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Les facultés, diminuées, grondent - Véronique Soulé, Libération, 21 mai 2014
jeudi 22 mai 2014, par
Prises à la gorge par des budgets difficiles à boucler depuis les réformes Sarkozy, nombre d’universités s’opposent à la solution du gouvernement de les regrouper en d’énormes pôles.
Une fac qui ne peut plus acheter de livres, des universitaires qui doivent apporter leurs ramettes de papier s’ils veulent imprimer un document ou qui avancent des allers et retours en train à des personnalités invitées sans certitude d’être remboursés… L’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines est, certes, une exception par la gravité de sa crise (lire ici). Mais la question du financement de l’enseignement supérieur reste toujours aussi brûlante. Et ce ne sont pas les réformes engagées ici et là qui suffisent à rassurer. Au contraire. Deux ans après leur victoire, les socialistes ont beau clamer que l’éducation reste une priorité, ils ont déçu les universitaires (lire là).
A lire sur le site de Libération.
S’il fallait une preuve du désenchantement, le succès surprise de la pétition « Le changement à l’université et dans la recherche, c’est maintenant ? », lancée le 4 avril, suffirait. Ecrit vite fait par quelques enseignants-chercheurs échangeant sur Faceboook, exaspérés que la politique menée jusqu’ici soit présentée comme étant consensuelle, le texte a recueilli en quelques jours 11 000 signatures. La secrétaire d’Etat Geneviève Fioraso a eu beau en minimiser l’ampleur ou dénoncer une attaque, voire un complot, la visant personnellement, c’est bien un malaise qui s’est exprimé à cette occasion.
Mastodontes. Simultanément, ce mécontentement assez large en a croisé un autre, plus spécifique : celui des universitaires mobilisés contre la réforme passée jusqu’ici quasi inaperçue car très technique, figurant dans la loi sur l’enseignement supérieur votée le 24 juillet 2013. Il s’agit de l’obligation faite aux universités de se regrouper avec des écoles et des établissements, en choisissant l’une des trois formes suivantes : la fusion pure et simple, l’association plus lâche ou encore la communauté d’universités et d’établissements (la Comue). L’objectif est d’arriver à environ vingt-cinq regroupements, autant que de régions, qui deviendraient les interlocuteurs privilégiés de l’Etat.
Au delà, en créant ces mastodontes qui vont souvent compter plus de 100 000 étudiants et regrouper plus d’une dizaine de membres (facs, grandes écoles, instituts, etc), on espère avoir des établissements beaucoup plus visibles sur la scène internationale, qui gagneraient des places au fameux classement de Shanghai…
Coup de com. Les détracteurs des regroupements, qui se trouvent pour l’essentiel en Ile-de-France, haut lieu de la recherche et de l’enseignement supérieur, dénoncent la volonté du pouvoir d’imposer des Comue très peu démocratiques, qui seraient dirigées par une nouvelle couche de bureaucrates et où les universitaires n’auraient pratiquement plus leur mot à dire. Sur un sujet aussi aride, ils réussissent un beau coup de com. Ils créent un groupe baptisé « Jean-Pierre Vernant » pour parodier le « groupe Marc Bloch », fondé en 2011 par des universitaires influents afin de dénoncer, sous couvert d’anonymat, la politique de Nicolas Sarkozy. Les « Marc Bloch » tireraient désormais les ficelles des réformes et se verraient bien à la tête des puissantes communautés. Aujourd’hui, les différentes initiatives se sont rapprochées et ont créé le Resau (Réseau pour l’association d’universités et d’établissements) afin de travailler ensemble.
Une bonne partie des universitaires espérait une « rupture » après les années sarkozystes. Certains rêvaient de voir abolie la loi sur l’autonomie des universités (LRU). D’autres voulaient mener bataille contre le crédit impôt-recherche qui profite aux entreprises, d’autres espéraient poser la question de la sélection à l’université ou des droits d’inscription…
Geneviève Fioraso réplique qu’elle s’est battue afin de préserver son budget et soutenir les universités fragilisées par les promesses de fonds qui ne sont jamais venus avec l’autonomie, sous Nicolas Sarkozy. Mais elle n’a pas réussi à rassurer. Au point qu’aujourd’hui beaucoup la considèrent « dans la continuité ».« Avec elle aussi, on a l’impression d’être avant tout un coût », confie même un universitaire désabusé.
Saint-Quentin, une université plus capable de se payer de livres
La fac, pourtant distinguée en 2012, est très fragile financièrement et doit rogner sur toutes ses dépenses.
A lire sur le site de Libération
Plantée au bas d’une pelouse verdoyante, la nouvelle bibliothèque universitaire (BU) en jette, avec son mur géosolaire, sa façade tubulaire en acier, ses fauteuils aux formes design où les étudiants s’enfoncent pour lire, son camaïeu de vert et gris… Le conseil régional d’Ile-de-France a voulu le meilleur pour ce learning center dernier cri, inauguré l’an dernier. Seul problème : cette année, la BU de l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, qui compte cinq autres bâtiments répartis sur ses campus, ne pourra pas acheter un seul livre. La fac a dû tailler dans le vif. Les étudiants en droit devront faire avec les manuels de l’an dernier, ceux en médecine avec des livres sur des concours ancienne version…
Aussi incroyable que cela puisse paraître dans la France de 2014, une université, censée former les esprits du futur et faire rayonner la recherche, ne peut plus acquérir d’ouvrage. Seuls les abonnements aux ressources numériques ont été maintenus - mais revus à la baisse. L’université de Versailles-Saint-Quentin (UVSQ), distinguée en 2012 comme celle faisant le mieux réussir les étudiants (18 932 au total) en licence, traverse une crise exceptionnelle. Fin 2013, elle n’était plus en mesure de payer son personnel. Il a fallu une rallonge in extremis de 800 000 euros du ministère de l’Enseignement supérieur pour franchir le précipice. Et début 2014, un nouveau prêt remboursable - on ne sait quand… - de 2,6 millions d’euros a été accordé pour l’aider à repartir du bon pied.
Toutefois ces problèmes ne surgissent pas de nulle part. La situation de l’université illustre un problème plus général, celui d’un monde universitaire toujours trop pauvre et chamboulé par une succession de réformes souvent précipitées. Selon le ministère, une quinzaine d’universités (sur les 82) se trouvent « en grande fragilité » car elles n’ont pratiquement plus de fonds de roulement (les réserves de trésorerie). Cela signifie qu’au moindre dérapage, elles se retrouveront dans le rouge. De plus, quatre à cinq universités accusent un déficit pour la deuxième année consécutive, signe inquiétant d’une faiblesse structurelle.
Postes gelés. Le président de Versailles-Saint-Quentin, Jean-Luc Vayssières (un professeur de biologie), veut croire en un début de reprise. « Nous terminons 2013 avec un déficit de 70 000 euros contre 5,2 millions d’euros en 2012, et ce pour un budget total de 140 millions d’euros, explique-t-il. Nous avons même réussi à reconstituer un petit fonds de roulement de 45 000 euros. » L’université s’est engagée dans un plan d’économies drastiques sur trois ans, avec la promesse d’un budget ramené à l’équilibre en 2016, sans l’aide des subsides de l’Etat.
Mais le président ne cache pas que le prix à payer est très lourd. « On a dû procéder à des coupes importantes, on a gelé des emplois [ce qui revient à les supprimer, les postes existant toujours sur le papier mais personne n’étant nommé, ndlr], et les effets sont très durs », souligne-t-il, en vapotant - sa consommation de cigarettes ayant atteint des sommets avec la crise.
Toute une série de mesures de « rationalisation » ont déjà été prises en 2013. On a fermé des masters qui comptaient moins de 12 étudiants. Les achats se font désormais au travers de regroupements. Les tarifs du gaz et de l’électricité ont été renégociés à la baisse. Surtout, les conditions du partenariat public privé (PPP) qui portait sur un vaste projet d’installations énergétiques écologiques, ont été revues. Mal négociée à l’origine, l’opération revenait beaucoup plus cher à l’université que si, au lieu de la confier au privé, elle l’avait gérée directement. A l’arrivée, le contrat revisité va lui permettre d’économiser entre 300 000 et 400 000 euros par an…
« Je gère la pénurie ». Après que l’Etat et la présidence de la fac se sont renvoyés la balle, il est acquis que chacun porte sa part de responsabilité. Sous Nicolas Sarkozy, la ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse, auteure de la loi sur l’autonomie (la LRU), avait le don pour raconter des contes de fées. Avec l’autonomie, répétait-elle, les universités allaient devenir riches, se développer toujours plus, faire ce qu’elles voulaient de l’argent déversé par l’Etat… Versailles-Saint-Quentin fut l’une des premières à se lancer. Elle a alors ouvert des formations, recruté des enseignants, les effectifs étudiants ont bondi, les primes distribuées aussi… Et le ministère, trop occupé à « vendre » sa réforme, n’a rien vu.
Simultanément, la présidence de la fac, qui s’est retrouvée avec un budget démultiplié (les universités autonomes gérant désormais elles-mêmes leur masse salariale) mais sans aucune formation, a pris des décisions très imprudentes. Lorsqu’elle s’est aperçue que les dotations ne suffiraient pas à couvrir les dépenses, la chute a été dure. D’autant que Versailles-Saint-Quentin, université récente, avait très peu de fonds de réserves.
« Je vis dans la hantise qu’un appareil, utilisé pour les TP ou pour la recherche, tombe en panne », explique Dominique Barth, doyen de l’UFR (unité de formation et de recherche) de sciences. Cette année, il a reçu 14% du budget qu’il avait demandé. « Je ne dirais pas que je fais des économies, je gère la pénurie et j’assure la survie des enseignements en sacrifiant tout le reste », résume-t-il, oscillant entre colère et désespoir. Son secteur souffre particulièrement car en sciences expérimentales les cours coûtent cher - il faut du matériel, des personnes pour l’entretenir et les salles ne peuvent accueillir que 16 étudiants.
Plus de chauffage. Pour l’instant, la priorité a été donnée aux étudiants. Les cours ont eu lieu sans problème, même si les amphis n’ont pas été chauffés durant quelques jours en décembre. Depuis la rentrée, les TD sont un peu plus chargés. Alexandra Elbé, la représentante de l’Unef, assure même que des chaises manquent pour accueillir tout le monde, des enseignants ont demandé à ceux qui le pouvaient de ne plus venir et de s’inscrire en contrôle terminal. La doyenne de la faculté de droit et sciences politiques, Sandrine Clavel, tempère : « Les TD, souvent à 37 ou 38 [élèves], sont passés à 42 », ce qui reste jouable.
Les étudiants ont tout de même dû se mobiliser en mars. La bibliothèque universitaire du campus n’ayant plus d’argent pour payer ses contractuels, elle a annoncé qu’elle fermerait les samedis d’avril, en pleine période de révisions. Or, elle est la seule ouverte ce jour-là. Les étudiants ont envahi le conseil d’administration. Et la décision a été annulée.
Ce sont surtout sur les enseignants-chercheurs et les services administratifs que les efforts pèsent. Tous les départements ont reçu au maximum 25% de leur budget de fonctionnement habituel. Partout, les postes - les créations comme les renouvellements - ont été gelés. « L’impact est très variable selon les services, explique Jérôme Dauvieau, délégué Snesup et prof de sociologie. Si quatre ou cinq personnes partent à la retraite, c’est catastrophique et cela peut conduire à fermer une formation. » Il y a aussi le climat d’incertitude qui mine le personnel.
En droit et sciences politiques, Sandrine Clavel s’estime relativement épargnée. « Nous avons de la chance car nous disposons de ressources propres grâce à la formation continue, explique-t-elle. Nos formations en apprentissage nous rapportent aussi. » Malgré cela, la doyenne a vu fondre le budget alloué aux jurys de thèse, réduit à 7 000 euros pour toutes les écoles doctorales : « Comment faire venir des spécialistes reconnus pour une soutenance si on ne peut plus payer les voyages ? » Les doctorants, eux, n’ont plus aucun budget pour participer à des séminaires internationaux.
« On est en réduit à rechercher des solutions, chacun dans notre coin. Je demande à des collègues s’ils n’ont pas d’équipements à me donner gratuit », déplore Dominique Barth, en prenant entre ses mains le destresseur fabriqué par le souffleur de verre de son département, une sorte de sablier déjà tout dépoli.
« Les communautés d’établissements se rajoutent au millefeuille existant »
Bruno Andreotti, prof à Paris-VII, dénonce les regroupements de la loi Fioraso.
A lire sur le site de Libération
Bruno Andreotti, professeur de physique à l’université Paris-VII-Diderot, est au cœur de la protestation contre les regroupements d’universités, l’une des grandes réformes contenues dans la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche de juillet 2013 (dite « loi Fioraso ») qui appelle à en constituer un par région. Il est membre du groupe Jean-Pierre Vernant, créé en février pour faire pièce au groupe Marc Bloch, apparu en 2011 sous Nicolas Sarkozy et qui rassemble, comme lui, 59 universitaires anonymes. Ce groupe reproche aux « Marc Bloch » d’accaparer les postes clés et d’orchestrer les réformes, en faisant prévaloir leurs vues sans concertation et en espérant y gagner toujours plus de pouvoirs.
Pourquoi êtes-vous opposé aux communautés d’universités et d’établissements (les Comues) prévues par la loi Fioraso pour gagner en visibilité internationale ?
Nous ne sommes pas contre les coopérations scientifiques si l’on constitue des réseaux à partir des enseignants-chercheurs, des laboratoires, des départements… Nous ne sommes pas contre une harmonisation territoriale qui facilite le choix des étudiants ni contre une amélioration de leur vie. Autant d’arguments avancés pour justifier de se regrouper. Nous sommes contre la modalité que l’on veut nous imposer, la Comue. D’après nous, elle ne résout rien. Au contraire : elle ajoute une superstructure et une nouvelle couche technocratique au millefeuille déjà existant. Nous défendons, nous, une autre forme de regroupement, horizontale et beaucoup plus démocratique : les associations d’établissements où chacun se trouve à égalité.
Et vous n’avez pas le droit d’opter pour ces associations ?
En Ile-de-France, on nous impose de faire huit Comue. Les associations sont pourtant prévues par la loi, grâce à des amendements que nous avons présentés et que le Sénat a retenus. Mais on passe par-dessus le vote de la représentation nationale, ce qui est hallucinant. Nous sommes prêts à demander une enquête parlementaire sur la mise en application de cette loi.
Vous accusez le groupe Marc Bloch d’être derrière tout cela. N’exagérez-vous pas son influence ?
Pas du tout. Des membres de ce groupe sont au cœur de tout ce qui se passe. Je pense à la directrice générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, Simone Bonnafous, à Jean-Yves Mérindol, l’ex-conseiller de Hollande nommé à la tête du regroupement Sorbonne-Paris Cité [1] alors qu’il n’y a eu aucun appel d’offres, ou encore à Jean-Loup Salzmann, le président de la CPU [Conférence des présidents d’université, ndlr] qui dirige Paris-XIII-Villetaneuse. Ce groupe exerce une influence qui va bien au-delà de celui d’un think tank comme Terra Nova. Il suffit de lire les lettres de Simone Bonnafous à plusieurs universités sur les regroupements qu’elle souhaite voir se constituer. Elle se comporte comme si elle était décisionnaire.
Que recherchent ces personnes ?
Elles veulent capter le pouvoir dans ces nouvelles structures bureaucratiques. Avec les Comue, nous, universitaires, allons être dépossédés de tout droit de regard sur les formations et sur la recherche. C’est une attaque contre les libertés universitaires encore plus forte qu’en 2009 sous la droite [visant le statut des enseignants-chercheurs]. On avait alors dénoncé l’apparition d’hyperprésidents. Les responsables des Comue auront des pouvoirs sans commune mesure.
Vos opposants disent que l’association égalitaire dont vous parlez n’existe pas car il faut un établissement chef de file…
C’est faux, ils font une interprétation erronée de la loi. Des parlementaires ont déposé des questions écrites en ce sens, sans réponse.
La date limite pour déposer les statuts des communautés approche. Que pouvez-vous faire ?
Nous lançons une nouvelle pétition adressée à Benoît Hamon, notre ministre de tutelle. Situé à la gauche du PS, il devrait être à nos côtés. Nous n’exigeons pas le retrait de la loi Fioraso. Nous demandons des choses simples, tangibles : qu’il vérifie que les associations sont bien autorisées par la loi et qu’il décrète un moratoire de six mois pour laisser le temps au débat. Le monde universitaire a été tenu à l’écart jusqu’ici.
Les partisans des regroupements disent que vous êtes minoritaires et citent le vote récent à la présidence de Paris-Diderot…
La liste pour la présidence favorable à la Comue l’a emporté chez les enseignants-chercheurs. Mais comment ? Grâce aux voix des médecins, qui se sont reportées à 95% dessus. Les autres disciplines ont voté aux deux tiers pour l’association. En conséquence, alors que nous sommes une université omnisdisciplinaire, nous allons nous retrouver sous la tutelle des médecins. Ils tiennent déjà tout à Paris-Descartes et à Paris-XIII, et vont maintenant avoir tous les pouvoirs dans notre regroupement. On risque aussi de voir se ségréger des territoires. Dans la grande couronne, des étudiants n’auront pas la même offre qu’à Paris. Des forteresses vont se construire, les lettres et les sciences humaines risquent d’y perdre leur âme.
[1] La Sorbonne-Paris Cité regroupe quatre grands établissements (Inalco, Sciences-Po, EHESP et IPGP), Paris-III, Paris-Descartes, Paris-Diderot et Paris-XIII.