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Fac : des vigiles et des caméras à Paris-VIII la libertaire ? - Paola Schneider, Rue89, 28 octobre 2013
dimanche 3 novembre 2013, par
À lire ici.
Lire aussi en pièce jointe la réponse de quelques étudiants à la dernière remarque de la direction de l’université.
« Ici, c’est la Suisse »
Pendant le week-end, les murs d’enceinte ont eu droit à un coup de décapage. Le ciment a refait surface, mais déjà les revendications reprennent du terrain. « Assemblée générale contre le nouveau règlement », peut-on lire dès l’entrée.
Il y a deux semaines, plusieurs étudiants ont bloqué le conseil d’administration de Paris-VIII, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). La présidente de l’université, Danielle Tartakowsky, prévoyait de soumettre au vote une révision du règlement intérieur, partie intégrante d’un plus large « plan de sécurisation » des lieux. Elle a fini par lever la séance.
Selon ce projet, l’accès au campus – aujourd’hui ouvert à tous – pourrait être limité aux usagers, personnels et personnes autorisées. Des contrôles réguliers pourraient être effectués par des vigiles privés.
Le plan de sécurisation prévoit par ailleurs l’installation de nouvelles caméras et la fermeture plus fréquente des locaux. Des mesures que la direction justifie en raison de vols et d’agressions à répétition :
« Nous avons eu de grands mouvements de cambriolage. Dès qu’une commande de Mac arrivait, on avait une visite dans les quinze jours. »
« Une logique de flicage »
Mais les opposants au nouveau règlement estiment qu’en tant qu’héritière du Centre universitaire expérimental de Vincennes, Paris-VIII doit conserver sa tradition d’ouverture. On touche à un mythe.
Sylvain, porte-parole du syndicat Solidaire :
« L’installation de caméras et le contrôle des cartes s’inscrivent dans une logique de flicage. Ça vise les gens qui viennent à l’université sans y être inscrits et remet en question la tradition qui veut qu’ici, on puisse faire cours dans les couloirs. »
La direction, elle, renvoie à ces pétitions émanant d’une partie du personnel Biatoss (bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers, personnels sociaux et de santé) et du corps enseignant, qui dénoncent un sentiment d’insécurité :
« Même les agents du service de sûreté nous disent qu’aujourd’hui, ils ont peur. Qu’ils habitent le quartier et qu’ils n’osent plus intervenir par peur des représailles. »
La présidence assure que les problèmes actuels sont le fait d’un petit nombre de personnes clairement identifiées contre lesquelles elle se dit démunie :
« Il y a une bande d’individus au niveau de la cafétéria du bâtiment A qui font du deal. Il ne s’agit que d’une dizaine de personnes. On leur a déjà demandé de partir, mais elles ont refusé. Elles connaissent le règlement actuel et savent qu’on ne peut pas les y obliger. »
« Ici, c’est comme une petite ville »
« Paris-VIII n’est pas comme les autres », c’est le discours qui revient dans toutes les bouches. Vestes en cuir et foulards côtoient tresses et trench-coat, une clope au bec ou une poussette au bout du bras. On s’embrasse dans les labyrinthes de carrelage blanc comme on déplie un tapis de prière dans le coin d’un escalier de fer, à l’abri des regards.
Rzzae est un ancien. L’année dernière encore, il étudiait l’informatique ici, sur Windows 95. Ce midi, comme souvent, il est venu dire bonjour aux copains. Le temps d’un splif, calé sur le gazon :
« Ici, c’est comme une petite ville. Là, t’as les Africains qui récoltent des sous pour la Guinée. Dans le bâtiment C, c’est les Chinois. Et nous, on fume un bédo, on se pose et on se casse. On est tranquilles. Mais c’est vrai qu’il y en a qui foutent le bordel. Il y a eu des bagarres et des salles brûlées. Sauf que leur sécurité, ça ne marchera pas, on est en banlieue, les gens continuerons à rentrer. »
Installé dans le hall d’entrée, Abdullah, la cinquantaine, veille sur un étal de livres à vendre. Sur les tréteaux de bois, les « Que sais-je ? » sont à l’honneur. Contrôler les cartes lui paraît « vraiment moche ». Et le reste, pas beaucoup plus reluisant :
« Je suis contre les caméras. Il n’y a plus d’intimité. Pour les vigiles, je veux bien, mais s’ils travaillent bien et qu’il n’y a pas de contrôles au faciès ou de contrôles “antijeunes”. »
« T’es déjà sorti à 21 heures ? »
Pourtant, même Rzzae l’avoue, passé 19 heures, il ne fait pas très bon se promener seul. A sa gauche, Hendly, doctorant en ethno-musicologie, esquisse un sourire amusé, l’air plutôt en paix sous ses rastas. Rzzae lui rétorque :
« T’es déjà sorti à 21 heures ? Quand tu sors vidé après un partiel et que là, t’as dix mecs devant toi. Les types, tu les as jamais vus. Je t’assure, tu traces. »
Un peu plus loin sur l’herbe, Abidin est plutôt du même avis. Il n’a jamais été agressé mais a plein d’histoires à raconter. Des vols de sac à l’arraché ou des portables rackettés. Alors oui, Abidin ne serait pas contre plus de présence humaine le soir, ni même contre quelques contrôles de cartes.
Myriam, elle aussi étudiante en master de sociologie, hausse les sourcils derrières ses lunettes :
« Ça ne changera rien. Ton portable, tu te le feras arracher à la sortie. Ils vont dépenser des milliers pour des vigiles et des caméras alors qu’on n’a même pas de portes dans les toilettes. »
Myriam marque un point. Pour beaucoup, la « zone de vulnérabilité » comme dit Abidin, ce sont les 200 mètres qui séparent l’entrée de la faculté de celle du métro. Or, à cet endroit, plus aucun règlement universitaire ne s’applique.
« Les agents de sécurité ne font rien »
Nelson est attablé au kebab à l’entrée. Paris-VIII est probablement la seule université de France où la première chose que l’on voit en entrant, c’est une épicerie suivie d’un snack. Des locaux qui n’appartiennent pas à la fac, et dont la direction compte bien faire fermer les accès donnant sur le campus.
Nelson n’a pas fait d’études, pas plus que les deux ou trois copains qui l’entourent. Pourtant, il vient ici souvent :
« C’est le quartier, ça bouge, c’est en bas de chez nous et il y a de la meuf. Le problème, c’est qu’ils ne veulent pas nous voir ici, pourtant on fait rien de mal. S’ils se ferment, ça va ne faire qu’empirer les choses. »
Il ne nie pas des problèmes, mais voit déjà les solutions :
« On embauche deux ou trois jeunes rangés du quartier, et c’est bon ! Les agents de sécurité ne font rien. Si une fille se fait agresser, je le vois avant eux. »
Sur fond sonore râpeux, venu remplacer la musique espagnole des syndiqués, Nelson assure : « Ici, c’est la Suisse. »
« Eviter la forteresse »
A deux tables de là, trois professeurs discutent autour d’un café. Alain Sinou enseigne l’urbanisme et apprécie la solidarité qui règne entre membres du personnel, autant que les bons rapports qu’il entretient avec la plupart des étudiants. Ce qui ne l’empêche pas de défendre l’idée de mesures sécuritaires supplémentaires :
« Il y a vraiment un gang organisé qui deale, casse et agresse. Ce nouveau règlement, c’est le prix à payer pour pouvoir les empêcher de rentrer. »
La solution apportée par la direction lui semble la meilleure, sinon la moins pire :
« Pour moi, mieux vaut une présence humaine, particulièrement le soir, plutôt qu’un véritable filtrage comme ça se fait ailleurs, via des portillons. »
Professeur de philosophie, Charles Ramond ajoute :
« C’est bien connu, la dégradation attire la dégradation. Il faut absolument réhabiliter les locaux. »
Des mesures floues
Les étudiants mobilisés se sentent visés. Ils craignent que Paris-VIII ne devienne une fac aseptisée, aux murs immaculés et aux allées vides. Certains voient dans ce nouveau règlement une volonté de prévenir les mouvements étudiants.
La direction est exaspérée :
« C’est une poignée d’étudiants qui fait beaucoup de bruit et avec une drôle de conception de la démocratie. Nous n’attaquons pas la liberté syndicale, c’est un fantasme. Que font-ils, eux, pour être plus en lien avec le territoire ? La plupart viennent de Paris et ne connaissent pas la Seine-Saint-Denis. »
Fantasmes ou inquiétudes légitimes, le manque de transparence qui entoure le projet rend le verdict difficile. Mais Vincennes l’expérimentale prend le pli et emboîte le pas aux autres facs parisiennes sur la pente du contrôle.