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Le chercheur, l’agrochimiste et les abeilles - Stéphane Foucart, Le Monde, 23 septembre
lundi 24 septembre 2012
L’étude avait fait grand bruit. Conduite par Mickaël Henry (Institut national de la recherche agronomique, INRA) et publiée en avril dans Science, elle montrait qu’une bonne part des abeilles butineuses ne retrouvaient pas le chemin de leur ruche après avoir été exposées à de faibles doses de Cruiser - le pesticide récemment interdit sur le colza en France. Revenant sur cette affaire, la revue Science publie, vendredi 21 septembre, un " commentaire technique " de chercheurs britanniques contestant les conclusions de M. Henry et ses coauteurs. Banale dispute académique ou cas emblématique de l’influence discrète de l’industrie sur la science ?
L’expérience des chercheurs français n’est pas contestée : sous l’effet de faibles doses de thiamétoxam (la molécule active du Cruiser), une part importante des butineuses ne reviennent pas à la ruche. M. Henry et ses coauteurs l’avaient montré grâce à un marquage des insectes par puce électronique à radiofréquence (RFID).
" Ce qui est contesté, c’est le modèle mathématique que nous avons utilisé pour évaluer l’effet de cette désorientation des butineuses sur la ruche entière ", dit Mickaël Henry. Selon ce modèle, une colonie non exposée à l’insecticide croît de 11 % par mois en période de floraison du colza. Trop peu pour compenser les effets du Cruiser. Mais pour leurs contradicteurs, ce taux est d’environ 40 % : suffisamment pour que les abeilles perdues en raison de leur exposition au pesticide soient remplacées par la croissance naturelle du groupe.
D’où vient ce taux de 40 % ? D’observations menées dans les années 1980, sur seulement trois ruches, et hors du contexte de la culture de colza étudiée par les chercheurs français... Pour répondre, ces derniers ont utilisé leurs données de terrain : quatre années de suivi de plus de 200 colonies. Leurs observations donnent un taux de croissance du même ordre que les fameux 11 % (le maximum observé étant de 18 %)... La critique est donc largement infondée.
Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Car le laboratoire de James Cresswell (université d’Exeter), premier auteur de la contestation, est soutenu par... l’agrochimiste Syngenta, propriétaire du Cruiser. Ce conflit d’intérêts n’a pas été déclaré par l’auteur, contre les règles d’usage.
Le 8 août, l’université d’Exeter a en effet annoncé la création d’un poste " financé par Syngenta " pour un chercheur dont la mission sera " d’assister le Dr James Cresswell dans ses recherches ". Le 8 août... c’est-à-dire le jour précis où le " commentaire technique " de M. Cresswell a été accepté par Science pour publication. Contacté par Le Monde, le chercheur assure que son article a été soumis avant que Syngenta décide de soutenir son labo.
Cependant, chose inhabituelle pour un " commentaire technique " - qui n’est pas une recherche originale -, l’université d’Exeter a publié le 21 septembre un communiqué de presse, largement repris sur le Net et titré : " Il n’est pas prouvé que les pesticides soient coupables du déclin des abeilles ". Ignorant la mise au point des chercheurs français, le texte affirme - en claire contradiction avec l’issue de la joute - que leurs travaux sont " biaisés ".
Et rappelle, à toutes fins utiles, qu’ils ont " probablement été utilisés par le gouvernement français dans sa récente décision de bannir (...) le Cruiser "...