établissements & ENS, formations paramédicales et sociales et formations diverses [1]. Sur ces étudiants à l’université, 57% sont en licence, 38% en master et 5% en doctorat, et ils se répartissent entre les différentes facultés/champs disciplinaires dans des proportions allant de 15% à 35%. Les universités semblent être solidement établies comme le cœur du système d’enseignement supérieur, ce qui semble démentir le titre alarmiste de l’article. Mais une analyse plus détaillée, prenant en considération les flux d’entrée à l’université indique une tendance tout à fait alarmante.
Le nombre annuel des bacheliers est de 530 000 (résultats 2010), dont 53% sont des bacheliers généraux, 25% des bacheliers technologiques et 22% des bacheliers professionnels. Leur taux d’inscription dans l’enseignement supérieur est globalement de 78% : 26,3% pour les bacheliers professionnels, 78% pour les bacheliers technologiques et 96% pour les bacheliers généraux. Des tableau 3, 4, 5 en annexe se dégagent les tendances suivantes :
Deux catégories de bacheliers que leurs études préparent mal ou pas du tout à l’université, y vont en nombre significatif : 19% des bacheliers technologiques et 7% des bacheliers professionnels [2].
En ce qui concerne les bacheliers généraux, l’orientation vers l’université est légèrement majoritaire, sauf pour les bacs L pour lesquels elle est l’est nettement (mais ils ne sont plus très nombreux). Environ 19% des bacheliers généraux choisissent des filières courtes (IUT, STS).
Près de 20% des bacheliers S choisissent des filières longues non scientifiques (licences de lettres, de droit, d’économie-gestion, CPGE littéraires, CPGE économiques), et plus de 19% d’entre eux choisissent des filières courtes, en majorité les IUT ; si l’on exclut les 7,9% qui se répartissent entre des filières diverses (filières artistiques, hôtellerie…), il n’en reste donc que 53% à s’orienter vers des filières scientifiques longues. Ils se répartissent de la manière suivante : 20 % en CPGE ou en formations d’ingénieurs en 5 ans, 22% en première année de médecine-santé, et seulement 11% vont dans des licences scientifiques.
Tout sauf la fac !
L’observation de la hiérarchie des choix des élèves de Terminale dans le système centralisé d’orientation post-bac (APB) donne une vue encore plus lucide de l’attractivité réelle des filières universitaires ; comme le montre le tableau 6, sur les 653 000 demandes, en regardant seulement les premiers choix des élèves, on constate que les filières sélectives courtes et longues sont plébiscitées. Pour les IUT : 2,7 demandes par place ; pour les STS 2,4 : demandes par place ; pour les CPGE : 1,5 demandes par place ; pour les autres filières : 1,5 demandes par place. Seule l’université n’est pas « surdemandée ». Si on ouvrait plus de places en IUT, STS et CPGE, les universités se videraient encore plus. En conséquence une grande partie des étudiants arrivant en L1 à l’université y sont par défaut, à la suite de trois mécanismes : 1° ils n’étaient pas prêts à faire un choix raisonné, 2° ils se rendaient compte que leurs chances d’être acceptés dans une filière sélective jugée plus désirable étaient très faibles, 3° ils ont été refusés dans une filière sélective. Ainsi 22 % des bacheliers accueillis en L1 après leur baccalauréat ont en effet déclaré explicitement ne pas être dans la filière qu’ils souhaitaient [3].
Regardons enfin l’évolution sur les vingt dernières années (tableau 7). En 1995, où l’on a atteint le plein effet de l’objectif politique de l’augmentation du nombre de bacheliers par génération, avec 65% de bacheliers, les licences de lettres SHS et de sciences attiraient plus de 47% des nouveaux bacheliers (26,4% pour les lettres, 21,1% pour les sciences) ; en 2010 il n’y en a plus que 29% (17,9% pour les lettres, 11,7% pour les sciences). Chute vertigineuse au profit de la première année de santé et d’un certain nombre de filières privées (catégorie “autres”).
Certes, une partie des étudiants qui commencent en CPGE, en première année de santé, en IUT ou en STS viennent en licence après un ou deux ans, à la suite le plus souvent d’un échec ou de résultats insuffisants, mais ils ne sont pas nombreux :
Globalement, 23% des élèves de CPGE se réorientent au bout de la première année, mais seuls ceux des CPGE littéraires choisissent les licences en majorité : 28% des hypokhâgneux vont en licence après un an, 8% des élèves de math sup et 5% des élèves des prépas économiques. Globalement, cela représente une réorientation de 4000 élèves. 7% des scientifiques et 3% des économiques choisissent l’IUT ; la quasi-totalité de ceux qui entrent en 2ème année de prépa scientifique ou économique intègrent une école, ce qui n’est pas vrai pour les littéraires pour lesquels il y a très peu de places dans les écoles et qui rejoignent massivement les licences des facultés des lettres (mais le ministère a mis en place des mécanismes d’accession aux écoles de commerce pour les prépas littéraires, et on peut penser que cette proportion va diminuer).
4% des étudiants ayant commencé un IUT et 1,6% de ceux ayant commencé une STS se réorientent en licence.
Les statistiques que nous venons de donner se traduisent de manière tout à fait tangible. Dans les facultés des lettres et des sciences, les effectifs ont décru de manière spectaculaire et beaucoup de cursus de licence sont maintenus avec des effectifs insuffisants. Cela se prolonge en master avec des effectifs très faibles dans bien des masters, scientifiques ou littéraires, et notamment un manque de candidats aux concours de recrutement des métiers de l’enseignement et aussi, dans certaines matières, une pénurie d’étudiants intéressés par une poursuite en thèse.
Les discussions sur les manières de réformer les licences et en particulier de remédier à l’échec des étudiants qui s’y engagent, certes essentielles, ressemblent un peu à des combats d’arrière-garde. De fait, dans l’état actuel, les licences des facultés des sciences et des lettres ont très largement perdu la partie de l’attractivité vis-à-vis des autres filières de l’enseignement supérieur. La question est bel et bien : ces licences, telles que nous les connaissons depuis des lustres et telles qu’elles existent dans tous les pays du monde, sont-elles condamnées dans notre pays ?
II. UN PROBLEME D’ORIENTATION
a. Filières sélectives/non sélectives
Pour la quasi-totalité d’entre elles, les filières qui attirent les lycéens sont les filières sélectives à l’entrée (CPGE, IUT, STS, IEP, formations d’ingénieurs en 5 ans, architecture, écoles d’art…) ou qui le deviennent très rapidement (médecine, avec le concours en fin de première année). On voit d’ailleurs que sélectif n’est pas synonyme d’élitiste puisque les IUT et STS sont sélectifs et ne peuvent guère être qualifiés d’élitistes.
De la part des lycéens et de leurs familles, ce choix est tout à fait cohérent : le caractère sélectif à l’entrée donne une garantie assez forte de réussite pour ceux qui sont acceptés et, dans l’état actuel du système, ne semble fermer aucune porte. En particulier pour les jeunes de milieu modeste, cette garantie est importante.
Par ailleurs, le fait qu’il y ait sélection, même si cette sélection n’est que très peu discriminante, marque entre l’institution qui accueille l’étudiant et celui-ci un contrat qui, dans une large mesure, oblige l’institution à fournir à l’étudiant les conditions de sa réussite. Ceci change fortement le contexte dans lequel l’étudiant fournit (ou non) ses efforts.
b. Rationalité des choix étudiants
Pour lire la suite du billet et les tableaux
[1] Voir tableau 1. De façon générale, les tableaux détaillés correspondant aux chiffres donnés dans le texte sont en annexe. Les statistiques sont systématiquement extraites des dossiers de la délégation à l’évaluation des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche (http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid24800/notes-d-information.html), en particulier les Notes NI 11.14 et NI 11.15.
[2] L’objectif des baccalauréats technologiques est de “découvrir un ensemble de technologies et préparer à la poursuite d’études en BTS (brevet de technicien supérieur) ou en DUT (diplôme universitaire de technologie) du même domaine ; (…) l’objectif du bac pro est l’entrée dans la vie active”. (Site de l’ONISEP).
[3] Note NIMESR 11.08.