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CNRS en danger : alarmes syndicales en deux parties. 2/ le SNTRS
jeudi 19 février 2015, par
Deux épisodes pour cette seconde partie :
Le CNRS : agence de moyens pour le transfert et l’innovation, SNTRS, 18 février 2015
L’emploi au travers du contrat d’objectifs, SNTRS, 18 février 2015
Le CNRS : agence de moyens pour le transfert et l’innovation ?
Le contrat d’objectifs, pour la période 2014-2018 co-rédigé par l’État et la direction du CNRS, entérine que les choix scientifiques développés par l’organisme répondent à d’autres logiques que celles de la science. « La mise en évidence des enjeux scientifiques passe par la prise en considération des interactions permanentes entre ces trois logiques » : celle de la science (un peu), celle des impacts sur la société (pas trop), celles des demandes de la société (beaucoup et essentiellement celles des entreprises).
Le contrat est clair. Il privilégie parmi les demandes de la société, celle des entreprises et s’inscrit pleinement dans la loi dite « Fioraso » qui confère à la recherche publique des missions de transfert des résultats des laboratoires et de contribution à l’innovation des entreprises. Le gouvernement a ainsi défini la Stratégie Nationale de Recherche sur 10 grands « défis sociétaux » sur lesquels l’ensemble de la recherche publique doit s’engager et fédérer ses efforts. Les directions d’instituts, la Direction générale du CNRS, de concert avec les entreprises partenaires, ont identifié « les axes stratégiques d’innovation (ASI) domaines de recherche à haut potentiel d’innovations » pour lesquels les grands groupes ayant signé un accord-cadre avec le CNRS présentent un « intérêt affirmé ». Les accords-cadres définissent l’objectif des partenariats qui consiste à améliorer « la compétitivité et à ouvrir de nouveaux territoires de croissance » à ces grandes entreprises.
Ainsi, le CNRS se voit dénuer de sa propre stratégie scientifique. Pour la Direction du CNRS, développer la recherche fondamentale ne présente d’intérêt que pour « permettre de tirer profit ultérieurement des résultats de la recherche quel que soit l’endroit du monde où ils ont été produits ».
L’austérité budgétaire pour piloter
L’austérité budgétaire empêche toute alternative à cette stratégie. La subvention d’Etat représente 75% des ressources financières du CNRS, la très grande partie de celle-ci assure les rémunérations des personnels et les cotisations des pensions de retraite. Il reste peu de crédits récurrents pour les laboratoires et donc de marges de manœuvres pour le CNRS. Le CNRS ne soutiendra pas tout partout : il sera très présent sur les 10 sites majeurs à Idex. Il sera aussi présent sur quelques secteurs dans la dizaine d’I-sites ou Idex à spectre restreint et ne fera que contribuer à la promotion de niches dans tous les autres.
Le contrat annonce la stabilité si ce n’est la baisse des ressources et des modalités de financements pour les cinq années du contrat. Il est explicitement assumé par la direction que « la stabilité de la masse salariale ne peut que se traduire par une baisse des effectifs permanents ». Quel avenir pour le Centre National de la Recherche Scientifique ? Dans ce contexte d’austérité budgétaire, le CNRS entend faire de l’innovation un « élément essentiel » de sa politique. Il entend donc développer le partenariat avec les grands groupes industriels, créer des laboratoires public/privé, favoriser les passages des chercheurs dans le privé, aider à la création de startups, réserver des promotions pour les chercheurs actifs dans le transfert et l’innovation, former les chercheurs à l’entreprise.
Cela n’est pas sans conséquences pour une grande partie des personnels : salaires comprimés, promotions en berne, précarité, mutualisations des postes et surcharge de travail. Les contenus du travail sont définis comme dans une entreprise privée : quels coûts pour quelles rentrées d’argent. Les hiérarchies et des pratiques managériales sont renforcées au risque d’augmenter la souffrance au travail déjà très prégnante dans les laboratoires et services.
Le SNTRS est résolument pour que la France conserve un Centre National de la Recherche Scientifique dont les laboratoires travaillent, avant tout, à développer toutes les connaissances de la recherche fondamentale à la recherche appliquée utiles pour l’ensemble de la société employant des personnels à plein temps dédiés à la recherche publique protégés par un statut de fonctionnaires de l’État. Le SNTRS appelle les personnels à refuser cette vassalisation du CNRS.
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L’emploi au travers du contrat d’objectifs
Cap sur la baisse de l’emploi de titulaire et sur une re-orientation de l’emploi chercheurs et IT
Le contrat d’objectif entre l’Etat et le CNRS pour la période de 2014 à 2018 est présenté aux différentes instances du CNRS. En théorie, ce document est amendable. En pratique les modifications se feront à la marge. Nous vous proposons une analyse de ce texte à partir d’un focus sur l’emploi.
Le contrat d’objectifs ne cache rien de ses objectifs de « compression » de l’emploi.
En effet, page 6 du document, à propos de la stabilisation des ressources et des modalités de financement, on note :
« les marges de manœuvre sont étroites, d’autant que la stabilité de la masse salariale ne peut actuellement se traduire que par la baisse des effectifs permanents ».
Cette phrase à elle seule résume l’étendu des dégâts : il est affirmé ici nous allons vers une baisse des emplois PERMANENTS, sous entendu, les recrutements de précaire sur projets pourront eux se développer et même remplacer l’emploi permanent.
Plus loin, page 31 à propos de la politique de ressources humaines, le texte parle d’affronter des enjeux inédits :
« L’existence d’une masse salariale disponible inchangée pose donc à l’avenir la question du taux de remplacement des départs à la retraite et des engagements pris mobilisant des contractuels sur subvention d’Etat. La question prend une acuité particulière avec l’évolution des départs à la retraite sur dix ans. »
Ce passage rappelle le triptyque : Pas de départ à la retraite = pas de recrutement = pas de promotion. On continue avec
« Naturellement, ce raisonnement se place dans un cadre de stabilité des départs pour des motifs autres que la retraite (nomination dans les universités, d’autres EPST, détachements et disponibilités, etc.) »
Un contrat d’objectif est censé définir les « objectifs » en termes de politique scientifique mais aussi en termes d’emploi, pour pouvoir répondre à ceux-ci. Comment se projette l’Etat et les dirigeants de notre établissement sur ce thème pourtant vital pour la bonne marche de tout établissement ? Ils réaffirment que seul les départs à la retraite seront remplacés, ils parlent pudiquement « d’acuité » pour exposer la chute libre du nombre de départs à la retraite. Ils n’hésitent pas parler de « variable d’ajustement » concernant les contractuels payés sur subventions d’Etat (dont le nombre a été divisé par trois depuis 2010), c’est-à-dire les CDD recrutés pour remplacer les absences sur des postes
indispensables au bon fonctionnement des services et des laboratoires, et rappellent que ces emplois ne peuvent plus être « compressés ». Pour finir, ils espèrent, que le nombre de personnels sortant de leur plein gré de l’organisme va se maintenir ! Variable sur laquelle ils n’ont que peu de maitrise, du moins pour l’instant. Il ne s’agit donc en rien d’un objectif pour l’avenir de l’organisme mais au mieux d’un constat d’impuissance. Ce constat a le mérite d’être clair, mais n’est-il pas là pour préparer les esprits à l’acceptation d’une dégradation de la situation qui conduirait à une acceptation de « mutation » en termes d’organisation et d’objectifs scientifiques ? Comment compresser la masse salariale, si ce n’est en incitant, les salariés à « aller voir » ailleurs… Dans d’autres établissements publics, ou vers le privé comme nous allons le voir plus loin. Nous ne sommes pas encore dans la terminologie du privé avec des « dégraissages », mais bien au niveau de l’incitation, des restructurations, des accompagnements et des « sorties » potentielles en expliquant que l’herbe pourrait être plus verte ailleurs…
Les objectifs en terme d’organisation répondent à ce lourd postulat qu’une masse salariale constante au cours du temps ne peut être à effectifs constant :
Les mutualisations avec les universités et la mise en place de plateforme communes en est l’illustration la plus flagrante :
« Sans rien céder à sa vocation première, qui est de conduire des recherches fondamentales au meilleur niveau, le CNRS s’est orienté depuis janvier 2010 selon un axe stratégique déterminant : participer dans le cadre d’un partenariat équilibré avec les universités et les écoles à la structuration territoriale de la recherche… »
Mutualisation et compression de l’emploi au sein de l’organisme sous couvert entre autre de « rationalisation des procédures administratives » complètent le tableau :
« S’adapter aux nouvelles donnes de la recherche scientifique nécessite de décliner sa stratégie dans les domaines de la gestion et de l’optimisation des ressources »,
« Les mutualisations de tâches administratives inscrites dans le Plan d’action pour une organisation rénovée des fonctions support en donnent quelques exemples. »
Nos dirigeants ont bien conscience que ces réorganisations génèrent un contexte de travail particulièrement anxiogène, ils y répondent par un paragraphe dédié à ce sujet « Accompagner les agents face aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer »… tout un programme… à destination de tout le personnel de l’établissement : chercheurs, IT, CDD et même les directeurs d’unité ! Notons qu’ils se gardent bien de prendre tout engagement « mesurable » auprès de l’Etat sur ce sujet.
Le contrat d’objectifs veut orienter l’emploi chercheur
On observe à travers ce document une forte incitation des chercheurs à aller vers l’innovation à travers :
− La formation :
« Dans le cadre des « 15 mesures pour une nouvelle dynamique de transfert de la recherche publique », mises en place par la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, une formation sera organisée pour tous les nouveaux chercheurs recrutés au CNRS afin de le sensibiliser aux différentes dimensions du transfert et de l’innovation. Quatre ans plus tard, au moment de la promotion CR1 (chargé de recherche de 1ère classe), une nouvelle formation sera mise en place. Elle concernera plus particulièrement la création d’entreprise. Ces formations sont en cours d’élaboration, elles se dérouleront en partenariat avec les SATT. »
− La promotion et l’évaluation :
« dans le cadre de la prise en compte du transfert dans l’évaluation des carrières des chercheurs, une proportion des promotions de Directeurs de recherche (DR2 et DR1) sera réservée aux chercheurs dont la production scientifique indiscutable aura été accompagnée par une réelle dimension de transfert et de valorisation ».
− La mobilité :
« Ces laboratoires (public/privé) communs sont complémentaires des dispositifs destinés à favoriser une mobilité complète d’une année ou plus des chercheurs et ITA dans des laboratoires universitaires. La diversité des montages possibles permet de s’adapter aux spécificités (et à la taille) des partenaires, PME ou grands groupes » … « Dans ce contexte, les mobilités public/privé seront encouragées et mieux prises en compte dans l’évaluation par les sections du Comité national du CNRS. »
Plus globalement, le CNRS s’engage via plusieurs « objectifs mesurables » auprès de l’Etat à réussir ce tournant vers le transfert et l’innovation : « Objectif mesurable 14 : Nombre de structures communes CNRS-entreprise », « Objectif 16 : Nombres d’entreprises créées dans l’année sur la base d’un transfert de technologie ou de savoir-faire issus des laboratoires du CNRS ». La pression à la réussite de ces objectifs va naturellement diffuser dans tout le fonctionnement de l’organisme et retomber sur les chercheurs.
Dans la même logique, les chercheurs sont sommés de se transformer en chercheurs d’argent faute de budgets récurrents attribués à l’organisme. Ainsi le CNRS s’engage via plusieurs « objectifs mesurables » à décrocher moultes ANR, ERC, bourses Marie Curie et à récompenser les lauréats par des « dispositifs de reconnaissance en termes de carrière, d’intéressement personnel, de fléchage de poste, d’attribution de bourses doctorales etc. » Il est à noter que cet objectif est malheureusement déjà atteint, il s’agit plus d’une confirmation d’un état de fait.
Il est évoqué « la problématique des recrutements tardifs des chercheurs » sans la moindre perspective pour y remédier... nous sommes pourtant dans la lecture d’un contrat d’objectifs. On pourrait plutôt parler de constat d’absence d’objectifs en matière de recrutement !
En conclusion
L’orientation très forte de ce document sur les aspects transferts et innovation au détriment de la recherche fondamentale, nous amène à nous poser de sérieuses questions quant au devenir de la recherche et des missions de ses agents (chercheurs et Ingénieurs et Techniciens).
Il faut mettre en parallèle « le modèle économique » de l’IRSTEA présenté par sa direction le 27 Janvier 2015. D’après un calcul validé par la direction en vue de l’équilibre des comptes chaque chercheur/ingénieur devra rapporter 43 k€/an (hors recettes couvrant des charges de CDD, mission, équipement …). Faut-il rappeler que l’IRSTEA est un organisme de recherche public un EPST comme le CNRS avec des objectifs de Recherche publique, non un EPIC et encore moins un consultant.
Nous sommes bien entrés dans cette logique pour le contrat d’objectif du CNRS. La recherche publique doit « ramener » les budgets lui permettant de compenser la régression de la participation de l’Etat en matière de dotation publique remettant ainsi en cause une partie des missions, à savoir la recherche fondamentale faite dans un cadre de service public. L’emploi est à travers cette logique lourdement impacté, la mission des agents et leurs conditions de travail sont profondément remises en cause. Ce contrat d’objectifs n’a aucune ambition scientifique, son principal objectif, c’est d’organiser le désengagement de l’Etat envers ses agents.