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La réforme universitaire épaissit le mille-feuille administratif - Collectif RESAU, Le Monde, 10 juin 2014
mardi 10 juin 2014, par
Une réforme à l’aspect vertueux induite par la dernière loi sur l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), votée le 22 juillet 2013, fédère aujourd’hui contre elle un large front qui transcende les clivages politiques. Selon l’interprétation du ministère, il s’agit de simplifier le mille-feuille hiérarchique, de créer une trentaine d’universités de stature internationale regroupant toutes les disciplines, de favoriser la coopération scientifique, et ce en laissant toute liberté d’organisation aux communautés universitaires.
Mais une réforme peut en cacher une autre. Sous couvert de simplification, le ministère promeut la création de communautés d’universités et d’établissements (Comué) qui, à l’opposé des objectifs initiaux, viennent épaissir le mille-feuille universitaire de nouvelles couches administratives dysfonctionnelles.
Ces restructurations ont un coût exorbitant, qui conduira encore à la réduction de l’offre de formation et d’encadrement des étudiants. Elles n’ont d’effet que négatif sur la visibilité des établissements dans les classements internationaux, car celle-ci n’est pas indexée sur la taille – les meilleures universités américaines ont en moyenne 20 000 étudiants, à Harvard par exemple. Les grands campus des universités d’Etat peuvent atteindre 40 000 étudiants.
En fait de coopération, ces regroupements universitaires viennent découper de manière aussi douloureuse qu’arbitraire le tissu dense des collaborations scientifiques et des formations mises en commun. L’absurdité de ce remembrement atteint des sommets en Ile-de-France, avec la création de monstres dix fois plus gros que les universités étrangères les plus réputées, portant tous des noms semblables et sans la moindre logique, ni scientifique ni de proximité géographique.
La représentation nationale avait pris pleinement conscience que le dispositif des Comue contredisait directement les objectifs qu’il était censé remplir. Le Sénat a donc introduit par amendement la possibilité de regroupements confédéraux, dans un dispositif baptisé « association ». La concentration verticale n’est plus, depuis des décennies, le modèle organisationnel privilégié, même dans les entreprises. Pourquoi serait-il imposé dans l’enseignement supérieur et la recherche ?
Recherche et innovation scientifiques ont surtout besoin de liberté et de souplesse et doivent pouvoir s’appuyer sur des réseaux à de multiples échelles.
Alternative à la rigidité d’un empilement hiérarchique de structures, l’association prévue par la loi représente une voie moderne d’organisation. Geneviève Fioraso, secrétaire d’Etat chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche, a reconnu au Sénat, le 21 juin 2013, que l’association plaçait les établissements sur un pied d’égalité ; comment expliquer qu’avec son administration elle s’oppose farouchement, depuis le vote de la loi, à ce que ce dispositif puisse devenir effectif, en tentant d’imposer, contre l’évidence juridique, la Comue comme seule alternative à la fusion ?
Concentration des pouvoirs
Ces contradictions, ce mépris de la loi et de la représentation nationale démontrent que la question n’est ni la coopération entre établissements ni l’harmonisation territoriale. Il s’agit plutôt d’une restructuration brutale de l’enseignement supérieur, opérée dans la plus grande opacité et de la manière la plus autoritaire. La création de ces mastodontes conduit à concentrer les pouvoirs aux mains d’équipes de direction resserrées, éloignées des communautés universitaires.
Ces réformes structurelles se comprennent aussi à l’aune d’une exigence d’austérité, débouchant sur des mutualisations forcées, des suppressions de formations, des réductions significatives de l’encadrement des étudiants et laissent présager des hausses ciblées des frais d’inscription.
Depuis bientôt une décennie, la communauté universitaire est soumise au feu roulant de réformes successives, affaiblie par les restrictions budgétaires et par un emploi scientifique en chute libre. Ses conditions de travail se dégradent chaque année et les universitaires peinent à s’extirper de tâches bureaucratiques pour accomplir ce qui est au coeur de leurs missions : chercher et enseigner. Seule l’autonomie véritable de l’université garantit au plus grand nombre la production, la diffusion et la critique de savoirs indépendants des pouvoirs. L’avenir de la jeunesse et de la démocratie dépend aussi de cela.
Bruno Andreotti (Paris-Diderot), Olivier Beaud (Panthéon-Assas), Michel Bernard (Sorbonne-Nouvelle), Jean-Louis Fournel (Vincennes-Saint-Denis), Nikos Kalampalikis (Lyon-II), Pascale Laborier (Paris-Ouest-Nanterre), Annliese Nef (Panthéon-Sorbonne), Christophe Pébarthe (Bordeaux-Montaigne), Marie-Albane de Suremain (Paris-Est-Créteil), Emmanuelle Tixier du Mesnil (Paris-Ouest-Nanterre), Paolo Tortonese (Sorbonne-Nouvelle), Sophie Toulouse (Paris-XIII), Pierre Encrenaz (université Pierre-et-Marie-Curie) sont universitaires et signent ce texte pour le collectif Resau.