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Les dessous de l’industrie pharmaceutique - Quentin Ravelli, Le monde diplomatique, janvier 2015
samedi 24 janvier 2015, par
De la recherche à la commercialisation :
Les scandales rythment l’information sur l’industrie pharmaceutique et focalisent l’attention sur ses excès. Suivre le parcours d’un médicament sans histoire, de sa conception à sa prescription, montre pourtant que la frontière est mince entre les dysfonctionnements et les pratiques routinières.
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J’ai compris que j’étais fliquée, qu’on savait exactement ce que je prescrivais, s’indigne une médecin installée à Paris. J’étais naïve, moi, je ne savais pas. [Un jour], une visiteuse médicale m’a dit : “Vous ne prescrivez pas beaucoup !” Je me suis demandé : “Comment peut-elle savoir cela ?” » Cette pratique de surveillance, qui choque de nombreux praticiens, est orchestrée par les services commerciaux des laboratoires. Pour augmenter ou maintenir leurs parts de marché, les grands groupes pharmaceutiques déploient des trésors d’ingéniosité. Ils n’hésitent pas, par exemple, à modifier les indications de leurs médicaments pour gagner de nouveaux clients.
Considérée par certains médecins comme « la Rolls Royce de l’antibio dans le cutané », la Pyostacine, fabriquée par Sanofi — l’un des tout premiers groupes pharmaceutiques mondiaux en chiffre d’affaires (33 milliards d’euros en 2013) —. a connu un tel destin. Longtemps dévolu à un usage dermatologique, l’antibiotique a opéré un « tournant respiratoire » : il est désormais massivement utilisé dans les cas d’infections broncho-pulmonaires et oto-rhino-laryngologiques. Cette dernière utilisation, critiquée par de nombreux médecins puis dénoncée par les pouvoirs publics, a pu conduire à une surconsommation d’antibiotiques, participant ainsi au problème plus vaste du renforcement des résistances bactériennes — un enjeu de santé publique majeur, responsable de sept cent mille décès par an dans le monde (lire l’encadré « L’autre cauchemar de Darwin »).
Pour comprendre la nature versatile de la marchandise médicale, nous avons suivi la vie de ce médicament ordinaire, depuis les laboratoires de recherche jusqu’aux visiteurs médicaux, en passant par l’usine de production du principe actif. A chaque étape, la marchandise change de nom : les biologistes parlent de la bactérie Pristinae Spiralis, les chimistes de la pristinamycine fabriquée par la bactérie, les visiteurs médicaux vantent les mérites de « la Pyo » aux praticiens, les ouvriers la surnomment affectueusement (...)