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Universités et universitaires sous tutelle - Jean Fabri, Invité de Mediapart, 15 janvier 2014
samedi 18 janvier 2014, par
Jean Fabbri, directeur de l’UFR Sciences et Techniques de l’université de Tours, et ancien secrétaire général du Snesup-FSU, déplore la « caporalisation » induite par le décret réformant le statut des enseignants chercheurs, actuellement en discussion.
Le gouvernement vient de franchir un pas bien plus que symbolique dans la prise de contrôle technocratique de l’enseignement supérieur.
Première étape en 2004 : le pilotage direct de la recherche par le biais d’appels d’offres ciblés sur des thématiques – appelées aujourd’hui innovantes – qui visent exclusivement à combler par l’effort public de recherche les défaillances et le désengagement des entreprises privées.
Ultime étape ces jours-ci : la refonte du statut des enseignants-chercheurs (professeurs et maîtres de conférences) caporalise un peu plus encore des métiers qui n’ont de sens que dans ce que la loi appelle « la liberté académique ». Le Comité technique universitaire réuni le 9 janvier, qui avait pour objet une modification du décret statutaire de ces personnels, en est la sombre illustration.
On s’en souvient peut-être, la précédente modification de ce statut avait mis dans la rue, durant l’hiver 2009, plusieurs dizaines de milliers d’universitaires. Valérie Pécresse, placée à la manœuvre par le président Sarkozy, entendait parachever par ce moyen la recomposition de la recherche et de l’enseignement supérieur français, baptisée loi Libertés et responsabilités des universités (LRU). Pour autant, le pouvoir politique et les quelques universitaires de son cortège ont tenu alors à assumer leur rôle en se confrontant aux grévistes et à des instances de discussion liées à une représentation syndicale largement hostile, qui a obtenu ainsi quelques concessions.
Changement de cadre ce 9 janvier – vécu avec stupéfaction : la prise de pouvoir de la technostructure. Ni la ministre ni aucun membre de son cabinet, ni le moindre universitaire des directions centrales, mais une phalange d’énarques pour décider des plus hauts enjeux en matière d’avancées scientifiques, de perspectives d’organisation et de cohérence des enseignements, de l’unité des missions et de la diversité des modes de production et de diffusion des savoirs selon les champs disciplinaires.
Au-delà du mépris ainsi affichée par Geneviève Fioraso et son entourage à l’égard des 60 000 enseignants-chercheurs (des plus jeunes débordant d’enthousiasme aux plus chevronnés, prix Nobel et médailles Fields) dont les conditions de recrutement, de carrière, de travail vont se trouver modifiées, cela signe un sérieux recul dans les valeurs de notre système politique dont nombre d’entre elles sont directement issues du siècle des Lumières et de la Révolution française. Le respect de la démarche scientifique et de ceux qui s’y plient avec abnégation figurait jusqu’ici avec continuité dans notre histoire.
Ce qui est en jeu est considérable. Les lois LRU et Fioraso (juillet 2013) ont ajouté au rôle des établissements d’enseignement supérieur une multitude de « responsabilités » (à la fois sans leviers et sans transferts de moyens) allant de l’insertion professionnelle à l’aménagement du territoire en passant par l’innovation technologique et le transfert vers le monde économique privé ou de service public.
Il est donc essentiel – c’est l’objet du décret – de caractériser au plus juste le travail qui incombe spécifiquement aux enseignants-chercheurs au sein des établissements (universités, écoles..) où coexistent aussi des milliers d’autres salariés. La formulation arrachée en 2009 – comme en attestent les minutes des discussions statutaires tenues dans le contexte que l’on sait – est claire : « Les enseignants-chercheurs ont la double mission de recherche et d’enseignement, ils concourent à l’accomplissement des missions du service public de l’enseignement supérieur. »
Aujourd’hui, accompagnant les difficultés budgétaires, s’exercent de lourdes contraintes et pressions sur les personnels : faire plus avec moins. Moins d’heures pour assurer les cours, TD, TP ; moins de temps à consacrer à la maturation des idées nouvelles en recherche… mais course effrénée aux publications. Moins de techniciens pour les appareils sophistiqués, moins de moyens pour encadrer les étudiants et leurs stages. Se met donc en place une gestion purement managériale, bardée d’indicateurs statistiques ou qualitatifs, tendant à contrôler au plus près les universitaires avec l’objectif d’alourdir leur charge de travail tout en la déqualifiant et en ayant de plus en plus recours aux personnels précaires.
C’est cette logique que le gouvernement entend traduire dans le nouveau décret. Une fois de plus, il n’a trouvé aucun soutien (9 voix contre, 4 abstentions) mais il passe en force. Science ou logique libérale : le gouvernement a choisi. Ici comme ailleurs nous savons qu’il fait fausse route et qu’il nous faut résister … pour la science, pour les étudiants !