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Madame la Ministre G. Fioraso, avons-nous les mêmes valeurs ? C. Pébarthe, Blog Mediapart, 19 novembre 2012
lundi 19 novembre 2012
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Après six mois d’exercice du pouvoir, il est possible de s’interroger sur la nature de la politique menée par l’actuelle majorité. Celle-ci veut-elle vraiment rompre avec les logiques qui présidaient aux actions du gouvernement précédent ? Dans le domaine de l’Enseignement supérieur et de la recherche, les choses étaient claires. Le mouvement social que le monde universitaire avait connu en 2009 a clairement montré qu’il n’y avait d’autres solutions que la rupture, notamment avec la loi LRU et tout ce qui en découlait. Tout récemment, quatorze président(e)s sont venus le rappeler à la ministre Mme Geneviève Fioraso.
Dans la lettre qu’ils lui ont envoyée, ils/elles reviennent d’abord sur la période 2007-2012, n’hésitant pas à souligner le rôle joué par de nombreux président(e)s, séduits par la loi LRU et "désireux de disposer des outils pour mettre en œuvre une politique pour leur établissement". Par outils, chacun(e) comprendra "pouvoirs considérables". Le bilan se fait alors sans appel : "L’ivresse de la liberté faisait tourner les têtes des présidents, investis de nouveaux pouvoirs, qui eurent l’illusion de croire qu’ils avaient enfin le pouvoir de consolider les formations dispensées aux étudiants et les recherches menées dans leurs établissement". À présent dégrisés, partiellement car ils/elles demandent surtout, sans y croire, les moyens financiers de l’autonomie, les président(e)s lancent à la ministre : "Madame la Ministre, reprenez la gestion de la masse salariale et des postes des personnels titulaires".
Quelques jours plus tard, Geneviève Fioraso leur répond. Reconnaissant les errements précédents, elle délimite très vite sa conception de l’autonomie, autonomie de gestion en continuité avec la loi LRU, mais aussi autonomie de décision et de choix stratégique. Pour bien se faire comprendre, elle précise : "Les évolutions que nous envisageons, pour ce qui concerne l’évaluation des établissements, des équipes de recherche et des formations, pour ce qui concerne les conditions d’habilitation et d’accréditation de l’offre de formation, et pour la politique contractuelle, iront toutes dans ce sens". A minima, il y a donc lieu de s’inquiéter sur le maintien réel du caractère national des diplômes. Du reste, comment comprendre autrement cette autre définition de l’autonomie, "une différenciation assumée des établissements" ?
Parmi les difficultés financières évoquées par les président(e)s, il y avait le Glissement Vieillesse Technicité (GVT), non pris en compte par le gouvernement précédent dans le calcul de la dotation globale des établissements. La ministre répond sans cacher ses intentions. Le GVT, écrit-elle, "résulte […], à moyen terme, des décisions prises par les établissement. Tous les opérateurs publics autonomes, quelle que soit leur taille, assument à terme les évolutions structurelles de leur pyramide d’emplois et de leur masse salariale. […] Pour les universités, il devra en aller de même après une période indispensable d’adaptation et d’accompagnement". Autrement dit, à terme, les promotions et autres changements dépendront uniquement du budget de l’établissement. Il y a donc lieu de s’inquiéter au sujet de la pérennité du statut de fonctionnaire d’État pour les personnels des universités.
La ministre finit sa réponse par quelques mots plus personnels à destination de ses correspondant(e)s. Vantant les mérites des président(e)s, elle reconnaît : "vous prenez ces fonctions dans une situation très inconfortable". Ce faisant, elle semble ne pas pouvoir envisager que certain(e)s de ses interlocuteurs ont pu faire voter par les CA de leurs établissements le passage aux Responsabilités et Compétences Élargies, ou de les avoir votées en tant que conseiller(e)s approuvant des président(e)s "ivres et illusionnés"… In cauda venenum, elle précise que la légitimité de ses interlocuteurs laisse à désirer : "L’élection des présidents d’universités, dans des conditions dont les modalités doivent être profondément modifiées car elles ne respectent pas la collégialité nécessaire, leur confère une responsabilité particulière".
La refondation de l’enseignement supérieur et de la recherche ressemble à s’y méprendre à la poursuite de la politique précédente et même à une accélération de sa logique néolibérale. De toute façon, "nous ne devons pas attendre que la conjoncture économique et budgétaire s’améliore pour bâtir l’avenir ensemble". Comptant sur l’engagement des président(e)s "au service de ces grands objectifs", ceux-ci et, à travers eux, les personnels des universités, des organismes de recherche et l’ensemble des citoyen(e)s, seraient fondés à lui demander : avons-nous vraiment les mêmes grands objectifs ? Avons-nous vraiment les mêmes valeurs ?
Christophe Pébarthe, maître de conférences en histoire grecque à l’université Bordeaux 3