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"Naissance de la plus grande université de France", par Catherine Rollot, "Le Monde" du 30 septembre 2008
jeudi 2 octobre 2008, par
Pour lire l’article sur le site du Monde.
Au premier abord, la tour de chimie de l’université Louis- Pasteur ne symbolise pas la modernité. Plantée au milieu du campus de l’Esplanade, à quelques encablures de la cathédrale de Strasbourg, c’est un bloc de béton des années 1960. L’intérieur n’est pas plus avenant. Des ascenseurs à bout de souffle vous conduisent péniblement jusqu’à des étages presque tous désaffectés. Pourtant, c’est au 14e étage de cette tour que se construit la future université de Strasbourg.
Anne Goudot est la cheville ouvrière d’un projet encore unique en France qui consiste à regrouper trois universités en une seule. Fini les Strasbourg-I, II et III : les universités Louis-Pasteur, Marc-Bloch et Robert-Schuman donneront naissance au 1er janvier 2009 à l’université de Strasbourg (UDS) qui, avec 42 000 étudiants, sera le plus grand établissement d’enseignement supérieur de France.
Coordinatrice opérationnelle du projet, Anne Goudot veille à la bonne marche de cet "énorme chantier de construction". Passer de trois établissements à un seul nécessite une réorganisation générale des services et du mode de fonctionnement qui mobilise plus de 400 personnes. Pendant longtemps, le seul lien entre les trois établissements a été leur proximité géographique. Jusqu’en 1970, ils formaient l’université de Strasbourg. Ensuite, chacun s’est développé de son côté. Louis-Pasteur (Strasbourg-I), la scientifique, est devenue le poids lourd de la famille : 18 100 étudiants, 1 500 enseignants et enseignants-chercheurs, - deux fois plus que les deux autres établissements réunis -, 59 laboratoires de recherche et une bonne place (99e) dans le classement de Shanghaï...
L’université est tournée vers la recherche, mais elle se retrouve aussi avec la psychologie, la géographie et l’économie. A ses côtés, Marc-Bloch (Strasbourg-II), 11 300 étudiants, offre la palette classique des lettres et sciences humaines, auxquelles s’ajoutent les sciences et techniques des activités physiques et sportives et les très pointues facultés de théologie catholique et protestante. Enfin, la plus petite, 10 000 étudiants, Robert-Schuman (Strasbourg-III), regroupe droit, sciences politiques, management, mais aussi un peu de sciences appliquées.
Les trois voisines fonctionnent selon un calendrier universitaire et des règlements d’examens différents. L’idée d’un regroupement naît en 2003 sous l’impulsion des trois présidents d’alors. Florence Benoît-Rohmer, actuellement présidente de l’université Robert-Schuman, est la seule "survivante" du trio de départ. "Au fil des discussions, j’ai été convaincue que ce regroupement allait faciliter, pour les étudiants, de vraies possibilités de cursus interdisciplinaires. Par ailleurs, il offre des avantages en matière de recherche et devrait nous permettre de rivaliser avec les universités européennes."
La bonne entente entre les présidents, l’aiguillon du classement de Shanghaï, la proximité de l’Allemagne et de la Suisse, où le modèle de l’université unique est à la mode, constituent autant d’arguments qui permettent au projet de mûrir. Il faudra pourtant attendre encore trois ans avant que ne se constituent des groupes interuniversitaires chargés d’étudier la faisabilité du projet. Un temps nécessaire aussi pour tenter de juguler les craintes suscitées par la fusion, notamment celle de voir la puissante université Louis-Pasteur écraser ses voisines. "30 % de nos étudiants sont non scientifiques. Penser que nous avons une vision hégémonique des sciences est faux", s’insurge son président, Alain Beretz.
Un projet d’établissement commun pour 2009-2012 a été adopté le 26 février par les conseils des trois universités, à une large majorité (80 %). L’université unique est sur les rails. Mais tout n’est pas réglé. Bernard Michon, président de Strasbourg-II, ne cache pas qu’il défend cette fusion "davantage par raison que par passion". "La faiblesse d’un établissement et d’une discipline est dans l’isolement. Je préfère donc en être", déclare l’universitaire qui avoue encore avoir à convaincre en interne. "Certaines composantes de nos universités sont très sous-encadrés. On me dit : "Nous sommes déjà pauvres, la fusion ne va pas arranger les choses.""
Du côté des étudiants, c’est l’indifférence ou l’inquiétude qui domine. "C’est la mort des petites filières", estime Julie Joho, présidente de l’UNEF de Strasbourg. D’autres, à l’image de l’Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg (Afges), jugent le projet frileux. "Il ne sera pas possible pour un étudiant de construire un parcours vraiment pluridisciplinaire, car les calendriers ne sont pas encore assez harmonisés", considère le président de l’Afges, Maximilien Cartier. "Comment voulez-vous que tout soit calé avant que nous soyons ensemble", se défend Alain Beretz. Le 1er janvier 2009 est un point de départ, pas une fin."
Catherine Rollot