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Autonomie des universités : un processus volontaire de destruction des emplois - Yann Bisiou, Le sup en maintenance, 8 octobre 2014
vendredi 10 octobre 2014, par
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Nos deux ministres ont gratifié les lecteurs de déclarations assez surréalistes ces dernières semaines. La ministre déchue a d’abord expliqué au Parlement qu’il suffisait de renvoyer les présidents d’universités à l’école et de former « les équipes de gouvernance » pour supprimer les déficits avant de justifier par les aléas démographiques la baisse historique des recrutements que nous évoquions au mois de juin sur ce blog ! Quant à la ministre promue, elle affirmait à Educpro que les postes gelés avaient bien été créés… Triste spectacle.
Plutôt que de s’amuser à de telles balivernes, pourquoi nos deux duettistes ne commencent pas par expliquer, tout simplement, la vérité ? Avec la LRU, Valérie Pécresse a supprimé des postes par centaines dans les universités.
La LRU consiste à transformer les universités en « opérateurs » de l’État comme MétéoFrance, l’ADEME ou CampusFrance et à leur transférer la masse salariale et les emplois à travers les RCE. Sur le papier les universités doivent acquérir une indépendance nouvelle par rapport à l’État et recevoir une subvention pour financer les missions de service public dont elles ont la charge.
En réalité, n’en déplaise à Terra Nova qui affirme que le problème ce n’est pas « l’autonomie » mais sa mise en oeuvre avec un budget contraint, dès l’origine cette loi et son corollaire les « RCE » (responsabilités et compétences élargies), sont destinés à mettre les universités en difficulté pour supprimer des emplois publics.
Nous avons déjà montré dans une précédente chronique comment Patrick Hetzel, aujourd’hui député donneur de leçons à bon compte, et Frédéric Guin, promu au secrétariat général du ministère de l’éducation nationale par François Hollande, ont sciemment sous-estimé les crédits qui devaient être transférés aux universités. Mais le stratagème le plus redoutable a concerné les emplois.
Pour maîtriser le développement des universités devenues autonomes, la loi de finances pour 2008 prévoit de fixer un « plafond » d’emplois à chaque opérateur. L’article 64 précise : « à compter du 1er janvier 2009, le plafond des autorisations d’emplois des opérateurs de l’État est fixé chaque année par la loi de finances ». Chaque établissement se voit attribuer un double plafond. Le plafond 1 correspond aux emplois pérennes financés par l’État, le plafond 2 aux emplois financés sur ressources propres dont la création et la suppression relèvent de la politique, et des moyens, des universités. Les RCE consistent à transférer le plafond 1 aux universités rendant la définition de ce plafond stratégique.
L’identification des fonctionnaires affectés dans les universités ne posait pas de problème insurmontable ; elle est pourtant à l’origine de l’essentiel des difficultés actuelles des universités. En effet, le ministère de l’éducation pour rogner sur les emplois transférés, a décidé de ne prendre en compte que les emplois « pourvus ». Tout poste « libre » était perdu pour les universités. On raconte ainsi, dans le sud de la France, la mésaventure arrivée à un président d’université à qui le ministère de l’éducation avait retirer 1 emploi d’enseignant au motif... qu’un collègue était décédé avant le passage de l’université à l’autonomie !
La seule parade pour les universités si elles voulaient éviter de perdre des postes étaient donc de les pourvoir tous ! Alors qu’il y avait en permanence au niveau du budget de l’État un « stock » d’emplois non utilisés, la stratégie du ministère a eu pour conséquence de les mobiliser tous, rendant leur financement beaucoup plus compliqué pour l’État... et les universités devenues autonomes.
La situation des agents contractuels était encore plus complexe. Comment déterminer si l’emploi de contractuel relevait du plafond 1 ou du plafond 2 ? Pour une fois, les règles posées par le ministère du Budget étaient simples et objectives. Bercy avait défini le plafond 1 comme l’ensemble des emplois « financés en tout ou partie par des ressources publiques ». L’expression figure dans toutes les circulaires annuelles de Bercy sur la construction du plafond d’emplois.
extrait de la circulaire 2MPAP-08-1024, Ministère du Budget, 25 avr. 2008
Cette définition répond à une double préoccupation, d’abord un souci de transparence sur l’emploi public, ensuite la volonté de garantir aux personnels des opérateurs que leur emploi n’allait pas disparaître une fois l’opérateur devenu autonome.
On devait donc considérer comme des emplois relevant des engagements de l’État tous les emplois financés en tout ou partie par l’État. Cela concernait les fonctionnaires, mais aussi les contractuels que les universités étaient autorisées à recruter sur des postes pérennes lorsque leur dotation était insuffisante.
En effet, dans le modèle « SAN REMO » qui a précédé le modèle SYMPA, l’État calculait le nombre de postes manquants par rapport à une dotation théorique et des crédits étaient censés couvrir soit des heures complémentaires, pour les charges d’enseignement, soit le recrutement de contractuels, pour l’administration. Les universités avaient donc, en toute légalité, créé des postes de contractuels que Bercy exigeait de prendre en compte dans le plafond 1.
- extrait d’une notification SAN REMO avec le calcul de la compensation IATOS
extrait d’une notification SAN REMO avec le calcul de la compensation IATOS
Et bien Valérie Pécresse et son ministère ont contourné allègrement ces règles pour réduire les emplois alloués aux universités. Et ils ont fait feu de tous bois pour y parvenir ! D’abord, la définition du plafond 1 a été modifiée. Le « guide du décompte des emplois » qui sort le 22 juin 2009, remplace la notion « d’emplois financés en tout ou partie par l’État » par celle de « plafond de l’article L712-9 du code de l’éducation ». Or cet article L712-9 est beaucoup plus restrictif puisqu’il tient compte de 2 critères : un nombre maximum d’emplois et une masse salariale maximum définie par le contrat quadriennal.
- extrait du Guide de décompte des emplois de 2009, MESR
extrait du Guide de décompte des emplois de 2009, MESR
J’imagine la mine déconfite des lecteurs qui ont eu le courage de lire ce papier jusqu’à cette ligne. Qu’est-ce que cela veut dire ? Pour le comprendre, il suffit de voir la deuxième manipulation opérée par le ministère : les emplois SAN REMO.
Dans l’extrait SAN REMO publié plus haut, on voit que l’université a un potentiel IATOSS de 57,84 emplois. Si l’on s’en tient aux règles posées par Bercy, le plafond 1 transféré à cette université doit donc compter 57,84 emplois. Pas pour M. Guin, M. Hetzel et leurs services.
Le ministère ne finançait pas intégralement ces emplois, une partie restait à la charge de l’université. La compensation n’est donc « que » de 1.185.507 €. Au lieu de rentrer les 57,84 emplois dans le plafond 1, le ministère de l’éducation refait le calcul en tenant compte de la masse salariale allouée à l’université et non du nombre d’emplois autorisés.
Les services de Mme Pécresse ont estimé qu’un emploi représentait un coût moyen de 29.500 € (allez savoir pourquoi !). L’université ayant bénéficié de 1.185.507 € en divisant ce montant par 29.500 € on trouve... 40,18 emplois qui rejoignent le plafond 1. Bilan de la manipulation : 17,5 emplois en moins pour l’université en passant à l’autonomie !
Quand on sait que plus de 70 établissements ont « bénéficié » de ce calcul on imagine le nombre d’emplois supprimés : plusieurs centaines. Bien entendu, peu de présidents d’universités ont été capables de comprendre la manipulation. Et de toute façon, même lorsqu’ils l’ont perçue, cela ne changeait rien puisque le ministère refusait de modifier sa méthode de calcul. Or les conséquences pour les universités sont considérables.
Conséquence sur les personnels administratifs. L’État incite en effet les universités à titulariser les contractuels par le biais de la loi SAUVADET. Mais comme l’État a supprimé en partie les emplois de ces contractuels lors du passage aux RCE, les universités sont placées devant une alternative difficile : soit utiliser les postes existants et freiner les recrutements extérieurs ou la carrière des fonctionnaires déjà en poste, soit ne pas offrir à tous les contractuels la possibilité d’une titularisation.
Conséquence sur le déficit aussi, car, pour les postes de titulaires, le ministère n’a pas tenu compte du surcoût de masse salariale lié à la saturation des emplois. Quand on lit aujourd’hui les rapports IGAENR, cette question est à l’origine du déficit de la plupart des universités en difficulté.
Pourtant, au lieu de reconnaître les fautes commises par le ministère à l’époque de Mme Pécresse, Mme Fioraso et ses ministres de tutelles, préfèrent accuser les équipes de direction de mauvaise gestion et aligner les mensonges dans la presse ou devant l’Assemblée Nationale. Une bien curieuse méthode, mais il est vrai que, pour les universités, il y a longtemps que nous avons compris que le changement promis par le candidat François Hollande était passé de mode. Quand il s’agit de complaire aux lobbies, le ministre importe peu, l’objectif est le même.