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La parité, un objectif constitutionnel... et qui le restera - Roseline Letteron, Blog Liberté-libertés chéries, 25 avril 2015
samedi 2 mai 2015, par
Malgré les apparences, la décision du Conseil Constitutionnel au lieu de renforcer le principe de parité en lui conférant valeur constitutionnelle, l’affaiblit en montrant qu’il ne s’agit que d’un objectif, un but atteindre.
Point de vue juridique de Roseline Letteron, Professeur de droit public à l’Université Paris-Sorbonne sur son blog de veille juridique sur les droits de l’homme et les libertés publiques.
A lire sur le blog Liberté, libertés chéries
La décision rendue sur Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par le Conseil constitutionnel le 24 avril 2015 donne quelques précisions sur le principe d’égalité entre les hommes et les femmes. On sait que la révision initiée par Nicolas Sarkozy le 23 juillet 2008 a adopté une nouvelle rédaction de l’article 1er de notre Constitution : "La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales".
C’est une des ces lois "favorisant" cet égal accès des hommes et des femmes qui fait l’objet d’une QPC initiée par la Conférence des Présidents d’Université (CPU). Celle-ci a engagé un recours pour excès de pouvoir contre le décret du 7 juillet 2014 appliquant la loi du 22 juillet 2013. C’est à l’occasion de ce recours que la QPC a été posée et renvoyée au Conseil constitutionnel par une décision du Conseil d’Etat du 13 février 2015.
La loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche modifie les règles de gouvernance des Universités. Aux anciens conseil scientifique (CS) et conseil de la vie universitaire (CEVU) a succédé un Conseil académique unique composé de deux commissions, une commission "de la recherche" et une commission "de la formation et de la vie universitaire". La loi distingue finalement quatre formations différentes du Conseil académique : la commission de la recherche, la commission de la formation et de la vie universitaire, le Conseil académique en formation plénière et ce même Conseil en formation restreinte.
Le tri entre les élus
La QPC porte précisément sur la composition de ce Conseil en formation restreinte. L’article L 712-6-1 du code de l’éducation (c. éduc.) prévoit que, lorsqu’elle délibère sur les carrières des enseignants-chercheurs qui ne sont pas professeurs, c’est-à-dire en pratique les maîtres de conférence, cette commission restreinte doit être composée selon une double parité, entre les professeurs et les maîtres de conférence d’une part, entre les hommes et les femmes d’autre part.
La loi Fioraso ne donne aucune précision sur la manière dont cette double parité doit être assurée dans cette commission restreinte, et c’est ce que lui reprochent les auteurs de la QPC. De multiples systèmes pourraient être envisagés, allant de l’organisation d’une nouvelle élection au sein même du Conseil, avec évidemment des postes "fléchés" par genre, au tirage au sort pur et simple. En l’espèce, la loi renvoie la question au pouvoir réglementaire, et le décret du 7 juillet 2014 confie au Président du Conseil académique le soin d’éliminer purement et simplement les hommes, ou les femmes, surnuméraires, ainsi d’ailleurs que les professeurs ou les maîtres de conférence surnuméraires.
Ce tri n’est pas sans conséquences. Des enseignants-chercheurs élus par leurs pairs, sur le fondement de dispositions législatives, se voient en effet privés du droit d’exercer leur mandat par une simple décision individuelle fondée sur un décret. On peut comprendre que les Présidents d’Université n’aient pas été emballés à l’idée d’appliquer une telle réglementation.
Le principe de non-discrimination
Ils pouvaient fonder la QPC sur la violation du principe de non-discrimination. En effet, il faut bien reconnaître qu’un membre élu au Conseil académique est finalement évincé de sa formation restreinte en raison de son sexe. La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel adopte cependant une position extrêmement compréhensive à l’égard des textes tendant à établir le principe de parité dans les procédures de nominations et d’élections. Dans le cas des nominations, il a admis, dès sa décision sur la loi organique du 28 juin 2010, que la désignation des membres du Conseil économique, social et environnemental soit faite sur une base d’égalité stricte entre les hommes et les femmes. A l’époque, le Conseil constitutionnel ne s’était pas donné la peine de motiver sa décision.
Plus récemment, à propos cette fois de l’élection des "binômes" aux élections départementales, la décision du 16 mai 2013 affirme qu’il est "loisible" au législateur d’adopter des dispositions "incitatives ou contraignantes" pour assurer la mis en oeuvre du principe d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Il faut donc le reconnaître : aux yeux du Conseil, la discrimination est possible si elle a pour objet une action positive en faveur de l’égalité des sexes. En revanche, et c’est précisément la brèche juridique qui rend le recours possible, le Conseil affirme qu’il appartient au législateur "d’assurer la conciliation entre ces dispositions constitutionnelles et les autres règles et principes de valeur constitutionnelle auxquels le pouvoir constituant n’a pas entendu déroger".
C’est sans doute la raison pour laquelle la CPU a préféré fonder sa QPC sur l’incompétence négative et l’atteinte au principe d’égalité devant la loi.
L’incompétence négative
L’incompétence négative se définit comme la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa propre compétence. Depuis sa décision QPC du 14 octobre 2011 Association France Nature Environnement, le Conseil admet qu’elle soit invoquée lors d’une QPC, à la condition toutefois que soit "affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit".
En l’espèce, les auteurs de la QPC reprochent au législateur de 2013 de n’avoir rien prévu pour assurer la conciliation entre l’égalité des sexes et considèrent que cette incompétence affecte plusieurs "droits ou libertés que la constitution garantit".
Le Conseil constitutionnel ne s’attarde guère sur les deux premiers : l’atteinte à l’indépendance des enseignants-chercheurs, affirmée par le Conseil en 1984 pour les professeurs et en 2010 pour les maîtres de conférence, et le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail énoncé par l’alinéa 8 du Préambule de 1946. Le premier est écarté en une phrase, qui affirme que l’indépendance des enseignants-chercheurs signifie seulement qu’ils ont le droit d’être associés aux décisions concernant leurs pairs. C’est le cas en l’espèce, même si certains sont exclus de l’instance de décision. Quant au principe de participation, il n’est pas même mentionné.
L’incompétence négative est donc rejetée, ce qui n’a d’ailleurs rien de surprenant. Dans sa décision du 13 décembre 2012, le Conseil constitutionnel avait déjà admis le renvoi au pouvoir réglementaire du choix des modalités de tirage au sort destinées à assurer le respect du principe de parité au sein du Haut Conseil des finances publiques.
Le principe d’égalité
Le moyen essentiel formulé par l’association requérante réside dans l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il énonce que la loi "doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents".
Cette fois, c’est la jurisprudence du Conseil d’Etat qui peut servir de référence, comme souvent d’ailleurs dans la jurisprudence constitutionnelle. Dans son arrêt du 10 octobre 2013, le Conseil d’Etat annule ainsi un décret prévoyant que le nombre de femmes dans les instances dirigeantes des fédérations sportives doit être exactement proportionnel au nombre de femmes licenciées éligibles. En se référant directement à l’article 6 de la Déclaration de 1789, le Conseil d’Etat affirme que "si le principe constitutionnel d’égalité ne fait pas obstacle à la recherche d’un accès équilibré des femmes et des hommes aux responsabilités, il interdit, réserve faite de dispositions constitutionnelles particulières, de faire prévaloir la considération du sexe sur celle des capacités et de l’utilité commune".
On peut regretter que le Conseil constitutionnel n’ait pas cru bon de reprendre à son compte une jurisprudence qui aurait permis de mettre en oeuvre un véritable principe d’égalité devant la loi au lieu d’aboutir à une situation juridique où l’action positive en faveur des uns, ou des unes, conduit à la discrimination des autres. Dans sa décision du 24 avril 2015, le Conseil constitutionnel se borne pourtant à affirmer que le législateur a entendu opérer une conciliation entre le principe d’égalité des sexes et celui d’égalité devant la loi, dès lors qu’il prévoit un Conseil académique "à géométrie variable" selon que les enseignants-chercheurs participent ou non à la formation restreinte.
De cette analyse, le Conseil constitutionnel déduit la conformité à la Constitution de l’article L 712-6-1 § 4 du code de l’éducation.
Certains, et ils sont nombreux, n’hésiteront pas à affirmer que cette décision constitue une grande victoire du mouvement féministe, dès lors que le Conseil constitutionnel semble admettre que l’objectif d’égal accès des femmes et des hommes à certaines fonctions permet, dans certains cas, d’écarter le principe d’égalité devant la loi. Ce n’est pas si simple, et le sort fait à la tierce intervention de quinze universitaires permet au Conseil de marquer les limites du principe de parité.
La tierce intervention et la parité
Les intervenants invoquaient l’inconstitutionnalité de l’article L 712-6-1 § 4 du code de l’éducation, pour des motifs opposés à ceux développés par la CPU. Alors que la première estimait que la loi portait une atteinte excessive au principe d’égalité devant la loi, les seconds estimaient qu’elle n’était pas allée assez loin. En effet, la parité stricte est imposée pour la formation restreinte gérant les carrières des maîtres de conférence, mais pas pour celle gérant les carrières des professeurs.
Cette tierce intervention n’avait guère de chance de prospérer. Elle pouvait être écartée sur le seul fondement du principe d’égalité, mais le Conseil constitutionnel est allé au-delà et a pris soin de marquer les limites du principes de parité, bloquant ainsi toute évolution jurisprudentielle dans ce domaine.
C’était le seul argument juridique et il a, bien entendu, été rejeté par le Conseil constitutionnel. Conformément à sa jurisprudence la plus traditionnelle, il affirme que le législateur a tout à fait le droit de traiter de manière différente des personnes dans une situation juridique différente. Or, il ne fait guère de doute que les professeurs et les maîtres de conférence n’appartiennent pas au même corps.
Surtout, les intervenants estimaient que l’ensemble des droits et libertés que garantit la Constitution doivent être appréciés à l’aune de l’"objectif d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales". De manière très sèche, le Conseil constitutionnel répond que "l’objectif de parité prévu par le second alinéa de l’article 1er de la Constitution ne constitue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit et n’est donc pas invocable à l’appui d’une QPC". La parité est donc un "objectif" auquel on peut parvenir par différents moyens, et particulièrement l’égalité devant la loi. Ce n’est pas un droit de valeur constitutionnelle dont chacun ou chacune puisse se prévaloir.
D’une certaine manière, cette intervention a donc le résultat inverse de celui escompté. Au lieu de renforcer le principe de parité en lui conférant valeur constitutionnelle, il l’affaiblit en montrant qu’il ne s’agit que d’un objectif, un but atteindre. On pouvait évidemment s’y attendre dès lors que le constituant affirme que la loi "favorise" l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions publiques. Elle ne l’"assure" pas, elle ne l’"impose" pas, et les travaux préparatoires à la révision de 2008 montrent que ce terme a été très soigneusement choisi.
Le résultat est que la loi de 2013 peut désormais être modifiée par une autre loi. Ce sera peut-être à l’occasion de l’une ou l’autre des réformes universitaires dont le seul but est d’imposer aux Universités des contraintes toujours plus nombreuses, contraintes qui n’ont pas grand-chose à voir avec un principe d’autonomie pourtant largement proclamé. Et cette fois, le Conseil constitutionnel sera lié par sa propre jurisprudence qui laisse finalement au législateur le soin de définir lui-même le contenu du principe de parité. Les recours purement idéologiques ont quelquefois des effets pervers.