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Geneviève Fioraso recalée par la communauté universitaire - Mathieu Dejean, Les Inrocks, 8 avril 2014

dimanche 27 avril 2014, par Mademoiselle de Scudéry

Une tribune critiquant la politique menée par l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Geneviève Fioraso, et réclamant “le changement à l’Université et dans la Recherche”, a recueilli plus de 7 000 signatures en cinq jours. Demain elle devrait pourtant être nommée secrétaire d’Etat.

À lire ici. [1]

L’heure des remaniements est aussi celle des bilans pour les ministres qui quittent le gouvernement. Pour certains, tout se passe bien, et le public milite même parfois en faveur de leur maintien : l’ex-ministre déléguée à l’Economie numérique Fleur Pellerin a par exemple été soutenue par une mobilisation des entrepreneurs du Web, reconnaissants pour son travail.

Pour d’autres, la chute est lourde. Geneviève Fioraso mesure cette semaine l’hostilité que son action au ministère de l’Enseignement supérieur et de le Recherche (ESR) a suscitée dans le milieu universitaire. Depuis que Benoît Hamon a laissé entendre, lors de sa prise de fonction, qu’elle pourrait revenir au gouvernement en tant que secrétaire d’Etat (ce qui sera confirmé mercredi 9 avril), et que Le Monde a considéré le 2 avril que sa politique avait été “plutôt consensuelle”, le milieu universitaire est en ébullition.

“Montée de la colère et du découragement”

Plus de 7 000 personnes ont signé une tribune écrite par des universitaires désapprouvant la politique qu’elle a menée, considérée comme le “principal échec de la présidence Hollande”. L’autonomie imposée par la poursuite de la LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités), et l’austérité appliquée à l’université y sont dénoncées : “Il est pour le moins paradoxal qu’un gouvernement dit ‘de gauche’ poursuive la fragilisation, si ce n’est le démantèlement, des missions de service public en appelant notamment à reproduire le modèle – supposé plus efficace – de l’entreprise, loin de toute négociation ou même concertation.” Cette pétition a été remise à Benoît Hamon ce lundi.

Le “groupe Jean-Pierre Vernant”, regroupant des universitaires de gauche, relaie et soutient sur son site la pétition. De son côté, ce groupe s’était déjà fendu le 3 avril d’une lettre adressée à Benoît Hamon, annonçant que “ni la politique menée ni les méthodes employées par la ministre Madame Geneviève Fioraso ne nous conviennent”. Selon ce groupe la ministre socialiste s’est contentée “d’effets d’annonce, comme l’avait fait V. Pécresse en son temps”. Sur Twitter, certains membres de la communauté scientifique et universitaire, comme le professeur de sciences politiques Laurent Bouvet, n’hésitent pas à affirmer que la reconduction de Mme Fioraso “ne serait pas seulement une faute, ce serait une erreur”.

“Ce n’est pas une question de personne”

Cependant, les auteurs de la tribune, qui n’appartiennent à aucun cénacle politique, syndical ou universitaire, n’en font pas une question personnelle, liée à Mme Fioraso : “Ce n’est pas une question de personne, mais de système, explique Pierre-Yves Baudot, l’un des instigateurs de la tribune, maître de conférences en science politique à l’université Versailles-Saint-Quentin. C’est un coup de colère parti de la lecture d’un article du Monde, qui faisait un bilan élogieux de Mme Fioraso, totalement déconnecté de ce qu’on vit au quotidien.” Leurs aspirations sont simples en apparence : “Nous voulons une politique qui permette aux chercheurs de chercher, aux enseignants d’enseigner, et aux étudiants de travailler dans de bonnes conditions : or nous en sommes très loin.”

Selon ces universitaires, les conditions d’exercice de la profession ont drastiquement changé ces dernières années. Ils dénoncent notamment la “bureaucratisation” liée à l’autonomie des universités, le manque de moyens, la précarité, l’obligation de “se battre contre l’institution”, selon les termes de Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public à l’Université Jean Moulin (Lyon 3), à l’initiative de la tribune. La nécessité de chercher des fonds via des appels d’offre pour financer leurs recherches les exaspère particulièrement : “Le temps que nous consacrons à la recherche nous le passons à chercher des fonds, et à remplir des appels d’offre pour les obtenir, explique-t-elle. Comme nous sommes nombreux à vouloir des fonds qui sont rares, nous gaspillons beaucoup de temps pour peu de résultats. Nous ne faisons plus de la recherche, mais de la recherche de fonds. C’est du gaspillage d’argent public, d’énergie et d’intelligence”.

Espoirs déçus

Le désespoir en milieu universitaire et scientifique semble avoir atteint un point paroxystique. L’amertume, après deux ans d’alternance, n’y est pas pour rien : “Quand le président Hollande est arrivé au pouvoir, la communauté universitaire et scientifique a pensé que la casse allait s’arrêter, qu’on allait pouvoir repartir dans le bon sens avec du bon sens. En fait cela n’a pas été le cas”, remarque Marie-Laure Basilien-Gainche. Grâce à cette tribune, le monde de la recherche s’est en tout cas fait entendre. “Cette masse de signature nous dit quelque chose d’important sur l’état de colère et de découragement qui est dans nos universités”, constate Pierre-Yves Baudot.

Le nouveau ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Benoît Hamon saura-t-il l’entendre ? A l’image du PS à Grenoble, où elle a été adjointe au maire pendant de nombreuses années, Mme Fioraso semble en tout cas avoir déçu les espérances des électeurs de gauche.


[1Note de Mademoiselle de S. : « Oui, je sais, cet article n’est pas récent récent… mais pour une fois qu’un journaliste parle de "politique" et non pas de "personne", qu’il n’emploie pas les mots "grogne" ou "fronde", qu’il a lu la pétition… »