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Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche. Entretien de Vincent Berger à CNRS Hebdo : « toutes les décisions ne coûtent pas de l’argent ». Le 28 septembre 2012.
samedi 29 septembre 2012, par
Cinq semaines après le début des auditions lancées dans le cadre des Assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche, Vincent Berger, rapporteur général du Comité de pilotage dresse un premier bilan des idées forces et des messages transmis par les différents acteurs institutionnels (établissements, organismes, organisations syndicales, entreprises, etc.). L’évaluation et le rôle de l’AERES, la loi sur l’autonomie des universités mais aussi le financement de la recherche ainsi que la complexité du système d’enseignement supérieur et de recherche ont été au cœur de ces auditions. Autant de thématiques qui devraient être reprises et précisées lors des Assises territoriales qui démarrent dès la semaine prochaine.
CNRS hebdo : Le comité de pilotage des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche vient d’achever une première vague d’auditions. Quel bilan en tirez-vous ?
Vincent Berger : Nous avons opéré une très vaste consultation en auditionnant plus de 80 établissements, des organismes, des organisations syndicales, des alliances mais aussi des entreprises sans oublier les grandes directions des ministères en charge de ces questions à la culture, la santé, à l’éducation nationale, à la défense ou encore au budget. C’est beaucoup mais nous aurions pu faire bien plus compte tenu des demandes. Le comité de pilotage n’a pas pu, par manque de temps, auditionner des dizaines d’institutions supplémentaires qui le souhaitaient.
Nous avons constaté un grand désir de participation, de la part des chercheurs ou de la Haute administration, mais également de la part des entreprises qui sont très impliquées dans ce débat.
Le monde socio-économique est intéressé par l’enseignement supérieur et la recherche. Il est intimidé parce qu’il n’arrive pas à bien le comprendre. Les entreprises expriment en particulier leur besoin de recrutement et déplorent le manque de lisibilité des diplômes. Elles font part de leur besoin de recherche, mais ne comprennent pas la complexité et la multiplicité des structures de valorisation (SATT, CVT, IRT, OSEO, etc). Les entreprises nous demandent de simplifier le système. A nous de leur dire bienvenue et de rendre notre système lisible.
CNRS hebdo : Quelles grandes lignes se sont d’ores et déjà dégagées ?
Vincent Berger : La réforme de l’évaluation et de l’AERES figure parmi les idées forces. Beaucoup se posent la question de la composition des ses comités de visite ainsi que celle de la notation des laboratoires, certains souhaitant aller jusqu’à la suppression de cette notation.
Il est vrai que la notation des laboratoires a un effet délétère et qu’elle a trop de conséquences. Elle est brutale alors que la vie d’un laboratoire est complexe, mettant en cause l’activité d’un grand nombre de personnes : résumer ce travail par un simple « A » ou « B » est beaucoup trop réducteur. Par ailleurs, on s’aperçoit que cette note est réutilisée dans de nombreuses circonstances ; il arrive même que des jeunes chercheurs choisissent leur labo en fonction de la note !
Mais remettre en cause la notation des laboratoires ne va pas de soi. Il faut avoir en tête que le mode de financement des universités (SYMPA) repose sur cette notation. Sur quels critères l’université déciderait-elle alors de la dotation d’un laboratoire ? Il serait dommage de renouer avec une politique de couloirs ou de contribuer de nouveau à l’hyperprésidentialisation.
Malgré tous ses défauts, la notation a tout de même l’avantage de clore un processus collectif initié par le comité de visite. Un tel processus va dans le sens d’une certaine collégialité, aujourd’hui mise à mal dans la gouvernance des universités.
C’est un vrai sujet de réflexion pour les Assises territoriales.
CNRS hebdo : Le mode de financement actuel des laboratoires est également très critiqué…
Vincent Berger : En effet, une large majorité de personnes auditionnées demande avec force un rééquilibrage entre le soutien de base et le financement sur projets. On a été beaucoup trop loin dans la concurrence entre les équipes. Les chercheurs passent leur temps soit à écrire des projets, soit à évaluer les projets des autres et n’ont plus le temps de faire de la recherche.
L’idéologie libérale qui sous-tendait la politique des cinq dernières années était que la mise en concurrence est toujours bénéfique. Mais ce raisonnement a ses limites. Un laboratoire qui n’a pas eu la chance aujourd’hui de remporter une ANR ou un investissement d’avenir n’a plus les moyens de travailler.
CNRS hebdo : Vous avez évoqué la loi sur l’autonomie des universités. Que retenir sur ce point ?
Vincent Berger : De nombreux messages envoyés à notre comité de pilotage vont dans le même sens : il faut réinjecter de la collégialité dans la gouvernance des universités et réaffirmer les rôles du Conseil scientifique et du Conseil des études et de la vie universitaire (Cevu). En effet, un des éléments très critiqués de la loi LRU est qu’elle donne trop de pouvoir au président et au Conseil d’administration et pas assez au Conseil scientifique et au Cevu.
Nombreux sont ceux qui émettent le souhait d’une meilleure collaboration entre le Conseil scientifique et le Cevu qui aujourd’hui sont des instances relativement séparées dans la loi LRU. Or, dans l’université l’enseignement et la recherche doivent rester intimement liés.
Sur un autre registre, des voix se sont également élevées dans les auditions pour proposer qu’il y ait des représentants du CNRS dans les instances dirigeantes des universités. Et ces propositions ne venaient pas seulement du CNRS. C’est tout à fait normal, car dans certaines universités, on compte autant de chercheurs du CNRS que d’enseignants-chercheurs. Dans les unités mixtes, tout le monde travaille ensemble. Il est donc logique que le CNRS ait son mot à dire en tant qu’institution et dispose de sièges pour ses représentants.
C’est une suggestion. Nous verrons ce qu’en pensent les Assises territoriales.
CNRS hebdo : La complexité du système d’enseignement supérieur et de recherche a été mise en cause. La nouvelle loi permettra-t-elle selon vous une simplification ?
Vincent Berger : Il nous est demandé que la nouvelle loi permette à tous les établissements – les PRES et les universités- de se doter de statuts non dérogatoires, ce qui est une forme de simplification. Il faut attendre les résultats des Assises territoriales mais il est certain qu’il existe trop de structures qui s’enchevêtrent. Il faudra simplifier, peut être avec un outil type.
CNRS hebdo : Vous attendez donc beaucoup des Assises territoriales ?
Vincent Berger : Au-delà des thématiques nationales, nous attendons en effet des positionnements spécifiques sur certains sujets. Un exemple, la coopération. Il faut que les acteurs d’un même territoire - universités, écoles, EPST, régions, villes, structures de valorisation - coopèrent. Or, les modalités de coopération peuvent différer d’un territoire à un autre. La situation en Alsace diffère fortement de celle de la Normandie ou encore celles des Antilles ou de Marseille. Tout dépend de la taille des universités, de la plus ou moins forte présence des organismes de recherche ou encore de la volonté des acteurs de collaborer entre eux.
Chacun doit déterminer un mode d’organisation différent, adapté à chaque situation géographique et humaine dans un cadre national souple et cohérent.
CNRS hebdo : Les Assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche abordent-elles aussi les questions internationales ?
Vincent Berger : Nous manquons d’une politique internationale globale de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous avons 26 instituts de recherche français à l’étranger, des attachés de coopération scientifique qui dépendent du ministère des affaires étrangères (MAE), des laboratoires internationaux, l’IRD, le CIRAD, toutes les universités qui ont chacune une politique internationale pas toujours structurée, l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)… Plusieurs structures de ce type cohabitent bien souvent sur un même site, mais ne se parlent pas… C’est grave car cela conduit à une dispersion invraisemblable de notre action. Nous l’avons noté comme sujet, après avoir entendu l’IRD, le MAE et l’AUF, même si, pour l’instant, nous n’avons pas de solutions.
CNRS hebdo : Les contraintes budgétaires pèsent-elles sur les Assises ?
Vincent Berger : Nous sommes dans une situation difficile, c’est sûr, mais toutes les décisions ne coûtent pas de l’argent. Changer la loi LRU et ses mécanismes décisionnels, changer le fonctionnement de l’évaluation, redéployer des crédits d’appels à projets vers le soutien de base… Tout cela peut se faire sans forcément davantage de crédits. C’est une question de temps, de mise en œuvre des réformes. Quand on a davantage d’argent, on peut mener des réformes plus ambitieuses, plus efficaces et plus rapidement. Mais le processus des Assises ne va pas dépendre des décisions budgétaires ; c’est plutôt l’inverse : ce sont les décisions budgétaires qui pourraient dépendre du résultat des Assises. Si nous sommes en mesure de convaincre les députés que nous pouvons nous doter d’un système d’enseignement et de recherche plus efficace pour le redressement productif, alors ils adopteront peut être une loi de finances plus avantageuse pour l’enseignement supérieur et la recherche.
Lexique des sigles
AERES : Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur
CVT : Consortium de Valorisation Thématique
IRT : Institut de Recherche Technologique
SATT : Société d’accélération du transfert de technologies