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Emploi scientifique : 4 ans de galère en vue - Sylvestre Huet, blog {SCIENCES²}, Libération, 25 septembre 2014
vendredi 26 septembre 2014, par
Cet après-midi, Geneviève Fioraso, la secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur et à la recherche avait convoqué les journalistes rue Descartes. Mission : déminer le terrain alors que la demande d’un changement de politique gouvernementale sur l’emploi scientifique et le financement des labos monte en puissance.
A lire sur le site de Libération.
« Il y a une inquiétude qui s’exprime sur l’emploi scientifique, un malaise », reconnaît d’emblée Geneviève Fioraso. Elle peut difficilement le nier. Elle a en effet reçu hier, à 18h, une délégation de la réunion des Directeurs de laboratoires tenue hier à Cochin. Une délégation composée de Vincent Laudet,Frédéric Barras, Bruno Chaudret, Jean-Yves Toussaint et Didier Chatenay. Pour les recevoir, la secrétaire d’Etat était entourée de Jean-Paul de Gaudemar (Conseiller spécial), Anne Peyroche (Conseillère chargée à la recherche, en poste depuis le mois de mai), Christophe Strassel (Directeur de cabinet) et David Philipona (Directeur de cabinet adjoint). La délégation l’a avertie du succès de la réunion des Directeurs d’Unités, et de la coordination de cette initiative avec les autres mobilisations en cours (Sciences en marche, réunion plénière du CoNRS) et avec la CPCNU. Cette réunion a donné lieu à l’adoption du texte d’une lettre ouverte à François Hollande, qui sera soumise à la signature de l’ensemble de directeurs des laboratoires scientifiques et universitaires. Une audience sera demandée à François Hollande pour la lui remettre. Si elle est refusée, une initiative "spectaculaire" ont indiqué des participants à la réunion, sera prise.
J’entends l’expression de ce malaise.
La secrétaire d’Etat a expliqué aux journalistes que, si elle « entend l’expression de ce malaise », elle y répond par « des données objectives ». Comme si les scientifiques et universitaires avaient une approche irrationnelle de cette question qui prend la forme concrète de jeunes scientifiques mis au chômage ou s’écartant des Universités et des laboratoires. Elle nous a donc répété quelques données chiffrées sur le système de recherche français, en faisant reluire sa place mondiale (6ème en nombre de publications, 4ème sur les 10% les plus citées, ses Nobels et ses médailles Fields, les missions spatiales en cours. Bref, tout va bien, sauf, reconnaît-elle, « quatre années critiques à passer. »
Les ratios candidats/postes vont se dégrader.
Mine de rien, la secrétaire d’Etat mange ainsi le morceau. Le gouvernement auquel elle participe n’a absolument pas l’intention de desserrer l’étau que les budgets, la démographie, le recul de l’âge de la retraite, les gels de postes dans les Universités pour pallier les déficits budgétaires et les créations massives de CDD ces dernières années ont refermé sur les perspectives d’emplois scientifiques et universitaires pour les années à venir.
Cet étau se lit dans des chiffres qui ne figurent pas dans la présentation faite aux journalistes. Ce sont ceux de la chute des offres d’emplois de chercheurs, d’ingénieurs, de techniciens et d’universitaires pour 2014 et les années qui suivent. Le Cnrs va ainsi vers 300 embauches de chercheurs en 2014 contre 400 en 2010 et se dirige vers les 200. Ce matin, Claudine Kahane, co-secrétaire général du Snesup FSU, soulignait les chiffres de postes d’Enseignants-chercheurs réellement pourvus, passés de 3.019 en 2009 à 2.437 en 2013. Or, avec un stock de post-docs et de CDD en tous genres de plusieurs milliers et un flux sortant de doctorat stable, ce "goulet d’étranglement" va encore se resserrer au moins jusqu’en 2018. Les ratios candidats/postes vont donc se dégrader.
La Secrétaire d’Etat affirme que « la solution dans un budget stable n’est pas de créer des emplois supplémentaires ». Elle indique travailler avec les directions des EPST pour qu’ils orientent leurs politiques d’embauches vers le recrutement de jeunes. Un concept intéressant...
L’alternative et le Crédit d’impôt recherche
Cette convocation et la réception de la délégation des Directeurs de laboratoire indiquent la crainte du gouvernement de voir une communauté qui lui avait marqué un fort soutien en 2012 se détourner de lui. En témoigne l’argumentaire pour le moins maladroit avancé pour défendre coûte que coûte la dérive du Crédit d’impôt recherche - « sans lui, les dépenses de R&D du privé auraient chuté et les sociétés auraient délocalisés leurs laboratoires » - dont le montant est estimé par Geneviève Fioraso à 6 milliards d’euros désormais, contre 1,6 milliard en 2008. Car, derrière les arguties techniques, il est évident que le débat autour du CIR n’a qu’un rôle, celui de départager ceux qui considèrent qu’il "n’y a pas d’alternative" à la politique conduite par le gouvernement et ceux qui cherchent, justement, une alternative.
Du coup, l’idée de voir un groupe de parlementaires de gauche se réunir pour faire passer un amendement à la loi de finances rectificative et s’appuyer sur la critique du CIR pour justifier la création des emplois demandés grandit. La Secrétaire d’Etat elle-même évoque une telle piste, avec une allusion au « débat parlementaire ». La réalisation d’une telle perspective dépendra manifestement de l’importance que prendront, ou non, les mobilisations en cours. Lorsqu’on lui demande si elle ne craint pas de voir un mouvement de la dimension de celui de 2004 se lever, elle répond "je n’en sais rien, nous verrons bien quelle sera la mobilisation". Une sorte de défi est ainsi lancé aux animateurs de ces mouvements.