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Enseignement supérieur : l’augmentation des frais d’inscription est dangereuse - blog "Chez les économistes atterrés", Rue89, 26 février 2014

jeudi 27 février 2014, par Elisabeth Báthory

Récemment, les écoles d’ingénieurs publiques des Mines et des Télécom viennent de décider une augmentation des frais d’inscription de 1 000 euros pour les étudiants européens et de 3 000 euros pour les autres. Certains instituts d’études politiques, notamment Sciences-Po Paris, l’ont déjà fait. L’université Paris-IX Dauphine, qui a le statut de grand établissement, a déjà créé des masters 2, et depuis peu des masters 1, à frais d’inscription élevés (jusqu’à 4 200 euros).

Ce statut permet de créer des diplômes de grand établissement et ainsi de fixer des frais d« inscription non réglementés. L’université de Lorraine est également passée sous ce statut lors de la fusion des différentes universités qui la composent, mais n’a pas encore augmenté ses droits de scolarité. A côté de ces établissements publics, les frais d’inscription des écoles de commerce et de gestion ont connu une très forte croissance ces dernières années. Ainsi HEC a-t-il augmenté leur niveau de plus de 70% en sept ans. Dans certaines écoles, le montant des frais d’inscription atteint plus de 10 000 euros par an.

La quasi-gratuité remise en question ?

Un certain nombre d’universités se trouvent aujourd’hui à la limite de la cessation de paiement. Cette situation contraste avec les 6 milliards de crédit impôt recherche (CIR) offerts aux entreprises, qui permet une déduction d’impôt en fonction de la part des dépenses consacrées à la R&D (déduction de 30% des dépenses jusqu’à 100 millions d’euros, 5% après). Pourtant, l’efficacité du CIR en matière de R&D reste à prouver. Au contraire, il semble surtout créer des effets d’aubaine, autrement dit les entreprises qui en bénéficient auraient de toute manière consacré de l’argent à leur R&D en l’absence de ce dispositif. Ce dernier est même critiqué par la Cour des comptes, qui l’accuse d’être un outil d’optimisation fiscale pour les entreprises.

Cette situation financière catastrophique est une des conséquences de la loi d’autonomie des universités (LRU), mise en place par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Valérie Pécresse en 2007, loi qui accentue la fragilité budgétaire des universités. Notons, de manière anecdotique aujourd’hui, que les socialistes avaient promis de réformer cette loi. Les établissements publics d’enseignement supérieur ont aujourd’hui un fort besoin de financement. Plus les ressources publiques deviennent insuffisantes, plus la pression sur les autres sources de revenu s’accentue. Le gouvernement demande aujourd’hui aux établissements d’enseignement supérieur d’aller chercher de l’argent du côté des entreprises. Or, de l’autre côté, l’Etat subventionne les entreprises par des crédits d’impôts ou des défiscalisations… Cherchez l’erreur !

La dette étudiante, une bombe à retardement

Les difficultés budgétaires s’accroissant, l’idée que les étudiants participent de façon plus importante à leurs études supérieures commence à émerger. Or, cette pratique serait catastrophique pour plusieurs raisons.

D’une part, une augmentation des frais d’inscription empêcherait les étudiants issus des milieux les moins favorisés d’accéder aux études supérieures en créant une barrière supplémentaire à l’entrée. Or, ceux-ci sont déjà sous-représentés aujourd’hui dans l’enseignement supérieur. Des frais d’inscription élevés, assortis à des mécanismes de prêts étudiants – comme c’est aujourd’hui le cas dans de nombreux pays libéraux – constitueraient un fardeau sur de longues années pour de nombreux étudiants, notamment ceux qui sont les plus fragiles économiquement.

D’autre part, les exemples étrangers nous montrent que la dette étudiante est potentiellement une bombe à retardement. La dette étudiante aux Etats-Unis est aujourd’hui de plus de 1 000 milliards de dollars et le taux de défaut des prêts étudiants est passé de 5% en 2008 à 10% en 2011. Les Etats-Unis n’ont-ils pas retenu les enseignements de la crise des subprimes qui a ébranlé l’économie mondiale ? C’est justement lorsque le taux de défaut atteint un certain niveau qu’un mécanisme de vente en cascade se déclenche et que l’éclatement de la bulle spéculative devient inexorable.

A force d’asphyxier les établissements publics d’enseignement supérieur, le gouvernement conduit inéluctablement vers cette voie.

Pourtant, une autre stratégie est possible : celle de la gratuité de l’enseignement supérieur. Elle existe dans les pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède). La gratuité de leur système éducatif, de la maternelle aux études supérieures, y est inscrite dans la loi. Si on prend l’exemple du Danemark, tous les étudiants bénéficient de plus d’une allocation mensuelle de 783 euros pour poursuivre leurs études s’ils ne vivent pas chez leurs parents. Là encore de manière devenue anecdotique, une allocation d’étude avait été promise par un certain François Hollande alors candidat à la présidence de la République…

Sabina Issehnane et Léonard Moulin

A lire sur le site de Rue89.