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Avis de blogueurs sur la réforme des collèges et le métier de professeur
samedi 6 juin 2015, par
Loys Bonod sur la réforme du Collège, cuvée 2016 : une réforme "de gauche" ?
Laurent Herblay sur la condition d’une profession désagrégée : professeur...
Collège 2016 : une réforme "de gauche" ? A lire sur le Blog gaulliste libre de Laurent Herblay :
Professeur : une profession désagrégée. A lire sur le Blog Lutte des classes de Loys Bonod, professeur de lettres.
Professeur : une profession désagrégée.
Pour Laurent Herblay, l’animateur du blog "Gaulliste libre", les résultats d’admissibilité au Capes 2015 sont "effarants" et montrent une grave crise des vocations. Mais il l’explique aisément : les professeurs, écrit-il, sont "mal payés, mal considérés, mal respectés". Et pour couronner le tout, "ceux qui nous dirigent les ont complètement abandonné".
C’est un immense paradoxe, à une époque où le chômage est si élevé. Le Capes, et donc la carrière de professeurs, n’attire plus les jeunes, comme le montrent les résultats des admissibilités au cru 2015. Voilà qui en dit long sur la dégradation de la condition de professeur.
A la recherche des professeurs
Les chiffres de la session 2015 sont effarants : « en lettres modernes, on compte 1 455 admissibles pour 1310 postes proposés. Si l’on regarde du côté des lettres classiques, c’est encore plus dramatique, avec 114 admissibles pour 230 postes. En anglais, ce n’est guère mieux : il y a 1481 admissibles pour 1225 postes à pourvoir. (…) Au Capes externe de maths 2015, seulement 1802 candidats ont été déclarés admissibles pour 1 440 postes proposés. Si l’on reproduit en 2015 le taux de reçus parmi les admissibles de 2014, moins de 800 candidats (793) devraient être admis et 697 postes devraient rester vacants ». En clair, si le niveau de sélectivité de 2014 est maintenu, ce n’est pas moins de la moitié des postes qui pourraient ne pas être pourvus.
Pire, il ne faut pas oublier que la sélectivité est sans doute moins importante qu’avant, ce qui signifie qu’outre le fait de manquer de professeurs (ce qui rend plus difficile les remplacements), leur niveau pourrait baisser. Et ce n’est pas nouveau car, en 2011, le nombre de candidats était 80% plus bas qu’en 1997 ! Pire, selon la DARES, « 300 000 nouveaux enseignants doivent être recrutés entre 2012 et 2022 », 256 000 pour simplement remplacer les départs à la retraite, et 44 000 pour faire face à la hausse du nombre d’élèves et améliorer notre « taux d’encadrement dans le premier degré et l’enseignement supérieur parmi les plus bas des pays de l’OCDE ». Aujourd’hui, la France manque de professeurs. A quand le recours à des étrangers, comme dans la médecine ?
Mal payés, mal considérés, mal respectés
Tout ceci démontre que la condition de professeurs est loin d’être le paradis que certains imaginent, entre horaires sous-estimés, du fait du temps de présence pour toute sortes d’autres activités, de préparation ou de correction, niveau de rémunération bien faible étant donné le niveau d’étude et des conditions de travail extrêmement difficiles. Pour une jeune enseignante qui écrit sur le site du NouvelObs le fait que « les élèves sont intenables, leur niveau est accablant », d’autant plus que les jeunes professeurs récupèrent souvent les classes difficiles, dans des régions qu’ils ne connaissent pas, sans formation adéquate, privés de la dissuasion de la sanction par la circulaire Lang, le tout pour 1,1 SMIC, à niveau Bac + 5 (1600 euros bruts mensuels en début de carrière, 1900 au bout de dix ans).
Il n’est malheureusement pas étonnant que le nombre de vocations diminue car pour un même niveau d’études et de travail, il est possible de gagner bien plus, en pouvant davantage choisir son lieu de travail, et souvent, avec de meilleures conditions de travail. En outre, les études internationales montrent que la France manque cruellement de professeurs, notamment dans le primaire, quand les enfants apprennent à lire, écrire et compter, et qu’ils sont moins payés de 15 à 20% par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE. Il faut redonner l’autorité aux professeurs sur leurs classes, mais aussi mieux les rémunérer globalement, en accordant une prime supplémentaire à ceux qui enseignent dans les zones difficiles pour que cela soit une vocation reconnue et non une destination par défaut.
Ceux qui nous dirigent ont complètement abandonné les professeurs, entre règles absurdes et manque de considération financière. Que ce soit pour eux, et pour les enfants, qui finissent par en pâtir, on peut se demander s’il ne leur faudrait pas un véritable plan Marshall.
Collège 2016 : une réforme "de gauche" ?
Petite archéologie de la réforme du collège
La réforme du collège 2016 serait donc de gauche. Les protestations de la droite contre les programmes ont utilement contribué à en accréditer l’idée.
Pourtant, comme nous y invite un malicieux syndicat d’inspecteurs, le SNPI-FSU, une petite archéologie de la réforme permet d’en douter. Car c’est bien un gouvernement de droite qui a commandé en 2006 à trois inspections générales, dont celle des Finances, un « audit de modernisation » sur « la grille horaire des enseignements au collège » Il fallait alors, notamment, « alléger l’horaire hebdomadaire obligatoire de formation du collégien, permettre une organisation différente de la semaine du collégien et l’expression de l’autonomie pédagogique de l’établissement. »
La relecture attentive de ce rapport d’audit de 2006, ses constats, ses propositions ainsi que les commentaires du ministère est instructive : on y trouve, en effet... les principales orientations de la réforme imposée par l’actuelle majorité de gauche !
Le « constat » de cet audit était lapidaire : le rapport soutenait que la dépense éducative par élève en France était de plus en plus élevée pour des résultats de plus en plus médiocres (malgré une inexplicable et éclatante réussite au bac). Pourtant, comme l’indique l’OCDE, les dépenses par collégien étaient – et sont toujours – très moyennes en France. Nulle part dans ce rapport, en revanche, on ne constatait le désastre des réformes pédagogiques précédentes. Et nulle part on n’évoquait les inégalités sociales et territoriales de plus en plus creusées, la concurrence de l’enseignement privé, le mauvais climat de discipline, la taille des classes parmi les plus élevées, les rémunérations des enseignants et les taux d’encadrement parmi les plus bas de l’Union Européenne, etc.
Car, de fait, la pédagogie seule s’offrait comme « levier ». Il s’agissait donc, à partir de constats pour le moins étonnants, de mettre « en œuvre de solutions pédagogiques et organisationnelles adaptées aux besoins des élèves dans le cadre d’un maintien de l’enveloppe budgétaire actuelle. »
Dans les principales propositions, instaurer le « plafonnement » du redoublement (cet objectif devenant même un indice de la réussite du système !) mais surtout assouplir puis abroger « pour l’ensemble des années au collège les grilles horaires hebdomadaires au profit d’un référentiel qui fixerait pour chaque enseignement une base horaire par cycle […]. Cette base est inférieure à la dotation actuelle, car elle est appelée à être complétée à hauteur de 20% par des moyens non fléchés . »
Ce nouveau « référentiel horaire par cycle » et ce complément de 2006 rappellent étrangement la réforme du collège 2016 qui vient d’être imposée par décret par l’actuelle majorité, avec ses « enseignements complémentaires » curieusement retranchés aux cours. Le rapport invitait d’ores et déjà à des « expériences d’enseignement inter-disciplinaires » et ne cachait pas les vertus d’un tel « référentiel » :
« Dans ce nouveau cadre horaire, il ne sera plus possible de rendre juridiquement opposable le concept d’horaire hebdomadaire dû aux élèves. […] A l’idée que l’amélioration de l’efficacité de l’enseignement passe nécessairement par une augmentation de moyens, doit se substituer l’idée que l’on peut faire mieux en faisant différemment. […] Sur le plan budgétaire, cette réforme représente un puissant outil d’économies structurelles. »
En 2015, la Cour des comptes, l’Institut Montaigne ou Terra Nova ne disent rien d’autre. Le Medef a soutenu cette désolante réforme du collège 2016 au Conseil supérieur de l’éducation.
Chose amusante : en 2006, comme l’indiquent les réponses du directeur général de l’enseignement scolaire, le ministère était alors acquis au principe de l’« autonomie » mais ne savait comment la mettre en place. Il est vrai que l’interdisciplinarité n’était pas encore comprise comme levier de flexibilité dans la gestion des ressources humaines : il devait revenir à la gauche d’en avoir l’intuition. Mais déjà la majorité de droite comprenait ce que cette réforme avait d’explosif :
« Cette proposition, qui remet en cause le caractère hebdomadaire de l’obligation réglementaire de service des professeurs, constitue un véritable bouleversement à la fois pédagogique et structurel, dont la mise en œuvre reposerait sur une décision politique forte. »
Preuve d’une permanence délétère de la politique éducative en France, réduite à des préoccupations budgétaires dissimulées sous les oripeaux de considérations sociales et pédagogiques, ce n’est pas une majorité de droite, mais une majorité de gauche qui porte aujourd’hui les derniers coups contre l’école républicaine.