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L’inexorable paupérisation de la recherche - Yann Verdo, Les echos, 19 mai 2013
lundi 19 mai 2014, par
Deux ans après les Assises de la recherche qui avaient mis en évidence les problèmes structurels du système français, la situation des chercheurs ne s’est pas améliorée, au contraire.
Il y a ceux qui pensent que la rentrée prochaine sera « chaude » et qui ne s’étonneraient pas de voir les blouses blanches descendre dans la rue, comme aux beaux jours du mouvement « Sauvons la recherche », il y a tout juste dix ans. Et ceux qui estiment au contraire que la communauté scientifique est passée du « ras-le-bol » à la « désillusion », que l’heure n’est plus aux tribunes dans les journaux ni même aux manifestations mais à la « désertion », au « courage, fuyons ! »… L’avenir dira ce qu’il en est. Mais une chose est sûre : malgré les paroles réconfortantes du tout nouveau ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Benoît Hamon, lors du colloque dédié à la Stratégie nationale de la recherche - un exercice de prospective scientifique destiné à définir les 4 ou 5 grands axes autour desquels se concentrera le gros des forces de la recherche française en 2020 -, les chercheurs des laboratoires publics sont quasi unanimes pour dire que leurs conditions de travail se sont encore dégradées au cours des deux dernières années.
La situation était pourtant déjà très tendue il y a deux ans. En juillet 2012, Geneviève Fioraso - toujours chargée du portefeuille de l’Enseignement supérieur et de la Recherche mais rétrogradée du rang de ministre à celui de secrétaire d’Etat - lançait des Assises nationales censées faire le point sur les problèmes structurels venant gripper (le mot est faible) le système français de recherche publique. Une centaine d’auditions plus tard, un rapport listait 135 propositions, dont un certain nombre visant à remédier à la dramatique raréfaction des financements. « On peut sans exagérer parler de pauvreté des organismes et universités », écrivait alors le rapporteur général, Vincent Berger. Ce dernier est entre-temps devenu le conseiller de François Hollande pour l’enseignement supérieur et la recherche mais la situation financière des laboratoires, elle, ne s’est pas améliorée - bien au contraire. Et aucun des déséquilibres et dysfonctionnements régulièrement pointés du doigt par la communauté scientifique n’a été réglé. Tour d’horizon des sujets qui fâchent.
Des financements de plus en plus introuvables
Deux types de financement permettent aux chercheurs de faire leur travail : la dotation versée chaque année au laboratoire par sa tutelle (organisme de recherche de type CNRS ou université) et les sommes accordées pour réaliser un projet de recherche particulier, ces dernières étant accordées à l’issue d’un appel à projet. Problème : ces deux robinets ne coulent plus aujourd’hui qu’au compte-gouttes. Les dotations annuelles se sont réduites à peau de chagrin depuis une dizaine d’années. « L’argent que nous recevons de notre tutelle ne couvre même pas deux mois d’activité du laboratoire », indique le biologiste Etienne Decroly, directeur de recherche au CNRS. « Les dotations annuelles payent les crayons, à condition de ne pas les user trop vite », renchérit le vice-président de l’Académie des sciences, Bernard Meunier. Pour l’essentiel, les laboratoires dépendent donc, pour subsister, de leur capacité à remporter les appels à projet lancés par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Or celle-ci a vu son budget baisser de 850 millions d’euros en 2008 à 605 cette année, le nombre de projets financés ayant naturellement diminué à proportion. Résultat, la compétition est plus que rude pour décrocher la timbale. La proportion de projets financés est devenue tellement faible (autour de 15 %) que l’ANR a dû instaurer cette année un système de sélection en deux étapes, avec un dossier allégé pour passer le premier round.
Un nombre de postes en baisse sensible
Bien entendu, l’argent qui manque cruellement aux chercheurs en place pour effectuer leurs recherches fait encore plus défaut quand il s’agit de créer de nouveaux postes. Il y a trois ans, le CNRS, pour ne citer que lui - mais son cas n’a rien d’exceptionnel - recrutait sur l’année quelque 400 chercheurs, toutes disciplines confondues : ce quota est tombé à 300 actuellement, et une nouvelle baisse est annoncée pour l’année prochaine. Même raréfaction dans les universités, où le nombre de postes de maîtres de conférences ouverts au concours a chuté en cinq ans, de 2.000 à moins de 1.500.
Une précarité grandissante parmi les trentenaires
Conséquence directe de cet assèchement : les durées des post-doctorats se rallongent, et l’âge moyen auquel un chercheur décroche enfin un emploi stable recule toujours plus. Les postdocs, initialement conçus pour permettre aux jeunes chercheurs, une fois leur thèse bouclée, de voir un peu de pays en passant pendant deux ou trois ans d’un laboratoire (ou d’un pays) à l’autre, sont devenus une voie de garage où piétinent pendant des années des trentenaires à qui personne ne peut offrir de poste pérenne. « Il faut avoir sacrément la foi pour accepter d’attendre quatorze ou quinze ans après le bac avant d’espérer pouvoir stabiliser sa situation professionnelle, avec tout ce que cela implique pour la vie privée », note le physicien Rémi Mosseri, qui faisait partie du comité de pilotage des Assises de 2012. D’autant qu’à cet embouteillage géant s’ajoutent les effets pervers de la loi Sauvadet de 2012, favorisant la titularisation des personnels contractuels après six ans passés dans la fonction publique. Les postdocs cumulant les CDD dans un même labo en font les frais. « Quand un jeune a été formé et devient pleinement efficace au sein d’une équipe, on est contraint de s’en séparer faute de pouvoir lui offrir un CDI », se désole Etienne Decroly.
Une évaluation discriminatoire et trop centralisée
Véritable Moody’s ou Standard & Poor’s de la recherche, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres), créée par la loi-programme de 2006, a concentré sur elle le feu des critiques lors des Assises. Les notes de A à C qu’elle attribuait aux laboratoires obéraient très sérieusement, si elles étaient mauvaises, les chances de ces mêmes labos de décrocher des appels à projet et obtenir des financements, les précipitant ainsi dans la spirale de l’échec. Entendant cette critique (et d’autres), Geneviève Fioraso a supprimé l’Agence par la loi de juillet 2013. Mais est-ce pour la faire renaître sous un autre nom ? Les décrets censés préciser les contours du futur Haut Conseil à l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERS), qui remplacera l’Aeres, ne sont pas encore sortis. Pour ne pas avoir affaire à une « Aeres bis », les chercheurs réclament deux choses. Primo, que les notes soient abandonnées au profit d’un commentaire d’une page. Secundo, que cette évaluation soit faite au plus près des labos, par des comités ad hoc créés au sein des organismes ou universités de tutelle, le Haut Conseil n’étant là que pour superviser le bon fonctionnement de l’ensemble. La commission Pumain-Dardel, mise en place par Geneviève Fioraso pour profiler le futur HCERS, s’est déclarée plutôt ouverte sur le premier point, mais plutôt réticente sur le second…
Une bureaucratie galopante et chronophage
C’est bien connu : la France a le génie de la paperasse. Dans le monde peuplé d’acronymes de la recherche publique, ce sport national atteint des proportions ubuesques. « Nos décideurs ne savent pas résister à la tentation de créer un comité qui crée un sous-comité qui met au point un formulaire. Produire un formulaire, c’est une manière d’exister, et plus on en produit plus on existe », sourit Bernard Meunier. Et le probable futur président de l’Académie des sciences de pointer les ravages de la bureautique dans ce domaine : « Quand j’ai commencé ma carrière, voici quelques décennies, on hésitait à envoyer un document quelconque à 4.000 personnes, car cela voulait dire écrire 4.000 adresses et coller 4.000 timbres. Aujourd’hui, il suffit d’un clic sur une mailing-list. C’est comme cela que se créent les vastes cimetières d’informations qui parsèment le paysage de la recherche publique française. » Le propos pourrait paraître exagéré : il ne l’est pas. Passé un certain âge, nos chercheurs se transforment effectivement en machines à remplir des formulaires. « Entre les dossiers de demandes de financement, la gestion du personnel et les commandes de fournitures, je consacre bon an mal an la moitié de mon temps de travail à des tâches administratives », estime Etienne Decroly.
Recherche française : les chiffres clefs :
43,4 milliards d’euros. C’est le montant de la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD). Il représente 2,24 % du PIB, encore loin de l’objectif européen de 3 % fixé par le traité de Lisbonne.
239.600 Chercheurs. sont en activité (en équivalents temps plein), dont 99.700 dans le public et 139.900 dans le privé.
8,5 le nombre de chercheurs pour 1.000 actifs en France. Un taux qui situe notre pays derrière le Japon (10 pour 1.000) et les Etats-Unis (9,1) mais devant le Royaume-Uni (7,5) et l’Allemagne (7,8).
6e le Rang occupé par la France en part mondiale des publications scientifiques. Elle contribue à 3,9 % des articles.