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Rapport de la Cour des comptes : Sciences-Po contre-attaque, V. Soulé, Libération, 20 novembre 2011

mercredi 21 novembre 2012

A lire sur le site de Libération

ANALYSE Rémunérations des dirigeants, gestion des enseignants, rôle de l’Etat... Avant même la publication officielle du rapport des magistrats sur sa gestion, l’école a rédigé soixante-quinze pages de réponses.

Par VÉRONIQUE SOULÉ

Dans deux jours, le destin de Sciences Po pourrait bien basculer. Les magistrats de la Cour des comptes rendront public leur rapport et surtout feront savoir s’ils demandent des poursuites contre des responsables de l’école pour qu’ils répondent de la gabegie. Si c’était le cas, la crise serait relancée et toute la procédure de succession de Richard Descoings risquerait de voler en éclats.

Avant même le jour J, Sciences Po a lancé la contre-attaque. Jean-Claude Casanova, le président du conseil d’administration de la FNSP (la Fondation nationale des sciences politiques qui gère le budget de l’établissement) a envoyé à la presse les réponses de l’école à la Cour des comptes. Il a demandé de ne pas divulguer l’intégralité du texte qui doit être officiellement rendu public jeudi, avec les conclusions de la Cour. Mais comme celles-ci ont déjà « fuité » dans la presse, sans doute a-t-il considéré que c’était de bonne guerre de faire « fuiter » ses réponses.

Dans ce texte de 75 pages, la direction de Sciences Po répond aux critiques des magistrats, en approuvant certaines mais en contestant d’autres. Surtout, elle prend position par rapport aux 19 recommandations de la Cour – sur la réforme de la gouvernance, la gestion des enseignants-chercheurs, etc. Là encore, elle ne les retient pas toutes.

La question est maintenant de savoir dans quelle mesure ces réponses suffiront à l’Etat. Les pouvoirs publics ont le dernier mot dans la désignation du patron de l’école. Le directeur de l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) est en effet nommé par décret présidentiel sur proposition des instances dirigeantes de l’établissement. Or l’Etat demande à Sciences Po toute une série de garanties pour que les dysfonctionnements cessent avant d’avaliser, ou non, le successeur désigné de Richard Descoings, Hervé Crès.

Retour sur les points forts du rapport de la Cour des comptes, et les réponses de Sciences Po.

La question des rémunérations des dirigeants

Dans ses réponses, Sciences Po se montre arrangeant et reconnaît des erreurs. Elle s’engage à revoir le système de rémunérations des hauts dirigeants qui ont défrayé la chronique, et envisage même un plafond pour le futur directeur.

Mais il ne fait qu’un mea culpa partiel. « Les rémunérations de Richard Descoings ont paru excessives dans le paysage universitaire français, indique le texte, elles ne l’étaient pas comparées aux rémunérations d’institutions étrangères voisines de Sciences Po. Il a lui-même expliqué et défendu son cas. Il n’est plus là pour poursuivre ce débat. La procédure qui a fixé ses rémunérations était régulière. Elle n’était pas suffisamment ouverte et elle doit être réformée. »

Sciences Po propose dès lors un nouveau système pour rémunérer l’administrateur de la FNSP qui est aussi le directeur de l’IEP – le patron de Sciences Po ayant ces deux casquettes. Le successeur de Richard Descoings touchera comme directeur de l’IEP, « la rémunération d’un président d’université française » ; et comme administrateur de la FNSP, « une indemnité comprenant une part fixe et une part variable en fonction des résultats obtenus et des missions assignées ». « Le montant global de cette rémunération ne pourra excéder les niveaux les plus élevés des rémunérations des membres de la haute fonction publique française ou des dirigeants des opérateurs de l’Etat », précise Sciences Po.

Quant au président de la FNSP – Jean-Claude Casanova, 79 ans – qui perçoit une « indemnité » de 3 000 euros bruts par mois depuis 2007, le texte indique qu’elle ne variera pas au cours de son second mandat. « Si dans l’avenir, Sciences Po devait se donner un président plus jeune, la question de sa rémunération devrait être reconsidérée sur des bases différentes », est-il précisé.

La gestion des enseignants-chercheurs

Les magistrats l’avaient jugée très dispendieuse, avec des enseignants-chercheurs payés intégralement bien que n’assumant pas toutes leurs heures de services, ou d’autres bénéficiant à la fois de décharges et d’heures supplémentaires (dites complémentaires).

Sciences Po montre patte blanche et avoue certains « manquements ». Se rendant aux demandes de la Cour, l’école s’engage à supprimer « les cumuls de décharges et d’heures complémentaires pour les enseignants sous statut public », « les cumuls de décharges et de primes pour une même fonction », et enfin « les décharges supérieures aux deux tiers du service d’enseignement ».

La gestion erratique des enseignants est un point crucial. Dans son rapport, la Cour met en cause Hervé Crès. Pour elle, la Direction des études et de la scolarité, qu’il dirige depuis 2008, est « responsable des irrégularités dans la gestion des services des enseignants ».

Dans sa réponse – rédigée par les dirigeants y compris donc par Hervé Crès, nommé administrateur provisoire au lendemain de la mort de Descoings le 3 avril 2012 – Sciences Po défend mordicus … Hervé Crès. Il n’y serait strictement pour rien, explique-t-on, car la gestion du service des enseignements n’est pas de son ressort. Mais de celui de la Direction de l’information scientifique, la grande fautive.

La gouvernance et le rôle de l’Etat

C’est un point clé dans les discussions actuelles entre l’Etat et Sciences Po. L’Etat veut avoir l’assurance que Sciences Po ne répètera pas les dérives de la gestion Descoings et qu’il pourra contrôler l’usage de ses dotations – 60 millions d’euros par an, la moitié du budget de Sciences Po. Pour cela, il demande notamment d’avoir des représentants au conseil d’administration de la FNSP.

« Un règlement intérieur sera proposé au CA qui prévoira que le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pourra désigner, pour assister et participer sans voix délibérative au conseil de la Fondation, soit le directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, soit le recteur chancelier des universités de Paris », propose le texte.

Sciences Po n’est manifestement pas très enthousiaste à accueillir l’Etat. La Cour des comptes réclamait « la présence d’un représentant du ministère de l’Economie et des Finances et d’un représentant de l’Enseignement supérieur » au CA. Sciences Po lui refuse une voix consultative.

Autre sujet sur lequel Sciences Po traîne les pieds : la limitation du nombre de mandats des plus hauts dirigeants. Le texte parle de fixer un nombre maximal de mandats pour le directeur de Sciences Po et pour le président du conseil d’administration de la FNSP (Jean-Claude Casanova, en place depuis six ans), mais pas pour le président du conseil de direction de l’IEP (Michel Pébereau, en fonction depuis vingt-quatre ans…).

Sciences Po rejette aussi toute critique sur son statut dual – avec d’un côté la FNSP, de l’autre l’IEP. Elle réagit comme une forteresse assiégée face à l’Etat. La FNSP n’est pas une « fondation reconnue d’utilité publique » ni un opérateur public, répète le texte. « Rien n’autorise à classer, par un exercice taxinomique, la fondation dans telle ou telle catégorie générale d’institution (entreprise, société, ligue charitable, fondation, ou autre). Elle est ce qu’elle est. » Et l’Etat n’a qu’à en prendre son parti…

La Mission lycée

La Mission lycée est un sujet sensible, à propos duquel les magistrats pourraient demander au président de la FNSP Jean-Claude Casanova de s’expliquer devant une juridiction. En janvier 2009, Richard Descoings avait été sollicité par Nicolas Sarkozy pour mener une mission sur le la réforme du lycée. Et il l’avait fait financer par la Fondation pour 800 000 euros, faisant fi ainsi de toutes les règles de bonne gestion.

Science Po reconnaît avoir péché et assure que l’Etat a remboursé une partie – 200 000 euros. L’établissement se défend aussi en expliquant n’avoir pu refuser une mission d’intérêt général. Il évoque aussi les bisbilles d’alors entre l’Elysée et le ministre de l’Education Xavier Darcos. Vexé de voir cette mission sur le lycée lui échapper, le ministère rechignait à la financer – Sciences Po aurait ainsi voulu dépanner l’Elysée.

On saura jeudi si ces explications ont convaincu les magistrats. Sciences Po promet en tout cas que désormais, avant d’accepter des missions, elle demandera « aux pouvoirs publics de bien respecter les règles qui les régissent ».