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"Un an après, l’introuvable autonomie universitaire" par Gilbert Béréziat, ancien président de l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI), délégué général de Paris Universitas
"Libération" du 5 août 2008 ("Rebonds")
samedi 9 août 2008, par
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Quelques jours avant d’être arrêté, Marc Bloch appelait à une réforme radicale de l’enseignement supérieur en France. Considérant que la débâcle et la défaite devant les nazis résultaient avant tout de la faillite des élites, il réclamait une révolution universitaire et déclarait : « Elle n’ira pas sans déchirements. Il sera toujours difficile de persuader des maîtres que les méthodes qu’ils ont longuement et consciencieusement pratiquées n’étaient peut-être pas les meilleures ; à des hommes mûrs, que leurs enfants gagneront à être élevés autrement qu’eux-mêmes ne l’ont été ; aux anciens élèves de grandes écoles, que ces établissements parés de tous les prestiges du souvenir et de la camaraderie doivent être supprimés. Là, comme ailleurs, cependant, l’avenir, n’en doutons pas, appartiendra aux hardis ; et pour tous les hommes qui ont charge de l’enseignement, le pire danger résiderait dans une molle complaisance envers les institutions dont ils se sont fait peu à peu une commode demeure. » Mais de réformes, à la Libération, il n’y en eut point et la « noblesse d’Etat » continua à renforcer sa mainmise sur la haute administration et la gestion de l’économie, qu’elle soit publique ou privée. Près de soixante années plus tard, la réforme qu’appelait de ses vœux Marc Bloch reste d’actualité.
Ignorant l’avertissement de Mai 1968, la massification de l’enseignement supérieur consacra de manière flagrante cette ségrégation à la française qui confine l’immense majorité des étudiants dans un système délabré et vieillot préservant la majorité des moyens pour le système des « écoles ». Mais celles-ci se révèlent aujourd’hui inadaptées aux besoins d’une économie de la connaissance et de l’innovation devenue extrêmement mouvante. Derrière les déclarations péremptoires du président de la République et le volontarisme affiché de sa ministre, la même nomenklatura est à l’œuvre pour, à défaut de bloquer les réformes nécessaires, les rendre inopérantes rejoignant en cela des syndicalistes fatigués. Quand il aurait fallu d’urgence donner les moyens à la dizaine d’universités françaises ayant la capacité de devenir réellement autonomes (pour qu’elles puissent affronter avec quelques chances de succès une compétition qui d’ores et déjà fait rage), les technocrates peureux qui hantent nos ministères tergiversent. Alors qu’il fallait capitaliser en priorité ces universités avec du « cash », on confie à Bercy le soin de décider quelles universités et quelles entreprises bénéficieront des droits de tirage générés par le placement des trois à quatre milliards d’euros obtenus par la vente des actifs de l’Etat. Bref on recrée pour elles le système des assignats inventés par la Révolution française avec le succès que l’on sait. A l’usage, le plan campus risque fort de n’être que de la poudre aux yeux. Alors qu’il fallait laisser les universités organiser leur gouvernance de manière autonome pour tenir compte de leur structure et de leur histoire, on négocie avec la Conférence des présidents d’universités. A côté d’une nouvelle loi destinée à libérer les énergies, on maintient tous les dispositifs antérieurs qui permettent d’en limiter les effets. Là où il fallait laisser les universités libres de se donner les administrateurs de leur choix, on leur impose des conseils d’administration timorés. On maintient la tutelle de l’Etat par la survivance des Secrétaires généraux nommés par le ministre là où il aurait fallu recruter sous contrat des gestionnaires et des financiers compétents ayant obligation de résultats et des comptes à rendre devant les conseils d’administration.
Les patrons des grandes entreprises, à de très rares exceptions, font preuve de frilosité et hésitent à s’engager dans le redressement des universités françaises porteuses des potentialités de recherche et développement les plus avérées. Ils préfèrent s’en tenir aux contrats et conventions qu’ils négocient avec eux pour leurs besoins immédiats et limitent leurs largesses aux établissements dont ils sont pour la quasi-totalité issus.
A l’issue d’une première année de sarkozysme, dans un secteur où l’activité du Président avait suscité quelques espoirs, force est de constater que le bilan est plus que contrasté. La première université française a certes reçu plus qu’avant la visite des ministres, mais on hésite à lui conférer la dévolution foncière et immobilière pourtant prévue par la loi et même l’affectation de ses locaux. Elle est toujours empêtrée dans le chantier de Jussieu dont on lui refuse la maîtrise d’ouvrage alors que se profilent de nouveaux retards qui pourraient bien avoir quelques suites judiciaires. Le campus de la seconde université française poursuit sa lente paupérisation que l’on s’évertue à masquer en favorisant outrageusement le plateau de Saclay où l’on tente de regrouper à grands frais les maigres joyaux de la couronne contrôlés pour l’essentiel par les ministres de la Défense, de l’Agriculture et de l’Economie. Les partisans de l’égalitarisme par le bas sont à l’œuvre dans les deux assemblées de la République pour que la part de la performance soit le plus possible limitée dans l’attribution des moyens aux universités. On propose de mettre en place des dispositifs d’allocation des ressources qui, sous prétexte d’égalitarisme, vont niveler vers le bas les universités. Il faudrait, au contraire, comme les Allemands viennent de le faire, prendre en compte la vocation différente des unes et des autres.
Pour autant, doit-on perdre courage et revenir au train-train antérieur ? Je ne le pense pas. Partout le ferment de l’autonomie est à l’œuvre et la tutelle autoritaire et inefficace de l’Etat de moins en moins supportée. Les regroupements en cours dans les grandes villes françaises en sont l’indice le plus patent. Qui aurait dit il y a cinq ans que les grandes universités parisiennes s’engageraient dans des processus d’accrétion et que parfois cela se ferait contre l’avis de la haute administration ? Qui aurait dit que les grands établissements seraient alors dans l’obligation de se déterminer ? Les grandes écoles ne pourront pas longtemps poursuivre le processus d’endogamie qu’elles tentent de préserver aujourd’hui. Partout les signes du malaise s’amplifient. L’effet délétère sur l’équilibre psychologique des élèves et des étudiants du système des classes préparatoires et des dispositifs de sélection aux études de médecine ou de droit commence à être dénoncé ici et là. Courage donc à toutes et à tous. La lutte continue. Camarade Président, camarade ministre, encore un effort s’il vous plaît.