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L’école en pleine crise de vocations - Mediapart le 25 juillet 2012 - Par Lucie Delaporte
jeudi 26 juillet 2012, par
« Je demande à la jeunesse de France de s’engager avec nous dans la refondation de l’école. Il y aura les postes nécessaires. Nous cherchons les nouveaux Hussards noirs de la République ». Le ton de Vincent Peillon à l’Assemblée nationale, ce 11 juillet, est des plus solennels. La promesse de François Hollande de créer 60 000 postes dans l’éducation se heurte en effet à une réalité difficilement surmontable : de moins en moins de jeunes sont tentés par le professorat.
Dans la foulée de ce discours sonnant la mobilisation générale, le ministre a décidé, le lendemain, de rallonger jusqu’au 19 juillet la date limite de dépôt de candidature aux concours de l’enseignement pour permettre à plus d’étudiants de se présenter. À ce jour, le ministère n’a toujours pas rendu public le nombre de candidats pour 2013 – un travail de vérification de plusieurs jours serait nécessaire pour traiter les données brutes – mais il y a peu de chance que ce délai supplémentaire ait réussi à inverser la tendance de fond. La pénurie d’enseignants est bel et bien installée.
Il y a quelques jours, les résultats du Capes externe avaient révélé l’étendue des dégâts. 706 postes (15 % de ceux offerts aux concours), sont restés vacants faute de candidats en nombre suffisant. En maths, la situation est plutôt critique avec près de 300 postes non pourvus, suivent l’anglais (131 postes non pourvus) et les lettres classiques (95 postes non pourvus). Moins touché, le primaire a quand même vu le nombre de postulants aux concours de professeurs des écoles baisser.
Les causes de cette désaffection sont connues. Parmi les nombreux ratés de la réforme de la « masterisation » (suppression de l’année de formation et concours accessible à bac +5), celui d’avoir fait s’effondrer le nombre de candidats aux concours n’est pas le moindre. « La masterisation Darcos a provoqué un tarissement du vivier du seul fait qu’il y a 300 000 licenciés pour seulement 100 000 étudiants en master et tous, bien évidemment, ne se destinent pas à l’enseignement », estime Christian Chevalier secrétaire général du SE Unsa. Les conditions acrobatiques de préparation des concours où, la même année, l’étudiant doit valider un Master 2 et préparer un concours aux contenus entièrement différents, ont aussi certainement eu raison de bien des vocations. Sans parler de l’image désastreuse d’une entrée dans le métier sans aucune formation pratique.
Au-delà de la masterisation entrée en vigueur en 2010, la réduction continue des postes offerts aux concours depuis dix ans a aussi détourné beaucoup de jeunes de l’enseignement. Il y avait ainsi 17 000 places aux concours externes en 2008 contre 8 600 quatre ans plus tard. L’effet des réductions drastiques de postes dans l’éducation nationale – 80 000 en cinq ans – a bien évidemment pesé.
Revoir les règles du jeu
Plus profondément, le métier de prof ne fait plus rêver. « L’image véhiculée sur l’école par les médias, les films… est celle d’une école anxiogène avec un métier d’enseignant perçu comme difficile. Or c’est une image en partie fausse puisqu’elle correspond à des territoires particuliers », assure Christian Chevalier qui regrette que « sur la violence scolaire, on a aussi tendance à généraliser à partir de quelques cas. » L’an dernier, le drame de l’enseignante s’immolant dans la cour de son collège à Béziers a profondément marqué les esprits dans la profession, et sans doute au-delà.
La faiblesse des rémunérations - les enseignants français sont parmi les moins bien payés de l’OCDE - n’incite guère les étudiants, dans ce contexte, à se diriger vers ce métier.
Et, comme si cela ne suffisait pas, la démographie joue à contresens. « Si l’on regarde le nombre d’élèves qui arrivent et le nombre de profs qui vont partir, cela va être encore très tendu pendant dix ans », affirme Daniel Robin, co-secrétaire général du Snes.
Alors que le ministère a toutes les peines du monde à pourvoir les quelque 6 000 postes offerts aux concours, comment pourra-t-il en recruter près du double l’an prochain, pour honorer la promesse des 60 000 postes ? Nul doute qu’il faudra profondément revoir les règles du jeu.
Déjà dans les mesures d’urgence de la rentrée scolaire 2012, pour dégager les quelque 300 postes promis dans le secondaire, Vincent Peillon a dû lancer les grandes manœuvres. Et demander aux jurys de l’agrégation de repêcher dans leurs listes complémentaires 90 candidats en maths, 70 en anglais et 60 en lettres. Un pis-aller forcément problématique alors que, rappelle René Cori, membre, démissionnaire, du jury de l’agrégation de mathémathiques, « le niveau général était déjà loin d’être extraordinaire ».
Pour parer à l’urgence des postes non pourvus, le ministère va avoir pour cette rentrée recours à l’embauche de contractuels dont le nombre n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Il y a ainsi fort à parier que, dans l’urgence, les prochains « Hussards noirs » se recrutent à nouveau via des jobs dating de Pôle emploi. Mais, là encore, le vivier est faible. « Embaucher des contractuels qualifiés aujourd’hui est un exercice difficile », explique Daniel Robin.
Pour éviter de se retrouver devant les pires difficultés à la rentrée 2013, le ministre sait qu’il doit faire vite pour élargir le vivier des candidats. L’une des pistes proposées durant la campagne par le candidat Hollande était de mettre en place des pré-recrutements pour accompagner financièrement les étudiants qui s’engageraient dans la voie de l’enseignement. Une proposition qui rappelle les Ipes, supprimés en 1978, qui permettaient à des étudiants pré-recrutés sur concours de bénéficier pendant leurs années d’études d’un salaire, en échange d’un engagement à enseigner pendant dix ans.
Cette idée est unanimement soutenue par les principales organisations syndicales. « C’est très important, car tout le monde ne peut pas se payer un master, souligne Christian Chevalier. Cela devrait aussi permettre plus de mixité sociale dans le recrutement. »
Pour répondre aux besoins qui vont se poser pour la rentrée 2013, le ministère envisage une solution radicale. Il s’agirait de mettre en place une deuxième session de concours d’enseignement au printemps prochain, quand ceux qui viennent de s’inscrire débuteront, eux, leurs écrits à l’automne. Cette deuxième vague serait ainsi beaucoup plus largement ouverte – sans doute aux étudiants entrés dans le processus de pré-recrutement et plus généralement à ceux inscrits en première année de master. « Le calendrier est très serré. Tout cela devra être fixé dans la loi d’orientation de décembre », prévient Daniel Robin.
Au cabinet de Vincent Peillon, on n’infirme ni ne confirme l’information, en précisant qu’il est trop tôt pour se prononcer, alors que la grande concertation sur l’école doit se poursuivre jusqu’au mois de septembre. Pourtant tout porte à croire que cette session de rattrapage est déjà plus qu’une hypothèse de travail.
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