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« Une perte de qualité et de crédibilité » - Politis, 17 avril 2014
jeudi 17 avril 2014, par
Une tribune déjà signée par quelque 10 000 enseignants-chercheurs tente d’attirer l’attention du gouvernement sur la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les universitaires, qui les empêche de mener à bien leurs missions de service public.
Cinq ans après le mouvement
des enseignants-chercheurs,
et alors qu’un
certain nombre d’universités
sont au bord de la faillite, une
tribune publiée début avril sur le
site change.org réclame un
changement urgent de politique
en matière d’enseignement supérieur
et de recherche (ESR).
Plus de 10 000 universitaires de
toutes disciplines, dont Alain
Trautmann ou Thomas Piketty,
se sont reconnus dans ce texte et se
sont rassemblés de manière spontanée,
en dehors des réseaux politiques
et syndicaux. Les éclairages
de Marie-Laure Basilien-Gainche [Professeure
de droit public
à l’université
Jean-Moulin
Lyon-III],
coauteure de la tribune.
Qu’est-ce qui a déclenché cette tribune ?
Une volonté de répondre à l’article
du Monde « Enseignement
supérieur : l’action prudente de
Geneviève Fioraso » (2 avril).
Pascale Laborier, professeure de
science politique à l’université
de Paris-Ouest Nanterre, et moimême
avons souhaité souligner
que, contrairement à ce qu’affirmait
étrangement l’article, la politique
menée par Geneviève Fioraso
n’était en rien consensuelle.
Certes, les enseignants-chercheurs
ne sont pas massivement descendus
dans la rue après l’adoption,
le 22 juillet 2013, de la loi relative
à l’enseignement supérieur et
à la recherche. Mais la communauté
académique et scientifique
a éprouvé une grande déception
face à ce texte, qui s’inscrit dans
la logique posée par la loi relative
aux libertés et aux responsabilités
des universités (LRU) du
10 août 2007.
La mobilisation de 2007 à 2009
n’a pas permis à la communauté
académique et scientifique de se
faire entendre des politiques. Les
Assises de 2012 non plus. Nos
dirigeants ne semblent guère se
soucier des positions affirmées
et des propositions avancées par
des collectifs comme Sauvons
l a r e c h e r c h e ,
Sauvons l’université,
Refonder l’université, ou
encore des travaux développés
par le séminaire « Les politiques
des sciences », lequel se tient tous
les mois à l’EHESS depuis 2009 !
Lassés d’une telle surdité, nous
sommes quelques-uns à avoir
rédigé cette tribune, dont le succès
inattendu est révélateur de la crise
profonde de l’université et de la
recherche.
Quelles sont les raisons de cette crise ?
Les universitaires, les chercheurs,
les personnels administratifs et
techniques s’évertuent à remplir
une mission de service public
essentielle dans des conditions
de
plus en plus dégradées.
La reconduite
de Geneviève Fioraso au poste de
secrétaire d’État est vécue par
beaucoup comme une marque de
condescendance teintée d’ignorance.
Ignorance des difficultés
rencontrées et des absurdités relevées,
comme en témoignent les tensions
lors des négociations entre
Université et ministère sur les budgets
et les formations. Ignorance
des gabegies d’argent, de temps,
d’énergie, d’intelligence, de talent
que les réformes de l’enseignement
supérieur et de la recherche
génèrent. L’enseignant finit par
passer plus de temps à évaluer
qu’à enseigner, le chercheur finit
par passer plus de temps à chercher
des fonds qu’à chercher.
Si les enseignants-chercheurs
paient le prix d’un épuisement
qui frôle pour certains le burnout,
la société française dans son
ensemble en paie aussi le prix :
son rayonnement économique,
scientifique et culturel est mis à
mal ; sa jeunesse, qui comprend
les dirigeants de demain, voit les
formations dispensées rabotées,
esquintées.
Quelles sont les conséquences de cette
situation ?
Tout le temps gâché à tenter de
concilier des injonctions contradictoires
et à conjurer les effets pervers
des réformes vient mordre sur celui
consacré à l’enseignement et à la
recherche, qui viennent à perdre
en qualité et en crédibilité. D’où la
fuite des cerveaux. D’abord celle
des étudiants, qui vont dans les
universités de nos voisins européens
suivre des formations qui
leur paraissent plus qualifiantes
(heures d’enseignement dispensé
plus importantes, séminaires
en petits groupes, méthodes de
simulation, etc.). Ensuite celle
des enseignants-chercheurs,
qui
parviennent plus aisément à
trouver un poste dans des universités
prestigieuses à l’étranger
(Londres, Amsterdam, Yale,
Columbia, Stanford, Berkeley,
New York, etc.) qu’en France.
Comment comprenez-vous la réponse de
la ministre ?
La « non-réponse » de Geneviève
Fioraso à notre tribune m’a
amusée à plus d’un titre.
D’abord parce qu’elle a cherché à
minimiser l’ampleur de la mobilisation
en affirmant que la tribune
fédérait 1,5 % des enseignants-chercheurs.
Or, 10 000 signatures
correspondent à plus de 10 % des
80 000 personnes que comptent
l’enseignement supérieur et la
recherche publique.
Ensuite parce qu’elle fait valoir
la création de 5 000 postes sur
cinq ans dans l’ESR, sans préciser
que ces postes ne sont pas pourvus
faute de budget.
Enfin parce qu’elle nous accuse
de contradictions alors même que
c’est la politique menée qui s’avère
en contradiction profonde avec
les objectifs annoncés par le gouvernement
en termes de rayonnement
international et de cohésion
sociale. Quant aux propositions,
elles existent : qu’elle les lise !
Comment expliquez-vous cette surdité ?
Une telle surdité ne me paraît pouvoir
être expliquée que par un
désintérêt de nos dirigeants pour
l’ESR, désintérêt particulièrement
inquiétant au moment où la globalisation
des échanges et des sociétés
supposerait que l’accent soit
mis en France sur ses atouts pour
l’avenir : l’enseignement supérieur
et la recherche publique.
Reste à savoir qui décide vraiment
sur ces questions. Là encore, l’inquiétude
est de mise : Vincent
Berger, conseiller à l’Élysée pour
l’ESR, vient de voir son portefeuille
élargi, alors qu’il a signé,
en qualité de président de Paris-
VII Diderot, un partenariat publicprivé
avec Vinci qui comporte de
nombreuses zones d’ombre.
Propos recueillis
par Ingrid Merckx
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