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"Une recherche mise à la botte", par Fabien Amiot, Paul Janiaud, Glen Millot et Jacques Testard, membres de la Fondation Sciences citoyennes.
"Libération" (Rebonds) du 10 septembre 2008
samedi 13 septembre 2008, par
Pour lire l’article sur le site de "Libération".
L’autonomie de la recherche : voilà l’enjeu désigné de la crise ouverte au printemps entre la grande majorité des chercheurs et leur ministère, et que pourraient relancer les récents propos de la ministre de la Recherche (1). On ne reviendra pas ici sur les nombreux succès scientifiques obtenus par la recherche française. Si l’appareil de recherche français doit être réformé, c’est pour donner les moyens à la société de peser sur son avenir, question politique posée depuis le colloque de Caen en 1956 et qui s’accommode mal des gesticulations médiatiques.
De quel travail et de quelle autonomie est-il alors question ? Les efforts consentis après-guerre pour développer et structurer la recherche découlaient d’ambitions concrètes : Pierre Mendès France comptait en faire un puissant moteur pour l’économie, de Gaulle souhaitait en faire un élément du rayonnement de la France dans le monde. L’un et l’autre avaient bien compris que la science n’est pas qu’une affaire de scientifiques (entendus comme membres d’une communauté académique). L’activité scientifique est par essence transgression et re-création de codes et de normes. Elle nécessite outils, théoriques et ou pratiques sans cesse renouvelés afin de solliciter et d’observer le réel. Elle produit alors des objets, scientifiques ou techniques, dont certains vont diffuser dans la société pour satisfaire des besoins (réels ou supposés) et d’autres alimenter les débats sur des questions controversées.
A aucun de ces niveaux la société dans son ensemble n’est absente, mais à la condition qu’elle s’invite et s’impose : elle a pris une part croissante à la contestation des expertises « officielles » (sur l’activité nucléaire, sur les OGM, sur la définition des protocoles de soins, etc.) ; de nombreux artisans, ingénieurs et techniciens développent un savoir-faire particulier qu’ils réinvestissent dans des projets innovants, pendant que des associations s’approprient collectivement les connaissances produites ou suscitent de nouvelles recherches (voir l’expérience des Picri 1 en Ile-de-France).
Sciences, techniques et société sont inextricablement mêlées. L’enjeu d’une réforme de l’appareil de recherche concerne la société dans son ensemble, c’est donc en termes politiques que l’objet de la réforme doit être posé. Puisque les savoirs et innovations ainsi produits irradient toute la société, et compte tenu des mobilisations récentes sur des questions comme les plantes génétiquement modifiées ou l’industrie nucléaire, il semble incohérent d’agir comme au lendemain de la guerre. Même le Comité opérationnel (Comop) Recherche mis en place dans le cadre du Grenelle de l’environnement, pourtant peu suspect d’abriter de dangereux révolutionnaires, s’est senti obligé de préconiser dans son rapport final une réelle et entière participation des acteurs de la société civile au Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, auquel il suggère d’accorder de nouvelles missions liées à l’expertise scientifique et aux lanceurs d’alerte. Compte tenu de la fin de non-recevoir à notre demande pour que les associations soient parties prenantes de ce comité, on peut s’interroger sur la sincérité de la prise en compte de la société civile dans la démarche prévue par Valérie Pécresse. Pire : en esquissant un pilotage de la recherche publique par un groupe d’experts nommés directement par le seul pouvoir exécutif, fort semblable à la défunte Délégation générale à la Recherche scientifique et technique (DGRST) mise en place en 1958, c’est à l’exigence de démocratie régulièrement réaffirmée ces dernières années que le gouvernement choisit de tourner le dos. Les expériences innovantes, pourtant nombreuses dans ce domaine, sont ignorées. La Fondation Sciences citoyennes, au terme d’un projet de recherche participatif permis par le dispositif Picri, a ainsi piloté une proposition de loi pour que des conventions de citoyens contribuent aux décisions politiques afin de « permettre de sortir les recommandations des citoyens de cette zone incertaine où elles sont aujourd’hui reléguées par les mécanismes consultatifs classiques ».
Avec cette réforme, le Parlement (et son Office d’évaluation des choix scientifiques et techniques, l’OPECST) est court-circuité, alors qu’une autre proposition du Comité opérationnel recherche suggère une sollicitation plus large de l’OPECST à la fois sur « la définition et l’évaluation des priorités de recherche et la conduite d’expertise sur les sujets scientifiques les plus controversés ». La ministre de la Recherche se permet donc de prendre à contrepied le comité qu’elle a constitué quelques mois plus tôt. On doit alors se demander de quelle façon elle va bien pouvoir constituer son futur comité restreint, et surtout la réelle utilité de celui-ci tant les cartes semblent jouées d’avance.
Pour nous, il ne fait pas de doute que derrière ce projet de réforme de l’appareil de recherche se cache un projet de société réactionnaire et non respectueux du bien public autant que de la démocratie.
(1) Lire le Monde du 21 août.