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Réforme du collège : "construire des cabanes ne va pas apporter aux élèves une culture solide" - Alexandre Coste, Marianne, 24 avril 2015
samedi 25 avril 2015, par
Entretien avec Véronique Marchais, professeur de lettres qui s’inquiète de l’avenir du disciplinaire au collège.
Cette inquiétude ne nous est pas inconnue... On retrouve au niveau du secondaire les mêmes enjeux qu’à l’université (en licence et en master quant à la formation des enseignants : tout se tient).
A lire sur le site de Marianne
Pour Véronique Marchais, professeur de lettres, la réforme des collèges est loin d’être à l’image de la communication ministérielle : démagogique, idéologique, elle favoriserait la déstructuration des apprentissages et augmenterait les inégalités entre les établissements scolaires eu lieu de les gommer...
Marianne : Le projet de réforme du collège de Najat Vallaud Belkacem, adopté par le COnseil supérieur de l’Education, concerne simultanément les programmes, les pratiques d’enseignement et l’organisation pédagogique. Quel est votre avis sur cette réforme ?
Véronique Marchais : ce qui me gêne énormément, c’est qu’on recommence ce que l’on a déjà fait en 2002 avec la création des Itinéraires De Découverte par Jack Lang. C’est-à-dire, au nom des vertus supposées de l’interdisciplinarité, qui restent pourtant à démontrer, prendre sur les horaires des disciplines pour financer les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI).
Vous ne voyez pas d’un bon œil l’interdisciplinarité ?
C’est très bien, l’interdisciplinarité, mais en tant que complément des apprentissages. Et c’est quelque chose que beaucoup de professeurs pratiquent déjà, nous n’avons pas besoin qu’on nous force la main avec un cadre institutionnel comme celui-là. Je crois que je n’ai jamais vu un établissement scolaire qui n’ait pas quelques projets interdisciplinaires. Mais c’est en fonction de la volonté des professeurs, et également des opportunités qui se présentent. Cela fonctionne parce que c’est un lieu de réinvestissement des apprentissages. Là où c’est dévalué, c’est quand on imagine que ça peut être un lieu d’apprentissage des fondamentaux. Pour reprendre des exemples cités par le ministère, filmer un match de handball ou construire une cabane dans la cour de récréation, ce n’est pas ce qui va apporter aux élèves une culture solide ou leur permettre de développer une réflexion méthodique sur la langue.
Quels sont les autres autres points que vous rejetez dans cette réforme ?
Ce qui me met très en colère, c’est que la communication ministérielle est fondée sur un mensonge énorme. Depuis le début, on les entend répéter « On ne touche pas aux horaires disciplinaires. » une simple addition du nombre d’heures disciplinaires par niveau, à partir des chiffres publiés par le Ministère lui-même, vous montrera que le compte n’y est pas : Le total ferait 26 heures en Sixième, or, il n’est fait mention que de 23 heures + 3 heures d’EPI. Celles-ci sont donc bel et bien retirées aux disciplines. La communication, qui s’ingénie à faire croire le contraire, relève d’un tour de passe-passe digne des plus vils bonimenteurs.
Quelles seront matières qui se retrouveront amputées d’heures de cours ?
Toutes les disciplines vont souffrir de ces coupes, en particulier les disciplines dites fondamentales, car elles sont les seules à disposer d’assez d’heures -ce qui est déjà relatif...- pour en « donner » aux EPI. Et l’on va s’étonner ensuite de nouveaux effondrements... Le collectif « Sauver les Lettres » a fait depuis longtemps le compte des heures de cours de Français : c’est substantiel. Et l’on va continuer de creuser... Nous sommes obligés de faire des coupes franches dans les programmes. On ne peut pas enseigner les mêmes choses avec beaucoup moins d’heures. Et ce qui caractérise ces programmes, selon moi, c’est une complète déstructuration des apprentissages, notamment avec ces histoires de « cycles ».
C’est-à-dire ?
Nous allons pouvoir distribuer les éléments du programme selon notre bon vouloir. Pour le cycle 3, qui va du CM1 à la 6e, on peut traiter tel point indifféremment en CM1 ou en 6e. Même chose pour le cycle 4, on peut répartir les points du programme en 5e, en 4e ou en 3e, comme on le souhaite… C’est aux équipes pédagogiques de le décider.
Quels sont les effets pervers de ce système ?
C’est un système qui est en place dans le primaire depuis quelques années déjà, et cela a des conséquences très simples. Je vais prendre un exemple personnel. Dans l’école de mon fils, lorsqu’il était en CM1, il avait été décidé que le Moyen Âge serait traité en CM2 et puis Louis XIV, la Révolution française et le Siècle des Lumières en CM1. Ce n’était pas un ordre chronologique, c’est bizarre mais c’était comme ça. Nous avons déménagé à la fin de son année de CM1. Mon fils a intégré une autre école et eux faisaient les choses dans l’autre sens. Il n’a ainsi jamais étudié le Moyen Âge ! Donc cela crée des différences entre les écoles et ça déstructure complétement les apprentissages. Je trouve absurde d’étudier la monarchie absolue quand on n’a pas étudié le Moyen Âge auparavant, et qu’on ne peut pas comprendre en quoi Louis XIV est un roi différent de ses prédécesseurs.
Donc selon vous, ce procédé d’apprentissage, contrairement à ce que prétend Najat Vallaud-Belkacem, favorise en réalité les inégalités entre les établissements scolaires ?
Oui. Et il y a une autre chose qui favorise grandement les inégalités, et là je vais parler pour le français, c’est un retour au relativisme le plus total dans les « œuvres » étudiées au collège. On ne nous demande plus d’aborder de grands auteurs, ni d’instruire sur les différents courants littéraires : à la place, nous devons composer avec des thèmes. Depuis presque 20 ans que j’enseigne, j’en ai vu passer des réformes… Mais c’est la première fois que je vois un programme de français qui ne mentionne aucune œuvre littéraire, aucun mouvement littéraire, et aucun auteur. On ne parle pas de La Fontaine, de Molière, de Victor Hugo…
Les œuvres et les auteurs à étudier sont donc laissés au choix du professeur…
Voilà. Mais je vais vous dire entre quoi et quoi il a le choix. Nous avons des thèmes à traiter, ce qui déjà, en soi, est complétement réducteur, dont je vais vous donner quelques exemples : « Se chercher, se construire », « Vivre en société », « Agir sur le monde »… je vais pas tous vous les décliner, c’est particulièrement fastidieux. Cela conduit à « forcer » les textes, ce qui n’est pas du tout formateur du point de vue de l’approche littéraire. Impossible de découvrir toute la richesse des œuvres en procédant ainsi. Et en fait de richesse des œuvres, d’ailleurs, je vais vous prendre l’exemple des thèmes « Vivre ensemble » ou « Agir sur le monde » : ça mélange théâtre, romans, récits autobiographiques, correspondances, presse, films, fictions audiovisuelles (autrement dit séries télévisées, c’est de ça qu’on parle), épopées, bédés, comics, arts numériques… C’est d’une démagogie totale ! Alors j’espère qu’un certain nombre de collègues vont résister à cette démagogie. Mais vous imaginez bien que la résistance ne sera pas la même dans un collège de centre-ville, où les parents sont quand même attentifs aux contenus que l’on délivre aux élèves, et un collège comme le mien, ou plusieurs collègues disent déjà : « De toute façon ils ne comprennent rien, autant leur faire faire du slam et étudier Booba. »
Vous mentionnez Booba. C’est une culture que les élèves ont déjà. Ils ne vont donc rien découvrir…
C’est ce que je crains. Cette démagogie, elle tend à enfermer dans ce qui est déjà l’univers des élèves au lieu de les amener à un monde commun par une culture commune et universelle. Il y a une espèce de suspicion qui est jetée d’un seul coup sur la culture, qui est censée être un truc d’élites, générateur d’inégalités. Mais ce qui génère de l’inégalité, c’est justement de ne pas y accéder ! L’école a pour mission de faire accéder à ce monde commun, il ne s’agit pas d’y renoncer… Je trouve ça absolument scandaleux.
Cette réforme est-elle idéologique ?
On a effectivement des idéologues, ces « spécialistes en sciences de l’éducation » qui sont sortis du néant dans les années 80 – 90 avec la création des IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres). Ils avaient leurs théories, pas forcément étayées de façon très sérieuse, et se sont mis à occuper des postes clés dans l’éducation. C’est un peu toujours les mêmes que l’on invite dans les médias. Je pense qu’ils sont effectivement porteurs d’une idéologie et puis surtout, ils défendent leurs thèses à eux, selon lesquelles la lecture alphabétique n’apprendrait pas bien à lire ou que la culture serait quelque chose d’élitiste et que de toute façon, qui sommes-nous pour décréter ce qui est de la culture et ce qui ne l’est pas. Tout se vaut. Les arts de la rue, ça vaut bien Zola ou Balzac. On a aussi des conseillers à l’éducation qui ne changent pas avec les ministères. Ce qui me frappe, c’est la constance des réformes, que ce soit sous la gauche et sous la droite.
Comment expliquez-vous cette constance ?
Si on regarde bien, ces réformes arrangent tout le monde. Elle font le jeu des idéologues, ces « penseurs » du système qui promeuvent leurs thèses. Mais elles font également plaisir à la gauche comme à la droite, parce qu’elles permettent des gains financiers énormes. Plus d’interdisciplinarité, cela signifie moins d’heures disciplinaires à payer. Je peux vous envoyer un emploi du temps sur lequel j’ai rayé les heures disciplinaires qui disparaissent, c’est éloquent (voir document en fin d’interview). Enfin, vis-à-vis du grand public, c’est sympathique. Je pense que c’est l’alliance de ces facteurs. Pour les partis politiques, il y a le souci que la facture de l’éducation nationale ne soit pas trop salée, et que pour l’électorat, ça passe bien. Et là, regardez la communication ministérielle, on a quelque chose de très séduisant ! Les enfants vont s’amuser ! On s’ennuyait à l’école, là, enfin, avec les activités interdisciplinaires, ce sera un enseignement beaucoup plus sympa… C’est quelque chose qui est vraiment démagogique et les politiques espèrent glaner des voix avec ça. Avec ce type de réforme, on s’inscrit dans un temps électoral au lieu de s’atteler à ce qui est le vrai problème de l’école.
De quoi s’agit-il ?
Ce sont tous ces élèves qui n’apprennent ni à lire, ni à écrire correctement à l’école primaire. Là, il faudrait vraiment mettre le paquet… Si on voulait vraiment changer quelque chose, à la fois à l’école primaire et au collège – puisque le collège est la continuité de l’école primaire -, c’est d’abord ce sur ce point qu’il faudrait insister : travailler sur l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. Mais pas décréter qu’on apprend à lire jusqu’à 11 ou 12 ans, c’est aberrant ! Un enfant de cet âge-là qui n’a pas appris à lire, c’est très difficile pour lui. Et les instituteurs de CM ont autre chose à faire que de reprendre les bases de la lecture. Il faut que cela soit fait correctement en CP.
Le niveau de lecture chez les collégiens est-il à ce point catastrophique ?
Vous trouverez sur le site du HCE un rapport dont je vous recommande la lecture attentive des premières pages, en particulier des pages 9 et 10. Elles permettent de prendre la mesure du désastre de l’enseignement de la lecture en France. On parle souvent des 15% d’élèves qui sortent de Primaire sans maîtriser même le déchiffrage. On a l’impression qu’on a alors fait le tour de la question. Et l’on découvre ici qu’il faut y ajouter 25% d’élèves qui, s’ils déchiffrent, ont trop de lacunes en vocabulaire, en syntaxe et en culture générale pour comprendre un texte simple et être autonomes en lecture au collège. Il est facile, dans ces conditions, de pointer le collège comme « maillon faible » du système éducatif. On nous reproche de ne pas « récupérer » scolairement des élèves qui sont sortis de l’école sans savoir lire ni écrire correctement, avec seulement 4 heures et demie de Français par semaine. Ma théorie, c’est que le maillon faible du système scolaire, c’est l’école primaire. Elle ne cache la misère que grâce aux livrets de compétences qui ont remplacé les notes, mais la réalité éclate au collège dans toute sa crudité. Enfin, avec se qui se dessine, il est probable que, à défaut d’apprendre à lire aux enfants, nous parviendrons bientôt à masquer leurs difficultés au collège aussi, grâce aux EPI et à l’évaluation par compétences. Ce sera sans doute le seul apport « positif » de cette réforme.
Quel regard jetez-vous sur votre vingtaine d’années passées à enseigner ?
Ayant connu 3 grands changements de programmes, j’en tire une conclusion en forme de lapalissade : moins on fait de Français, moins les élèves maîtrisent le français. Ça vous paraîtra sans doute évident, mais il faut croire que ça ne l’est pas pour nos législateurs. Le Ministère publie sur son site des graphiques éloquents : ils ne s’interrogent pas sur le fait qu’en 2001, avec Jack Lang et les Itinéraires De Découverte, on a supprimé des heures en Français, en Maths et en Histoire-Géographie, les trois matières dont les résultats (en baisse constante) sont interrogés par ces graphiques. Et on s’apprête à refaire la même chose avec les EPI.