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Enseignants : la Cour règle ses comptes -L. Delaporte, Mediapart, 27 mai 2013
lundi 27 mai 2013, par
Lire aussi « Éducation : la potion amère de la Cour des comptes » par Francis Daspe, président de la Commission nationale Education du Parti de Gauche, Invité de Mediapart.
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C’est simple comme deux courbes qui se croisent. Plus la France dépense pour son éducation, plus ses résultats baissent. Dans son dernier rapport, Gérer les enseignants autrement, la Cour des comptes a frappé très fort. Au moment où, hasard, promis-juré, le texte sur la Refondation de l’école, dont la création des 60 000 postes est la mesure phare, devait être adopté au Sénat, la cour assenait donc que « le système français ne souffre pas d’un défaut de moyens, mais de modalités d’allocation et de gestion de ces moyens, moins performantes que celles des pays comparables ». 60 000 postes pour rien ? Voilà qui fait d’autant plus mal que le budget de l’éducation nationale est le seul à être préservé de l’austérité et que les créations de postes s’y feront au détriment des autres fonctions publiques.
La Cour des comptes l’avait pourtant dit : recruter des enseignants était une hérésie. Dès juillet 2012, dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, les sages pointaient déjà que les suppressions de postes dans la fonction publique n’avaient pas empêché la masse salariale de continuer d’augmenter en euros courants (une hausse due au poids des pensions). Pour tenir l’objectif du retour à l’équilibre des comptes publics, il fallait donc plutôt geler ou réduire le nombre de fonctionnaires.
Comme piquée de ne pas avoir été entendue, la Cour des comptes, qui a déjà publié plusieurs rapports sur l’école, vient rappeler à l’État quel employeur peu rigoureux il fait et fixe au passage sa feuille de route à Vincent Peillon, lequel doit ouvrir à l’automne des négociations sur le métier d’enseignant.
Combien faut-il de profs ? Quel est leur nombre « optimal » ? La Cour qui a mené une enquête dans cinq académies types assure que le ministère n’en a, passé les slogans de campagne, presque aucune idée. Les recrutements prévus chaque année en fonction des départs se font, affirme-t-elle, sur une base « insuffisamment documentée en termes d’impact sur les modalités de satisfaction du besoin des élèves ». En clair, au doigt mouillé et plus pour répondre aux pesanteurs de la machine bureaucratique qu’à de réelles nécessités pédagogiques.
Combien d’heures les enseignants travaillent-ils ? Là encore, les sages regrettent qu’au-delà des obligations de service liées au statut, l’État n’en sache rien et ne se fonde que sur des enquêtes déclaratives.
« Qu’est-ce qu’un bon enseignant ? »
Pour les sages, l’État doit pouvoir faire mieux avec moins, en reprenant donc le contrôle sur une masse salariale qui pèse tout de même 17 % dans son budget. Après cinq années d’application sans faiblir de la RGPP à l’éducation nationale et 80 000 suppressions de postes, il reste encore des marges, explique-t-elle, à condition de mettre en place un mode de gestion des personnels plus efficace. Et de pointer çà et là, quelques « niches d’efficience », comme aux grandes heures de la RGPP : des enseignants qui ne font pas leur temps de service complet, des remplaçants inoccupés à certaines périodes de l’année, des profs épuisés dont on ne sait que faire (836 en 2011, soyons précis)… Des marges limitées, certes, mais censées démontrer une fois de plus l’absence de pilotage du système et ses rigidités.
Dans ce nouveau rapport, la Cour trace donc les voies du redressement des comptes publics par une gestion plus fluide de la « ressource » enseignante : annualisation du temps de travail, bivalence au collège (enseigner plusieurs matières), porosité entre le primaire et le collège…
Adepte d’un management moderne, la Cour des comptes prône une plus grande autonomie des établissements et des chefs d’établissement aux pouvoirs accrus. En soulignant une fois de plus l’absurdité d’un système d’affectation qui envoie systématiquement les plus jeunes enseignants dans les endroits les plus difficiles, le rapport propose de profondément modifier le système. Les profs seraient ainsi affectés « en fonction de l’adéquation de leurs compétences et de leur parcours avec les besoins des élèves », après avis du chef d’établissement.
Reconnaissant que les enseignants sont en moyenne moins bien payés que leurs homologues de l’OCDE – malgré de très forts écarts de situations –, la cour préconise plutôt qu’une hausse uniforme de mieux rémunérer l’implication et de faire progresser beaucoup plus rapidement la carrière des « bons » enseignants, le tout financé par une réduction de l’offre de formation au lycée où les options se sont multipliées. Et de se poser, calculette à l’appui, la douloureuse question « qu’est-ce qu’un bon enseignant ? », en regrettant sur ce point que le ministère n’ait pas encore établi un référentiel de « bonnes pratiques »...
Si ce rapport a le mérite de dénoncer certains dysfonctionnements, pour l’essentiel largement connus, il laisse néanmoins perplexe sur la légitimité de la Cour des comptes à trancher sur des questions qui la dépassent bien souvent. Le pilotage du système éducatif par les seules considérations budgétaires ces cinq dernières années a laissé quelques mauvais souvenirs. Les merveilleux tableaux Excel de la RGPP n’ont pas toujours été compris sur le terrain. Vincent Peillon avait promis que la politique éducative ne se déciderait plus à Bercy... En aura-t-il les moyens ?