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Efficacité du système éducatif : la Cour des contes de fées - Loys Bonod, Rue89, 23 août 2013
mercredi 28 août 2013, par
Lire aussi la tribune "La Cour des comptes, décideur politique ?" de Thomas Coutrot, Pierre Khalfa, Jean Loye, membres d’Attac et de la Fondation Copernic (en fin d’article). Ainsi que l’article d’Alain Guédé dans Le Canard Enchaîné du 28 août (en kiosque) : "Le coup d’Etat permanent de la Cour des comptes"
Les médiocres résultats du système éducatif français dans les comparaisons internationales ? Pour la Cour des comptes, l’explication est simple, pour ne pas dire sommaire : avec un système éducatif prodigue et pléthorique, ce ne peut être qu’à cause d’une mauvaise gestion des enseignants.
Tribune.
Lire aussi « Le fabuleux rapport de la Cour des comptes » (La vie moderne.net , blog du même auteur)
Les médiocres résultats du système éducatif français dans les comparaisons internationales ? Pour la Cour des comptes, l’explication est simple, pour ne pas dire sommaire : avec un système éducatif prodigue et pléthorique, ce ne peut être qu’à cause d’une mauvaise gestion des enseignants.
Partant de cet aimable postulat, la Cour des comptes, dans son dernier rapport « Gérer les enseignants autrement », a multiplié les recommandations décapantes pour notamment « réformer » le statut des enseignant sur le modèle des pays où, selon elle, on réussit aussi bien à moindre coût. Ainsi propose-t-elle, dans le second degré :
- de rendre les concours académiques ;
- de confier aux chefs d’établissement le recrutement (avec candidatures et entretiens, sur le modèle du privé, ce qui risque d’être amusant dans les établissements difficiles) et même l’évaluation pédagogique des enseignants (collective pendant qu’on y est) ;
- de moduler et d’annualiser leurs obligations de service ;
- de les rendre polyvalents, voire d’en faire des surveillants, des répétiteurs et des remplaçants au pied levé ;
- de les contraindre au travail en équipe tout en faisant accéder certains d’entre eux à des fonctions de management ;
- d’unifier le primaire et le collège, etc.
Quelle fougue réformatrice, et qui s’appuie (quand ça l’arrange) sur les « besoins des élèves » pour mieux convaincre, sauf lorsqu’il s’agit de réduire l’offre de formation par exemple ! Ses demandes de flexibilité tous azimuts sont pleines de poésie : des heures d’enseignement flexibles, des emplois du temps et des classes changeant chaque semaine, des programmes eux-mêmes différents selon les élèves ! Bref faire en sorte que l’Education ne soit plus nationale.
Un postulat de départ artificiel
Tout ceci serait très intéressant si le postulat de départ n’était pas quelque peu artificiel.
Certes les résultats du système éducatif français évalués par l’OCDE sont moyens, mais ils sont comparables à ceux des Pays-Bas ou de l’Allemagne et la baisse entre 2000 et 2009 n’est que de 1,5%.
Dans la même période la France a perdu 7% de ses enseignants dans le second degré. La baisse est même de 9% des enseignants entre 2000 et 2012, avec pourtant 12% d’élèves de plus allant jusqu’au niveau terminale (notamment dans la voie professionnelle, la plus coûteuse : professeurs spécialisés, ateliers, matériel, petits groupes etc.).
Plus grave encore : la Cour omet de rappeler que le nombre moyen d’élèves par enseignant en France était en 2011 l’un des plus élevé de l’OCDE et que le taux d’encadrement en France était au contraire tout simplement… le plus bas.
Les dépenses d’éducation ont augmenté de 2000 à 2009, comme dans tous les pays à vrai dire. Mais à bien y regarder, en proportion des dépenses publiques, elles ont baissé de plus de 10% en France quand elles ont augmenté dans tous les pays de l’OCDE ou presque.
La Cour des comptes affirme que le coût par élève est largement supérieur à la moyenne de l’OCDE dans le secondaire, « sans résultat notable sur les performances des élèves » : c’est un raccourci trompeur car PISA ne renseigne pas sur les résultats du lycée (dont les résultats sont meilleurs chaque année à en croire l’étourdissante progression au bac).
Si l’on compare les dépenses annuelles par élève de la maternelle jusqu’à la fin du collège, la France a un système éducatif presque 10% plus économique que la seule moyenne de l’Union européenne.
Salaires des enseignants : +20% dans l’OCDE, -8% en France
Bref, on est loin d’un système éducatif prodigue ou pléthorique : à dire vrai, il est même plutôt efficace avec un encadrement malingre et des moyens chétifs.
Si les professeurs semblent si nombreux et le budget de l’Education nationale si élevé, l’explication en est pourtant simple : la France a beaucoup d’enfants, un tiers de plus que l’Allemagne, par exemple.
Fort heureusement, le salaire d’un enseignant de primaire débutant en France ne représente que la moitié de celui de son homologue allemand. Il est vrai que, dans tous les pays de l’OCDE, on a compris que pour mieux recruter des enseignants plus compétents, il fallait mieux les rémunérer : les salaires des enseignants ont ainsi augmenté de 20% en moyenne dans l’OCDE pendant la décennie considérée : en France, ils ont baissé de 8%.
Campée dans sa logique libérale, la Cour proclame que la France « ne souffre pas d’un défaut de moyens » et définit ce qu’est la bonne gestion des enseignants : une « baisse globale des effectifs ». Et si les enseignants sont bien moins payés que les cadres de la fonction publique auxquels ils sont assimilés, qu’à cela ne tienne : ils n’ont qu’à perdre ce statut de cadre qui leur donne cette insupportable liberté !
Le ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon, semble d’ailleurs lui donner raison, lui qui a réformé les concours et convoqué, à l’automne, un groupe de travail sur le statut des enseignants.
Les dogmes coûteux épargnés par la Cour
S’appuyant utilement sur les nouvelles pédagogies (personnalisation, interdisciplinarité, travail en équipe, pédagogie de projet, etc.) pour mettre à bas ce statut, la Cour des comptes ne s’interroge pas en revanche sur les ravages que celles-ci ont pu causer au système éducatif français depuis qu’elles sont entrées officiellement dans l’école dans les années 90.
On pouvait en effet s’attendre à une progression spectaculaire des résultats car jamais on n’a autant réformé l’école, avec la mise en place des IUFM et ses cohortes de formateurs, d’experts en sciences de l’éducation et maintenant de techno-pédagogues (puisque les nouvelles technologies viennent au secours des nouvelles pédagogies).
L’égalité des chances, devenue la réussite de tous, les diplômes de « bacotille », le lycée pour tous ou presque avec accès universel à l’université : autant de dogmes coûteux que la Cour des comptes ne remet pas en cause. Rien non plus sur la gabegie numérique des conseils régionaux et départementaux, plus experts en démagogie qu’en pédagogie.
En Finlande, au pays merveilleux de la réussite éducative, les dépenses d’éducation, les rémunérations des enseignants et les taux d’encadrement sont autrement plus élevés qu’en France. Et pourtant la sélection à l’entrée à l’université y est drastique et même les lycées choisissent leurs élèves.
Non, si rien ne va plus dans le système éducatif français, pas de doute : c’est la faute à une mauvaise gestion des enseignants.
Avec des propositions si malveillantes à l’égard du corps enseignant, ce n’est pas demain que cessera l’effarante pénurie aux concours de recrutement en France, et ce même en période de crise.
Lire aussi la Tribune ci-dessous de Thomas Coutrot, Pierre Khalfa, Jean Loye
Membres d’Attac et de la Fondation Copernic
La Cour des comptes, décideur politique ?
Ses orientations ultralibérales la font sortir de son rôle
« La Cour des comptes exige des coupes d’urgence dans les dépenses sociales » , titrait Le Monde du 28 juin, qui redoublait en pages intérieures par cette précision : « La Cour des comptes exige des mesures d’urgence » . Ces titres résument parfaitement le problème posé actuellement par l’activité de la Cour : elle " exige " la mise en œuvre d’un certain type de politiques publiques.
Est-elle dans son rôle ?
La Cour des comptes est une juridiction financière d’ordre administratif. C’est l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui définit sa mission : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » C’est là sa charte fondamentale, inscrite au fronton de sa " grand-chambre ". Certes, depuis lors, ses missions ont été élargies ; tout récemment encore, en 2008, une réforme constitutionnelle est venue lui donner une mission nouvelle. Désormais, selon l’article 47-2 de la Constitution, « la Cour assiste le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la Sécurité sociale ainsi que l’évaluation des politiques publiques » .
Son rôle était historiquement clair et il le demeure : jugement et certification des comptes, contrôle de la bonne exécution des lois votées par le Parlement, évaluation a posteriori des politiques publiques. Elle doit s’en tenir à examiner les politiques publiques, à juger si elles ont été conduites selon les règles du droit et si elles ont été efficaces par rapport à leurs objectifs. En aucun cas, la Cour ne peut prescrire des politiques publiques, qui relèvent du seul débat démocratique et de la décision politique.
Or, depuis quelques années, la Cour tend à outrepasser son rôle, évolution qui s’est encore aggravée depuis la nomination de Didier Migaud à sa tête, et les rapports se multiplient qui promeuvent une orientation politique ultralibérale. Le dernier en date, " Situation et perspectives des finances publiques 2013 ", n’y échappe pas. On y retrouve tous les poncifs concernant les dépenses publiques. Ainsi le niveau des prélèvements obligatoires serait trop élevé, affirmation dépourvue de sens si on n’indique pas quels sont les services fournis en contrepartie, très différents suivant les pays, ni que ce niveau reflète simplement le degré de socialisation d’un certain nombre de dépenses qui seraient sinon effectuées de façon privée mais n’en resteraient pas moins " obligatoires ". Les recommandations, qui ressemblent comme deux gouttes d’eau aux plans d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI) ou aux mémorandums de la " troïka ", sont à l’avenant : réduction des dépenses d’intervention de l’Etat, baisse du nombre de fonctionnaires et de leurs salaires avec le gel du point d’indice et le ralentissement des déroulements de carrière, désindexation des retraites, des allocations chômage et de la plupart des prestations sociales par rapport à l’inflation...
Le paradoxe de ces recommandations est que leur mise en œuvre aurait un effet contraire à l’objectif affiché par la Cour des comptes : réduire les déficits publics. Ainsi Didier Migaud, dans son interview au Monde, note que « les incertitudes sont grandes sur le rendement de certains impôts, l’impôt sur les sociétés mais aussi, cette année, la TVA ». Cette " incertitude ", formule allusive pour indiquer que les recettes fiscales sont en train de s’affaisser, n’a-t-elle rien à voir avec la récession qui s’installe en France et en Europe ? Et cette dernière est-elle sans rapport avec les politiques que la Cour préconise depuis des années et que les différents gouvernements ont peu ou prou mises en œuvre ? Ainsi, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), dans une étude récente, note que les restrictions budgétaires en 2011 et 2012 se traduisent par une « impulsion budgétaire cumulée » de - 3,2 points de PIB.
C’est cette politique récessive que la Cour préconise aujourd’hui d’accentuer, sans se demander, au-delà même des conséquences sociales dont elle semble peu se préoccuper, si elle sera efficace pour réaliser l’objectif affiché de réduction des déficits. Or, alors que la France est déjà en récession, chacun sait - même les économistes du FMI ! - que baisser le pouvoir d’achat des fonctionnaires, des retraités, des chômeurs, et plus généralement d’une majorité de la population, ne peut avoir pour conséquence que d’aggraver la situation économique, de réduire encore les recettes fiscales... et donc d’empêcher la réduction des déficits.
Si la baisse des dépenses publiques ne peut être aujourd’hui un moyen pour réduire les déficits, pourquoi la Cour des comptes - avec l’ensemble des institutions et gouvernements européens - s’acharne-t-elle de façon obsessionnelle dans cette direction ? Il nous semble évident que, au prétexte de la réduction des déficits et de la dette publique, on cherche surtout à démanteler notre " modèle social " supposé handicaper le capitalisme français et européen dans la concurrence mondialisée. Fût-ce au prix d’une dépression, dommage collatéral à peine regretté. La Cour est institutionnellement chargée d’examiner les comptes publics et d’évaluer les politiques. N’aurions-nous pas besoin d’un organisme chargé d’évaluer les recommandations et les intentions de l’évaluateur ?