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L’Europe accorde 660 millions d’euros pour 284 chercheurs - S. Huet, Libé blog {Sciences2}, 26 septembre 2013.
lundi 30 septembre 2013, par
Découvrir la Lune et arroser où c’est mouillé.
Le Conseil européen de la recherche (ERC) vient de publier la liste d’une nouvelle série de projets sélectionnés pour un total de 660 millions d’euros, attribués à 284 chercheurs seniors (53 ans de moyenne d’âge). Parmi lesquels 18% sont des recherches en SHS, contre 45% en sciences physiques et ingéniérie et 36% en sciences de la vie. Ces financements sont accordés pour des matériels d’expériences et des salaires de doctorants et post-doctorants, leur nombre étant estimé à 1.200.
Le processus de sélection permet bien sûr de s’assurer de la qualité des projets : il n’y a que 12% de reçus sur 2.400 demandes ce qui permet a priori d’éliminer largement tout projet peu fiable. Mais revers de la médaille, cela signifie une Les bourses jeunes chercheurs 2011 par paysLes bourses jeunes chercheurs 2011 par paysperte de temps massive des demandeurs comme des jury. Un phénomène qui fut dramatique lors du permier appel d’offre de l’ERC pour jeunes chercheurs avec un taux de succès de... 3,4% en 2007, et une moyenne pour ces jeunes de 10,7% entre 2007 et 2013 (les statistiques sont ici). La situation fut pire avec l’appel d’offre Synergy Grant de 2012 (1,6% de succès !)... et à l’inverse lorsque l’on parvient à 50% de succès comme pour l’appel d’offre "preuve de concept" de 2012, cela pourrait bien signifier un calibrage trop large du concours.
Le financement par appel d’offre et concours ne garantit aucunement l’originalité ou la prise de risque scientifique, l’expérience semble plutôt montrer qu’avec ce mode de financement de la recherche c’est la science "mainstream" qui est ainsi sélectionnée, les jury se montrant plus conservateurs et prudents que des (mais pas tous) dirigeants de laboratoires ou d’Instituts dotés de capacités financière autonomes et du pouvoir d’engager des recherches sur leur propre et seule décision. D’autre part, la plupart des gagnants du processus, même s’il y a toujours des exceptions, sont déjà situés dans des laboratoires connus pour leurs performances et parmi les mieux financés. Cette politique conduit donc en majorité à "arroser là où c’est déjà mouillé", expliquent les critiques de ce système.
Découvrir la Lune et arroser où c’est mouillé [1]
Du coup, la pertinence de l’ensemble du processus mérite examen : est-il vraiment nécessaire de mobiliser des centaines d’heures de travail des chercheurs en quête de crédits et des membres des jurys pour découvrir que... les labos que tous les acteurs du système de recherche considèrent déjà comme les meilleurs sont effectivement les meilleurs ? Lorsque le directeur du laboratoire Kastler Brossel se félicite que ses équipes obtiennent des bourses de l’ERC, il souligne à quel point cela prend du temps, enlevé au travail de recherche, alors même que son labo, bardé de Prix Nobel, dispose d’une réputation qui permet aux chercheurs expérimentés de choisir parmi les meilleurs des jeunes chercheurs pour constituer leurs équipes.
En résumé, ce type de financement de la recherche découvre, au prix d’un long effort de sélection, que les équipes de physique de l’Ecole normale supérieure dirigées par les Nobel Claude Cohen-Tannoudji ou Serge Haroche sont d’un excellent niveau et doivent avoir les moyens de travailler. Ou que Stanislas Dehaene, Professeur au Collège de France, est un leader international de la recherche en neurosciences, notamment grâce à l’utilisation des instruments de classe mondiale du CEA (Neurospin). Qu’il emporte une bourse à l’appel d’offre "preuve de concept" 2013 de l’ERC permet seulement de vérifier que le Jury Statistiques ERC 2012Statistiques ERC 2012sait ce que tout le monde sait déjà. C’est une manière très lourde, et chronophage, d’enfoncer des portes largement ouvertes.
Cela ne condamne pas dans son principe un tel système de financement, mais suppose que l’on réfléchisse un peu plus sérieusement aux équilibres entre les dotations accordées directement aux directeurs de ces laboratoires d’excellence et les appels d’offres afin que ces derniers ne conduisent pas à découvrir la Lune tout en laissant de côté d’excellentes idées novatrices, mais portées par des chercheurs de laboratoires moins réputés par leurs activités passées. La vie de la recherche offre parfois de grandes surprises...
Or, la seule solution permettant d’orienter les appels d’offres vers le financements de tels projets, sortant des sentiers battus et des "priorités" fixées par les politiques et dont l’histoire des sciences à souvent montré l’inanité, consiste à assurer un financement de base élevé aux laboratoires de bonne réputation. Dans de telles conditions, le financement par appel d’offres peut être utile, si l’on s’interroge à temps sur le calibrage des appels, le niveau le plus pertinent d’organisation, le soin apporté à débureaucratiser et limiter le volume de dossiers (ils ont atteint un tel niveau de complexité que les organismes et universités qui ont le plus de succès sont ceux qui payent des personnels de niveau ingénieur à rédiger ces dossiers, un critère sans aucun rapport avec la qualité de la recherche).
À lire ici
[1] L’âne pisse toujours au gaillot (note de SLU Lyon)