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Les classements, obsession risquée des universités - Benoît Floc’h, Le Monde, 29.01.2015
jeudi 29 janvier 2015, par
Ils sont devenus une boussole pour de nombreux étudiants, un « Routard des universités », ironisent certains. Un rapport que l’Association européenne des universités (AEU) a présenté mi-janvier montre la place majeure que les classements occupent dorénavant dans l’enseignement supérieur.
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Ces outils, nés il y a une dizaine d’années, sont souvent biaisés et peu robustes scientifiquement. « Ils ne sont pas toujours réalisés selon une procédure statistique correcte, dit Geneviève Filliatreau, directrice de l’Observatoire des sciences et techniques. Leurs concepteurs ne peuvent en effet utiliser que ce dont ils disposent. »
Établissements obnubilés
Dupés, les étudiants ? Un piège, les classements ? Les universités interrogées par l’AEU n’y voient, elles, que des avantages. « On constate une certaine naïveté dans la façon dont les établissements abordent les classements », regrette Andrée Sursock, conseiller à l’AEU.
L’enquête réalisée auprès de 171 universités dans 39 pays – six d’entre eux ont fait l’objet d’une visite, dont la France – montre que, même s’ils les critiquent, les établissements paraissent obnubilés par les palmarès, qu’ils soient nationaux ou internationaux. 86 % d’entre eux reconnaissent surveiller cela comme le lait sur le feu, et ce, au plus haut niveau. Plus de la moitié y a même affecté « une ou plusieurs personnes ».
« Les classements sont un sous-produit de la mondialisation », estime Jean-Marc Rapp. L’ancien recteur de l’université de Lausanne, ancien président du jury des « initiatives d’excellence » (IDEX) et ancien président de l’AEU, rappelle « le coup de tonnerre » qu’a constitué le classement des universités publié en 2003 par l’une d’elles, Jiao Tong, à Shanghaï. Dès lors, « ils ont fait office de réveille-matin ou de sonnette d’alarme, explique M. Rapp. Ils ont permis aux établissements ou aux pays une plus grande prise de conscience, parfois douloureuse et mal ressentie, de la dynamique de transparence à l’œuvre dans l’enseignement supérieur. »
Les universités françaises mal placées
Pour la France, Shanghaï est une claque : ses universités sont mal placées. Le pays réagit : on réforme les structures, on finance des projets d’excellence, on regroupe les établissements… Certes, « on ne fonde pas une politique sur le classement de Shanghaï », répète souvent Geneviève Fioraso, secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur. Mais c’est tout comme.
D’autres pays ont réagi de la même manière, comme l’Allemagne. « Certains gèrent leur système d’enseignement supérieur ou l’attribution des bourses en fonction des classements », note même Mme Filliatreau. La Russie et les Pays-Bas, par exemple, utilisent les classements pour sélectionner les universités dont ils accepteront les étudiants.
Les établissements ne sont pas en reste. Selon l’AEU, sept sur dix utilisent les classements pour prendre des décisions. Il peut s’agir de la politique de recherche, de l’affectation des ressources ou des procédures de recrutement et de promotion, par exemple. Persuadées, à juste titre, que les futurs étudiants et chercheurs sont influencés par les palmarès, 80 % des universités en font également un argument de marketing pour séduire les talents prometteurs.
Culture de la transparence
Tant mieux pour eux ? Oui, car les jeunes sont les premiers bénéficiaires de cette culture de transparence ou de diffusion d’informations. « C’est un aspect positif, mais les classements ne doivent pas être pris pour argent comptant », prévient Mme Filliatreau.
Car l’image des universités renvoyée par les classements n’est pas toujours fidèle à la réalité. Outre les biais statistiques, faire entrer au chausse-pied des établissements parfois très différents dans la grille d’un palmarès produit nécessairement simplifications et distorsions. « C’est comme comparer des pommes avec des poires », alerte Mme Filliatreau.
Certains sont douteux, assure M. Rapp, sans pouvoir donner beaucoup de détails : « Nous observons des mouvements inexplicables dans certains classements. On peut se demander si ce n’est pas dû à l’action de pirates. En tout cas, ces classements ne sont plus à l’abri d’interventions extérieures. »
Normalisation du secteur
Déformée, peut-être fausse, c’est cependant en fonction de l’image renvoyée par les classements que beaucoup d’étudiants font leur choix d’orientation. « Un étudiant à la recherche de la meilleure université qui se fonde sur les classements ne se pose pas la question de savoir quelle est la meilleure université pour lui », insiste Andrée Sursock. De fait, « les questions que se posent les étudiants, comme le coût du logement ou les horaires de la bibliothèque, sont absentes des palmarès », souligne M. Rapp.
Par ailleurs, mettent en garde ceux qui analysent ce phénomène, l’utilisation des classements par les universités a des conséquences sur l’offre d’enseignement elle-même. Ne serait-ce qu’en poussant à une certaine normalisation du secteur, au détriment de la diversité.
« Ça ne se voit pas encore, explique Mme Filliatreau. Mais les résultats des classements s’insinuent dans tous les aspects de la vie universitaire. Et, une fois lancé, il est très difficile de revenir en arrière. Pour certains établissements, il existe un risque de dégringolade. Quand ils commencent à baisser, un cercle vicieux menace de se mettre en place. »
Pas de fatalité
Mais, insistent tous les chercheurs, il n’y a pas de fatalité. Les établissements ont la capacité d’agir,rappelle Mme Filliatreau. Et M. Rapp donne un exemple : l’université de Lausanne a cédé son département de sciences à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Du point de vue des classements, la décision n’était pas forcément judicieuse. « Mais nous les avons ignorés, dit M. Rapp. La priorité était d’appliquer une politique. »
Quant aux étudiants, « il faut leur faire comprendre la distorsion opérée par ces outils, et comment on choisit une université », confie Mme Sursock. Un outil est d’ores et déjà à leur disposition : U-Multirank, une sorte de moteur de recherche créée en 2014 par l’Union européenne qui permet à l’étudiant d’affiner sa recherche. Mais le site, en anglais, n’est pas d’un maniement totalement limpide.