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Saint-Denis : écoles abandonnées ? Ingrid Merckx, Politis, 6 novembre 2014
vendredi 7 novembre 2014, par
L’arnaque et le mensonge comme mode de gouvernement ça commence à se savoir !
Des parents mobilisés au sein du « ministère des Bonnets d’âne » dénoncent 18 enseignants manquants dans la ville et une discrimination territoriale. Assemblée générale ce soir à 18h30.
« Une sorte de hutte tahitienne… », résume Sybille, 36 ans, mère d’élève, en évoquant l’installation que les « Bonnets d’âne » ont montée sur ce terrain mitoyen de l’école Jules-Vallès, à Saint-Denis. Le ministère des Bonnets d’âne existe officiellement depuis dimanche 2 novembre. Mais il était en préparation, notamment sur les réseaux sociaux, depuis un bon mois.
Pourquoi les bonnets d’âne ? En réaction à un « ministère de mauvais élèves » qui ne tient pas ses engagements en matière de création de postes d’enseignants, notamment dans le 93 (Seine-Saint-Denis), et précisément à Saint-Denis.
Le jour de la rentrée, en septembre, 18 classes restaient sans professeur dans cette ville. Dont une bonne part dans des établissements de maternelle et primaire situés dans des quartiers très populaires comme les Francs-Moisins. De là à parler de discrimination territoriale, il n’y a qu’un pas.
« C’est une initiative de parents d’élèves en colère, témoigne Valérie, enseignante spécialisée auprès d’enfants handicapés à Saint-Denis et proche du mouvement des Bonnets d’âne. Ils sont une trentaine, ne revendiquent aucune étiquette ni politique ni syndicale, n’étaient même pas délégués de parents d’élèves, et tiennent à maintenir une atmosphère "bon enfant" sur les lieux, notamment du fait des enfants qui sont là parce que ce sont les leurs, ou qu’ils viennent participer à des ateliers dans ce "centre aéré aéré". »
Son institut éducatif est concerné par le manque de postes : « Cette année, nous avons accueilli un jeune qui n’avait jamais enseigné, qui travaillait l’année dernière dans une banque et se retrouve dans un établissement spécialisé. Il se dépatouille comme il peut mais ça nous pose des problèmes éthiques et de méthode : prendre une classe en charge, c’est une chose, avec la donnée handicap, c’est encore plus compliqué. »
Tous les remplaçants du département sont déjà en poste. Ce qui signifie qu’au premier congé maladie, l’enseignant absent ne sera pas remplacé. À Jules-Vallès, qui compte déjà 18 classes, une classe supplémentaire a été créée cette année dans la bibliothèque, laquelle a été supprimée. Elle consiste en un local avec des cloisons provisoires, non isolé du bruit.
Pas de centre de loisirs non plus dans cet établissement. C’est d’ailleurs une des revendications des Bonnets d’âne, qui se sont installés à dessein sur ce terrain.
« TOUT LE MONDE CRIE »
« Dans l’académie de Créteil, on est toujours les derniers servis , grince Sybille. On manque tellement d’enseignants qu’il se dit que le niveau de recrutement au concours est plus bas qu’ailleurs. Les élèves des profs absents sont tassés dans les autres classes. Ma fille me dit : tout le monde s’agite, la maîtresse crie, tout le monde crie… »
Autre problème soulevé par les Bonnets d’âne : du fait du manque de candidats au concours, l’Éducation nationale recrute des vacataires en urgence en passant par le Pôle emploi, et qui arrivent sans formation.
« Les critères de recrutement sont flous. J’entends beaucoup de parents qui défendaient l’école publique se laisser tenter par le privé. Au départ, je pensais que c’était parce qu’ils craignaient des élèves turbulents, un mauvais niveau… Mais quand leurs enfants restent cinq semaines sans enseignant, que voulez-vous qu’ils fassent ? », lance Sybille.
« On parle de vacataires incompétents. C’est une accusation à prendre avec des pincettes : sur quels critères se fonder ? En outre, former des enseignants prend deux ans. Que fait-on en attendant ?, interroge Mathieu Glaymann du Collectif des parents d’élèves de Seine-Saint-Denis. Il ne trouve pas choquant qu’on aille chercher des vacataires à Pôle emploi si l’Éducation nationale est défaillante.
DISCRIMINATION TERRITORIALE
Le problème n’est pas nouveau en Seine-Saint-Denis.
C’est d’ailleurs sur le thème de la discrimination territoriale que le Collectif des parents d’élèves avait saisi la Halde. La haute autorité leur ayant répondu que cette discrimination n’existait pas dans la loi. Mais elle existe dans les faits.
La Seine-Saint-Denis cumule toutes les difficultés. Département le plus jeune de France, ses effectifs d’élèves croissent davantage qu’ailleurs. Et les collectivités, pauvres ou souffrant des baisses de crédits de l’État, ne parviennent pas à créer autant d’écoles qu’il en faudrait. C’est l’exact contraire d’une zone prioritaire : « Pas de moyens en plus, et même des moyens en moins », observe Sabine Duran, de SUD Éducation.
La réforme des ZEP en REP +, expérimentale cette année, ne devrait pas changer grand-chose ni à la carte des établissements concernés, ni au nombre d’élèves par classe (au-dessus des seuils de ZEP), ni aux primes de pénibilité pour les enseignants : il est prévu que la prime de 90 euros en ZEP par mois soit doublée, mais en se substituant à la prime pour les enseignants des établissements Eclair. N’importe comment, elle ne suffit pas à rendre le département attractif.
85 % des enseignants du département n’y habitent pas. Les remplaçants du 93 doivent parfois faire plus de deux heures de transport pour rejoindre l’autre bout du département. Autre effet repoussoir : dans ce département, les vacataires mettraient deux mois à toucher leur salaire. Qui peut se permettre d’attendre un tel délai ?
Il y a 2 778 élèves de plus en 2014 qu’en 2013 dans le premier degré en Seine-Saint-Denis, 598 au collège, contre 1629 et 509 en Seine-et-Marne, par exemple.
En outre, le directeur départemental de l’Éducation nationale, Jean-Louis Brison, chargé d’anticiper les effectifs, est très décrié. « Il nous faudrait des chefs de commando sur ce département », insiste Mathieu Glaymann.
« UN ENSEIGNANT DEVANT CHAQUE CLASSE »
Que veulent les Bonnets d’âne ? Comme les autres parents en colère du département : « Un enseignant devant chaque classe ».
C’est pas gagné : il manque 300 enseignants dans le département. Seules les mobilisations paient, témoignage Mathieu Glaymann, qui reconnaît qu’il y a eu quelques avancées depuis le début de leur mouvement en 2011, là où les parents se sont manifestés, et quand les maires ont décroché leur téléphone pour « mettre la pression » sur le directeur départemental.
Les Bonnets d’âne, même s’ils parviennent mieux à mobiliser en centre-ville que dans les quartiers éloignés, peuvent espérer débloquer quelques postes de remplaçants. Mais cela signifie déshabiller les autres villes du département. Et donc déplacer le problème, qui est endémique. Pas possible non plus d’aller pêcher des remplaçants dans le contingent des départements mitoyens, même quand une ville comme Épinay-sur-Seine est plus proche du Val-d’Oise que de Montreuil, au sud du département.
Dans la loi sur la refondation de l’école, il n’y a pas de volonté inscrite de faire réussir tous les élèves. Un enseignant devant chaque classe, c’est une question de priorité politique.
« Le 9 janvier 2013, François Lamy, dans son tour de France de la politique de la ville, s’était engagé à ce que 30 % des 2-3 ans soient scolarisés dans le 93 d’ici à la fin du quinquennat, se souvient Mathieu Glaymann. Stéphane Troussel, président du conseil général, avait pâli, sachant cet engagement impossible à tenir puisqu’il aurait fallu pour cela créer plus d’une dizaine d’écoles. Aujourd’hui, 3 % maximum des 2-3 ans sont scolarisés alors que la scolarisation précoce est un gage de réussite, et que c’était une des promesses du candidat Hollande. » 70 % des habitants de Seine-Saint-Denis ont voté pour lui en 2012.
Le collectif des parents d’élèves du département avait remis au Sénat une série de propositions dont deux propositions de loi concernant un droit opposable à l’éducation et une exigence de transparence sur les chiffres concernant les enseignants : postes pourvus, absences, remplacements... Deux mesures restées lettre morte.
Une opération « Adopte un prof », devrait être lancée le 12 novembre. Ce soir, à 18 h 30, le ministère des Bonnets d’âne réunit une assemblée générale avec parents d’élèves, enseignants, animateurs périscolaire. Ce matin, le ministère envoyait un communiqué pour féliciter sa réussite : « 60 000 postes dans l’éducation : le gouvernement tient ses engagements ! »
Selon les calculs du Monde, le ministère de l’Éducation n’aurait créé que 3856 postes de titulaires. Le ministère, dans un communiqué du 7 novembre assure : « A l’échelle de l’académie de Créteil, en 2013, 405 nouveaux emplois d’enseignants ont été créés dans le premier degré et 430 dans le second degré. En 2014, 380 emplois d’enseignants ont été créés dans le premier degré et 233 dans le second degré. A l’échelle du seul département de Seine-Saint-Denis, la dotation en emplois d’enseignants, rien que pour le premier degré, a été très élevée : 150 en 2013 et 147 en 2014. »
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