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« Il faudrait oser dire qu’il y a aujourd’hui trop de stages » - Le Monde - 18.02.2014 - Propos recueillis par Pascale Krémer
mercredi 19 février 2014, par
Le juriste Vincent de Briant et le sociologue Dominique Glaymann, enseignants-chercheurs à l’université Paris-Est Créteil, ont coordonné l’ouvrage Le Stage, formation ou exploitation ? (Presses universitaires de Rennes, 2013).
De quand date le développement des stages ?
La pratique remonte à la création des écoles d’ingénieurs, au XVIIIe siècle. Au XXe siècle, elle a gagné les écoles de commerce, puis le reste de l’enseignement supérieur avec la création des diplômes professionnalisants (DUT, BTS, DESS, licences professionnelles). Mais l’explosion du nombre de stages date des années 1980-1990.
Comment s’explique cet essor ?
Il est principalement dû au sous-emploi chronique que connaît la France depuis trente-cinq ans ; plus précisément, à la concomitance de deux massifications : celle du chômage des jeunes et celle de l’enseignement supérieur. Les difficultés d’insertion professionnelle des diplômés ont poussé à s’interroger sur la qualité de leur formation. L’enseignement supérieur a été rendu responsable, injonction lui a été faite de développer le caractère professionnalisant de ses formations.
En même temps, les entreprises, qui acceptaient jadis de financer une phase d’apprentissage, ont élevé leur niveau d’exigence. Avec la multiplication des demandeurs, elles se sont mises à embaucher des gens « immédiatement opérationnels ». Certains stages font office de période d’essai, mais peu de stagiaires sont recrutés ensuite. Une nouvelle phase de vie est apparue : celle de l’insertion professionnelle, ces quatre, cinq, six années de précarité entre la fin des études et le premier emploi stable.
Depuis les années 1990, le phénomène s’est accéléré ?
Les chiffres sont rares, la question est assez taboue, mais oui, on a assisté à une inflation de stages. Selon le Conseil économique, social et environnemental, les stagiaires seraient passés de 600 000 en 2006 à 1,6 million en 2012 ! Un processus d’institutionnalisation des stages s’est produit, une légitimation pédagogique et idéologique, en même temps que se développait toute une réglementation.
Depuis 2007, l’insertion professionnelle est devenue une mission de l’université, le stage doit être pratiqué dès la licence. Dans la concurrence entre établissements, c’est un argument d’attractivité parce qu’il apparaît comme la solution miracle au chômage des jeunes diplômés.
Vous doutez de cette efficacité ?
Les stages sont d’excellents outils de formation, de socialisation et de préparation à la vie active, à condition d’être réalisés dans de bonnes conditions. Or, leur inflation incontrôlée finit par les rendre souvent inefficaces, voire contre-productifs. Plus il y a de stages, plus il y a de mauvais stages. Comment le monde du travail pourrait-il fournir 1,6 million de tuteurs chaque année ? La qualité est sacrifiée. Quand on demande aux jeunes ce qui va leur permettre de trouver un emploi, ils placent les stages en tête. Mais après embauche, ils disent avoir trouvé grâce à leurs relations personnelles ou professionnelles…
Il y a une surestimation complète du stage. Le fait qu’une minorité décroche ainsi un emploi n’en fait pas une bonne solution collective. Le stage peut être utile à ceux qui n’ont pas de réseau ou à ceux qui, aux yeux de certains employeurs, n’ont pas la bonne couleur, le bon nom, la bonne adresse. Grâce aux stages, ils montrent ce dont ils sont capables.
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Vous dénoncez par ailleurs certains effets pervers des stages ?
Ils ont conduit à la suppression de postes de débutants. Ce sont désormais des stagiaires qui les occupent. Ces stages détournés n’ont plus rien de dispositifs de formation, ce sont des substituts à l’emploi qui alimentent la précarité. Et les entreprises privées ne sont pas les seules concernées. Le secteur associatif, les administrations aussi se saisissent de cet effet d’aubaine pour bénéficier d’un personnel formé sous-payé.
Pensez-vous que la loi puisse limiter ces dérives ?
Il y avait déjà tout un arsenal législatif. Le problème, c’est l’application. Mais il aurait surtout fallu oser dire qu’il y a aujourd’hui trop de stages. Or, dans la loi, dès l’exposé des motifs, on lit qu’« il convient de les développer dans les cursus de formation »… Il faut aussi limiter leur durée. Au-delà de quatre mois, le jeune fait le même travail qu’un salarié débutant. Donc soit il est recruté, soit il retourne à ses études, soit il obtient une année de césure.