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La continuité des réformes dont le but n’est pas la liberté de chercher - Dina Bacalexi, Daniel Steinmetz, "L’Humanité", 13 février 2014
dimanche 16 février 2014, par
TRIBUNE.
Dans l’Humanité du 3 janvier 2014 [1] , Martin Andler et Laurent Daudet, responsables de l’enseignement supérieur et de la recherche au think tank Terra Nova, la « boîte à idées » du Parti socialiste, ont fait l’éloge de « l’autonomie des universités » et la promotion de la loi dite Fioraso, que la communauté scientifique a, à juste titre, baptisée « loi LRU2 ». La défense d’une prétendue « autonomie » (« liberté et responsabilité des universités ») n’est qu’une façon d’entériner une politique qui poursuit celle de l’ère Sarkozy. D’ailleurs, l’actuelle ministre l’avait annoncé avec une forte dose d’hypocrisie dans l’exposé des motifs de sa loi : elle adoptait une « méthode pragmatique » sans remise en cause systématique du passé, pour « préserver un milieu académique déjà fortement déstabilisé par la succession désordonnée de réformes (…) dont il a fait l’objet au cours du dernier quinquennat ». Les auteurs de la tribune semblent satisfaits de cette continuité. Dans l’esprit des « grandes coalitions » à l’allemande ?
Les auteurs incitent à « faire confiance à l’autonomie ». Mais la communauté s’est sentie trahie à plusieurs reprises. La loi LRU, promulguée par Valérie Pécresse en 2006, a inauguré le désengagement de l’État que poursuit si bien la loi Fioraso. Elle n’a pas seulement créé les difficultés des universités par « manque de transfert des ressources ». Elle a posé la première pierre d’un financement supposé libre, soit via une hausse des frais de scolarité, soit par différents contrats et partenariats public-privé, qui ont ouvert la voie à une formation et à une recherche sous influence. Ce que la loi Fioraso a institutionnalisé, en faisant du « transfert » direct et immédiat des résultats de la recherche publique aux entreprises une de ses missions principales, avait commencé avant. En incitant les universités à « devenir des centres de coûts et de profits » et à « augmenter leur chiffre d’affaires » (les Échos du 23 janvier 2014), en affichant son accord total avec le Medef qui réclame « le copilotage des formations » (les Échos du 8 décembre 2013, interview croisée avec Pierre Gattaz), la ministre rend les armes du service public de l’université et de la recherche. Est-ce cela que veulent les promoteurs de « l’autonomie » ? On nous parle de la différence avec le ministère Pécresse, en voulant faire croire que les scientifiques sont mieux écoutés aujourd’hui. Le ministère Fioraso a certes organisé des assises, simulacre de concertation pour notables sans écho dans les laboratoires, les amphis, les services. Il n’en est resté que ce qui était déjà écrit et décidé. Il en est de même à chaque étape : auditions, rapports qui se succèdent, mais en voyant le résultat, on s’interroge sur l’utilité des processus qui durent des mois et aboutissent à des décrets copiant ceux de l’ère Pécresse. La « confiance » que nous conseillent les auteurs ne se décrète pas. Les manœuvres actuelles pour former les « communautés d’universités et d’établissements » (c’est-à-dire une seule université par région et trois ou quatre pour l’Île-de-France) montrent l’opacité des procédures et des jeux de pouvoir. La « politique de site » qui prône la « rationalisation » des offres de formation et de recherche, leur soumission, en réalité, aux exigences du patronat local, se met en place sans aucun contrôle citoyen. Elle empêche les véritables coopérations (qui ne sont pas des concurrences) scientifiques, le développement concerté de liens, parfois historiques, entre recherche, industrie et territoires. C’est tout le contraire de la « dynamique » ou des « opportunités » vantées par les partisans de « l’autonomie ». Quand on a vu des laboratoires florissants se déliter pour cause d’adaptation forcée au lit de Procuste de la politique de site, quand on a touché du doigt la souffrance des collègues « mutualisés » sans cesse, de ceux qui n’arrivent plus à travailler, tant « l’autonomie » les oblige à être maîtres de leur propre financement, quand on a vu diverses sociétés privées se servir de la recherche publique comme d’une vache à lait bien commode, on n’a plus envie de « se saisir des opportunités » de la loi Fioraso juste parce qu’elle porte le nom d’une ministre estampillée de gauche.
Les auteurs voient un « climat d’apaisement » qui règne aujourd’hui dans le monde scientifique. N’est-ce pas plutôt la résignation, l’individualisation ? Ceux qui dénigrent l’université et la recherche françaises, qui ne jurent que par leurs pans « excellents » (les « programmes d’investissements d’avenir » se succèdent et se ressemblent, de Pécresse à Fioraso) ne s’embarrassent pas du quotidien des personnels et des étudiants. Ne plus se voir accorder par l’État le financement et la reconnaissance mérités engendre la dévalorisation de soi et éloigne les jeunes des carrières scientifiques, d’autant plus que les postes se réduisent et la précarité augmente. Ne plus croire en sa capacité de produire un travail de qualité incite à se tourner vers des expédients : indicateurs et courbes bibliométriques, contrats prédateurs, programmes censés nous rendre « compétitifs » dans une sorte de bourse scientifique mondiale.
De nouvelles preuves montrent la nocivité de « l’autonomie ». L’université de Strasbourg, pionnière et exemplaire quant à sa mise en œuvre, voit son budget amputé sévèrement. Elle est obligée d’établir des « priorités », c’est-à-dire de choisir ses survivants. Un article d’enseignants-chercheurs de l’université Versailles-Saint-Quentin (Libération du 16 décembre 2013) expliquait que, malgré l’adaptation à « l’autonomie », l’établissement se retrouve piégé et découvre (mieux vaut tard que jamais) que ce système est « inadapté à un fonctionnement correct du service public ». Si les « bons élèves » ne sont plus récompensés, c’est qu’il ne faut pas « faire confiance » à des réformes dont le but n’est sûrement pas la liberté de chercher, d’enseigner, de choisir ses associés publics ou privés, mais l’asservissement. Peut-être pas à un État « jacobin » fantasmé dont parlent les auteurs, mais sûrement à un patronat, à un capital, qui n’ont que faire de la science. Nanties des cadeaux du crédit impôt recherche, du crédit d’impôt compétitivité emploi ainsi que des nouveaux allégements des « coûts », les entreprises pourront venir offrir leurs services (et se servir) dans les universités « autonomes ».
Nous nous y opposerons. Animés non par un quelconque « corporatisme » ou un désir de « retour au paradis perdu », mais par l’esprit du service public.
Dina BACALEXI, Ingénieure de recherche CNRS, élue SNTRS-CGT, et Daniel STEINMETZ, Secrétaire général du SNTRS-CGT.
[1] lire ici, notamment cette merveilleuse rengaine à peine amalgamante sur l’immobilisme des universitaires « Ainsi, l’année écoulée a vu se mobiliser les hauts fonctionnaires pour retarder l’accès des titulaires d’un doctorat à la haute fonction publique, les défenseurs de la langue française pour tenter d’interdire les enseignements en anglais dans les universités (les grandes écoles étant, pour leur part, autorisées à faire ce que bon leur semble), les universitaires pour maintenir un système centralisé de contrôle des recrutements, les syndicats étudiants pour maintenir le système absurde d’une sélection entre les deux années de master… et on en passe. D’où un texte législatif fait de nombre de compromis et de nombre d’obscurités qui en font perdre le sens profond et encadrent souvent trop une initiative qui aurait dû être libérée davantage. »