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"Le paradoxe de la recherche française ", par Valérie Pécresse
"Les Échos" du 3 septembre 2008
jeudi 4 septembre 2008, par
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A l’heure où notre pays unit ses efforts pour renouer avec une croissance durable, miser sur la recherche et l’innovation est devenu plus que jamais essentiel. C’est le choix qu’a fait le gouvernement en engageant un effort budgétaire sans précédent pour l’enseignement supérieur et la recherche.
Mais cela ne suffit pas, car la recherche française est aujourd’hui dans une situation paradoxale. A son excellence académique, illustrée par les récents prix internationaux comme ceux d’Albert Fert, ne répondent pas toujours les bénéfices que les citoyens pourraient attendre pour notre société : développement économique ou amélioration de la vie au quotidien. Il suffit pour s’en convaincre de relever que, malgré le talent exceptionnel des chercheurs français, le nombre de brevets déposés chaque année en France demeure trois fois moindre qu’en Allemagne.
Je vois pour l’essentiel deux explications à ce paradoxe. La première tient au manque de proximité entre recherche, société et économie. Cette proximité devrait pourtant être la clef pour renforcer la chaîne qui conduit naturellement de la recherche à l’innovation et de l’innovation à la croissance et au progrès.
Quant à la seconde, elle trouve son origine dans un déficit de vision globale de l’effort national de recherche. Car si les gouvernements successifs ont su répondre à l’urgence, faisant de certaines thématiques comme le sida, Alzheimer ou le développement durable des priorités nationales de recherche, ils l’ont fait par focus successifs et non en formulant une véritable stratégie scientifique d’ensemble pour notre pays.
Or, pour faire face à la compétition mondiale de l’intelligence, il nous faut un cap clair et le suivre avec constance, dans l’intérêt des chercheurs. Il nous faut aussi coordonner nos efforts autour de priorités bien définies, car c’est en favorisant la compétition éclairée, et non pas le cloisonnement stérile entre équipes de recherche, que notre recherche sera plus dynamique, plus efficiente et plus réactive. De nombreux grands pays de recherche nous ont précédés dans cette démarche, comme l’Allemagne ou encore le Japon.
Déjà, la réforme de l’autonomie des universités et la réorganisation du CNRS et de l’Inserm en instituts répondent de cette logique. Elles permettront à la communauté scientifique de mieux définir ses priorités pour attribuer les moyens aux différents laboratoires et de faire davantage de prospective. Mais quels que soient les efforts réalisés par les scientifiques, la responsabilité des décideurs politiques est essentielle pour mettre en cohérence l’ensemble, s’assurer de l’adéquation de l’effort de recherche avec les attentes de nos concitoyens, et optimiser le système pour que l’argent public soit dépensé de la meilleure manière possible.
C’est à l’issue d’une large concertation qu’une stratégie nationale sera définie, une concertation qui doit faire toute sa place tout d’abord aux scientifiques, bien sûr, mais aussi aux représentants des associations « porteuses d’enjeux » et du monde économique, qui pourront ainsi faire entendre la voix de la société française et exprimer avec la plus grande liberté ses attentes, ses besoins ou ses craintes.
Notre avenir est en effet largement suspendu aux progrès qu’accompliront demain nos scientifiques, qui doivent relever différents défis. Les défis de la connaissance, bien sûr, en mathématiques ou en sciences humaines par exemple, avec pour but de repousser les frontières du savoir, et de rendre possibles les progrès des générations à venir. Mais nous comptons aussi sur les chercheurs pour affronter les défis nouveaux qui s’offrent aux sociétés du XXIe siècle, tels le vieillissement de la population, la crise énergétique ou l’alimentation. Enfin, la recherche doit aussi renforcer la compétitivité de notre économie : sans appui de la recherche publique à quelques technologies clefs, comme les biotechnologies ou les nanotechnologies, sans réflexion d’ensemble sur les marchés particulièrement porteurs, les entreprises françaises ne seront pas suffisamment armées pour affronter la concurrence mondiale où seule l’innovation leur permettra de s’imposer.
Et pour être plus forts, nous n’hésiterons pas à créer des alliances avec nos partenaires européens avec qui nous partageons nombre de priorités : c’est tout l’objet de la « Vision 2020 » de l’espace européen de la recherche que la France devra écrire et faire adopter à l’occasion de sa présidence de l’Union européenne. Mais aussi alliances avec le monde économique vers lequel les efforts de valorisation devront être renforcés. Car sans transfert de technologie, l’innovation ne saurait être créatrice d’emploi et de croissance.
Sous l’autorité du président de la République, je veillerai à ce qu’une concertation aussi large que possible s’engage d’ici à mars prochain. Je veux en faire un véritable temps de dialogue, grâce auquel se tisseront de nouveaux liens entre la société française et ses scientifiques, désormais réunis autour des mêmes priorités et des mêmes espoirs.
VALÉRIE PÉCRESSE est ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.