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Le PS se déchire sur la loi Fioraso - S. Huet, Blog {Sciences2}, 22 avril 2013
lundi 22 avril 2013, par
Un groupe de militants socialistes, souvent actifs ces dernières années dans sa Commission recherche, a décidé de rendre publique sa "déception" devant la politique conduite par Geneviève Fioraso .
Auto-baptisé "Collectif Langevin" - du nom du physicien progressiste mais surtout auteur du plan Langevin-Wallon pour l’éducation nationale à la Libération du pays en 1945 - ce groupe dont Frédéric Sawicki, Professeur de sciences politiques à l’Université Paris-I, Panthéon-Sorbonne, est le porte-parole, fait circuler dans la commission recherche du PS un texte très critique vis à vis du gouvernement. J’ai reçu ce texte, que je publie ci-dessous comme une tribune, dans son intégralité.
Cette initiative confirme qu’un clivage persiste à gauche, entre les universitaires et scientifiques qui se sont mobilisés durant les années Sarkozy contre les réformes de droite et l’orientation choisie par le gouvernement de François Hollande. Ce désaccord n’est pas une surprise pour des militants syndicalistes ou du Front de Gauche. Le vote de la loi devrait donner lieu à de nouvelles tentatives de mobilisation de leur part, comme cet appel ( FSU (Snesup, SNCS, SNASUB, SNEP, SNETAP), CGT (SNTRS, CGT INRA, FERC Sup), SNPREES-FO, Solidaires (Sud Recherche EPST, Sud Education, Solidaires Etudiant-e-s), SLR, SLU. Collectif Aquitain des Contractuels de la Recherche, Collectif contre la précarité Pouchet/CNRS, Collectif des précaires de Montpellier, Collectif de précaires du Centre INRA de Versailles, Collectif des non titulaires de la recherche toulousaine) à des actions (préavis de grève, A-G et manifestations) du 14 au 22 mai lors du débat parlementaire.
Il subsistait un doute sur l’attitude des militants socialistes. Lors de la campagne présidentielle, Vincent Peillon avait réalisé l’union sacrée dans son équipe, où Geneviève Fioraso avait retrouvé les organisateurs de la contestation, comme Isabelle This Saint-Jean, aujourd’hui vice-présidente de la Region Île de France, chargée de la recherche. D’autres figures du mouvement de l’années 2009, comme Bertrand Monthubert devenu Président de l’Université Sabatier à Toulouse, demeurent discrets quant à leur appréciation de la politique gouvernementale, mais la logique de leurs positions antérieures devraient les conduire à la critiquer. Sortiront-ils de leur silence ? Le débat parlementaire sur la loi Fioraso permettra t-il les inflexions appelées par ce texte ? C’est très peu probable en l’absence de mouvement de contestation dans les universités et les laboratoires, mouvement que, malgré leurs appels, syndicats et associations (SLR, SLU) n’ont pas encore réussi à déclencher.
Voici le texte du Collectif Langevin :
« Continuons à proposer un projet ambitieux pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche
Si Julien Dray rappelait à juste titre que jamais une gauche n’avait triomphé contre une autre gauche, disons aussi que jamais des élus de gauche n’ont pu durablement gouverner sans le soutien des mouvements sociaux qui les ont portés au pouvoir. Parce que nous sommes nombreux à nous être battus pendant de longs mois pour défendre l’Enseignement Supérieur et la Recherche contre la politique menée par la droite, à avoir souhaité que cette exceptionnelle mobilisation ait un débouché politique, à nous être engagés à cette fin dans les instances du PS ou dans les comités de campagne des candidats socialistes pour élaborer un projet alternatif crédible, nous nous sentons légitimes pour sonner aujourd’hui l’alarme et dire que nous sommes déçus par le projet de loi qui est présenté par le gouvernement.
Nicolas Sarkozy avait affiché son mépris pour la communauté scientifique. L’urgence absolue était de renouer un réel dialogue. Sous couvert de légitimité démocratique, les Assises de l’ES-R ont donné principalement la parole, dans des débats trop cadrés, à des représentants institutionnels choisis. Malgré la pléthore d’intervenants qu’elles ont mobilisés, elles n’ont pas convaincu ni rétabli la confiance. Car par delà cet écran médiatisé – combien d’ailleurs de ses propositions ont été retenues ? – la loi était élaborée discrètement par un groupe de « responsables de l’ES-R », fortement représentés depuis dans les cabinets ministériels. Peu d’entre eux s’étaient mobilisés à nos côtés avant mai 2012, certains avaient même dénoncé ce mouvement social sans précédent. Pourtant ce mouvement avait formulé des propositions précises dont beaucoup furent reprises au Forum des idées du PS consacré à l’ES-R. Celles qui nous distinguaient fondamentalement de la droite gestionnaire ont aujourd’hui disparu du projet de loi, jugées sans doute pas assez « pragmatiques » ou « trop gauchistes ».
Valérie Pécresse faisait virevolter les milliards, les postes, les plans ; autant de mensonges patiemment déconstruits par les universitaires. Comment alors entendre sereinement le gouvernement se satisfaire d’avoir créé 1000 postes par an dans l’ES-R en feignant d’ignorer que les universités, après avoir gelé une partie de leur recrutement ordinaire, sont obligées de renoncer à ces postes supplémentaires pour financer leurs dépenses courantes et faire face aux nouvelles charges résultant du passage aux compétences élargies. Aujourd’hui plus que jamais, il y a un devoir de vérité et de sincérité.
La loi Liberté et Responsabilité des Universités (LRU) sanctifiait une gouvernance forte et un président aux pouvoirs étendus. La communauté universitaire, toutes tendances politiques confondues, réclamait légitimement la collégialité des prises de décisions. Aussi comment se satisfaire du choix gouvernemental qui réduit de fait la représentativité des enseignants-chercheurs dans les CA des universités et prévoit que les membres extérieurs nommés puissent désormais participer à l’élection de son président, ce que V. Pécresse en juin 2012 jugeait indispensable pour renforcer la loi LRU ?
Nous réclamions des moyens financiers, plusieurs dizaines d’universités étant dans le rouge. L’effort du gouvernement d’augmenter légèrement un budget en baisse réelle depuis longtemps nous donnait à espérer. Aussi comment accepter le gel annoncé de 230 millions pour l’année qui vient ? Et que dire du maintien en l’état des Idex, Labex et autres outils de ségrégation budgétaire mis en place sous Sarkozy ?
Promouvoir la jeunesse doit se traduire dans les faits. Comment se satisfaire de l’absence de plan pluriannuel d’emploi de jeunes scientifiques ? Que propose la gauche à de jeunes chercheurs plein d’enthousiasme sinon d’être embauchés au compte-gouttes à 32 ans en moyenne, après une sélection féroce à un salaire voisinant à peine 500 euros au dessus du SMIC ? Même pas un poste stable qui leur permette de faire qu’ils aiment et qui est indispensable à la Nation : enseigner et faire de la recherche. Si on peut se réjouir de la réduction de la voilure de l’Agence nationale de la recherche, de la volonté d’en redistribuer les budgets sous forme de financements pérennes et ainsi de libérer les chercheurs de la rédaction chronophage de projets, rien n’est proposé pour résorber les emplois précaires que cette agence a fait exploser. Des solutions budgétaires existaient pourtant, notamment la suppression des primes d’excellence scientifique, le redéploiement des ressources du Grand emprunt et la diminution du Crédit impôt recherche dont l’utilisation a été notoirement dévoyée par les grandes entreprises.
Alors que nous avons tous réclamé la disparition de l’AERES pour retrouver un cadre national d’évaluation par des pairs élus, la réforme ne propose qu’un ripolinage. Le nouveau « Haut Conseil » au mieux ne changera rien aux mauvaises pratiques, au pire les aggravera en permettant des évaluations locales fragilisant d’autant les disciplines non dominantes.
Comment aussi ne pas s’inquiéter du déficit démocratique qui résultera inévitablement de la distance entre les universitaires de base et les centres décisionnaires des communautés d’universités, la contractualisation de l’Etat avec ce jalon lointain mais primordial renvoyant les universités au rang des municipalités soumises à l’autorité d’intercommunalités non soumises au suffrage universel direct.
« L’université n’est pas une entreprise, le savoir n’est pas une marchandise » signifiait notre refus de voir l’ES-R réduite à sa seule dimension économique. Dans ses discours de campagne ou d’élu, le président de la République semblait lui aussi reconnaître la valeur émancipatrice du savoir. Pourtant à lire l’exposé des motifs du projet de loi, le gouvernement ne revendique plus qu’un ES-R au service du redressement national.
Si l’effort fait en direction des étudiants, tant au niveau des possibilités qui leur seront offertes de suivre les filières qui leur conviennent que de leur représentation dans les conseils élus, est louable, aucun engagement réel n’est pris pour réduire les différences de dotation entre universités et classes préparatoires. Plus généralement, les incitations au rapprochement entre universités et classes préparatoires apparaissent bien peu contraignantes.
Nous ne sommes donc satisfaits ni par la loi qui s’annonce ni par la politique menée dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le gouvernement aurait tort de parier sur la lassitude de la communauté des universitaires qui, pour paraphraser Tocqueville, « fatiguée de longs débats consentirait volontiers à être dupée pourvu qu’on la repose » ou sur son soutien inconditionnel à la gauche. Les universitaires qui se sont battus pour l’alternance n’aspirent pas au repos pas plus qu’ils restent aveugles à la réalité de leur quotidien. Nous allons donc de nouveau nous mobiliser pour convaincre la population, nos députés et nous l’espérons notre ministre de la nécessité d’une loi plus ambitieuse en adéquation avec nos revendications. Dans l’ES-R comme ailleurs, la gauche de gouvernement aurait tout intérêt à retrouver sa vitalité en s’appuyant résolument sur les propositions de la gauche des mouvements sociaux. Elle n’en sortira que plus victorieuse lors des échéances futures. »
Collectif Langevin
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