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Ces groupes privés qui impriment leurs marques dans l’enseignement supérieur - Céline Manceau, Sophie Blitman, EducPros, 3 juillet 2015

samedi 4 juillet 2015, par Mr Croche

Huit sociétés privées françaises fédèrent 70.000 étudiants dans une centaine d’établissements. Si la notoriété des écoles est assumée, les entités commerciales qui les chapeautent restent dans l’ombre. Qui sont ces groupes privés ? Qui les dirige ? Avec quelles ambitions ? EducPros vous propose tout l’été une cartographie de l’enseignement supérieur privé.

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lls font partie du paysage universitaire français depuis plusieurs générations de diplômés. L’EFAP – même si son sigle ne se développe plus – forme des attaché(e)s de presse depuis plus d’un demi-siècle. Pigier, l’école des secrétaires et hôtesses créée il y a 165 ans, s’est diversifiée dans le commerce, l’esthétique mais aussi le paramédical, et se trouve déclinée en 28 écoles dans toute la France et presque autant dans le monde. D’autres établissements, eux, sont plus récents telles l’Epita ou l’EBS.

Une discrétion de mise

Toutes ces écoles, un temps indépendantes, ont été rachetées par des entreprises privées, le plus souvent inconnues du grand public. Quel lycéen, par exemple, sait que Hetic, une des premières écoles du Web, fait partie de Studialis au même titre que le Cours Florent ?

Si ces établissements possèdent une notoriété spontanée entretenue par de nombreuses campagnes de pub et événements médiatiques, c’est loin d’être le cas des groupes d’enseignement qui les possèdent. Eductive Education Group, Eduservices, GEDH, Ionis Education Group, Media School Group, Novetude Santé, Studialis et Ynov comptent pourtant à eux huit une centaine d’écoles.

Une volonté d’expansion

Cette volonté de rester en retrait – contrairement à d’autres groupes constitués en réseau ou association, qui eux s’affichent – répond le plus souvent au modèle de développement de ces sociétés. Ces grands groupes se sont construits – et continuent à se construire – en créant ou en rachetant “des marques” (dernière acquisition en date : l’Esag-Penninghem par Studialis.

Pour se développer, ils essaiment ensuite ces marques, telles des enseignes de prêt-à-porter (infographie implantations). Pionnier en la matière, Eduservices, qui possède des écoles privées parmi les plus anciennes, à savoir Pigier et Tunon, est présent dans près de 40 villes en France et une dizaine de pays, essentiellement en Afrique.

Des entrepreneurs de l’éducation

Comme Amin Khiari, qui vient de se fixer un challenge personnel en rachetant GEDH après avoir fait ses classes au pôle Léonard-de-Vinci, tous les hommes à la tête d’un des huit groupes (on ne compte aucune femme) réfléchissent en chef d’entreprise en quête de croissance.

Dans l’enseignement supérieur, celle-ci repose sur le rachat ou la création ex nihilo d’écoles. La plupart des présidents de groupe ne se destinaient pas à une carrière dans l’enseignement supérieur, après leurs études, même si quelques-uns jouent la carte du paternalisme pédagogique, allant à la rencontre des étudiants sur les campus, donnant parfois un cours ou une conférence, présidant les cérémonies de remise de diplômes ou de prix.

Les deux patrons d’Eductive Education Group, par exemple, étaient respectivement commissaire aux comptes et ingénieur, avant de racheter des écoles, chacun de leur côté, puis de s’associer. Ils ont aujourd’hui la responsabilité, annuellement, de 7.000 étudiants (auxquels s’ajoutent environ 1.000 stagiaires en formation continue).

Si l’on cumule les effectifs dans les huit groupes, on recense quelque 70.000 étudiants en formation initiale, sachant que Ionis Education Group et Studialis sont les plus importants en volume, avec 20.000 étudiants chacun (soit autant qu’une université de taille moyenne).

Frais de scolarité et fonds d’investissement

Ces jeunes, engagés pour un minimum de deux années d’études et un maximum de cinq (six pour ceux qui passent par une année préparatoire), versent des frais de scolarité qui démarrent à 4.500 euros l’année et peuvent grimper jusqu’à 9.000 euros. C’est la source principale de revenus des groupes, complétée par la taxe d’apprentissage (en baisse drastique) et quelques subventions publiques éventuelles. Un rapide calcul du montant des droits d’inscription par le nombre d’étudiants donne une idée des recettes, auxquelles il faut ajouter la formation continue, marché sur lequel les groupes privés sont de plus en plus présents.

Autre source de financement : les fonds d’investissement. Si des entrepreneurs sont à l’origine et à la tête de ces groupes privés du sup, les trois quarts de ces SAS françaises sont aujourd’hui en partie détenues par ces fonds internationaux : les Duke Street, en Angleterre, financent Eduservices, Octant a créé Novetude, 123 Venture “accompagne” Ynov, Brégal a pris des parts dans Studialis, et Platina s’est engagé aux côtés d’Amin Khiari dans le rachat du groupe EDH.

Un développement sectoriel

Ces groupes ne manquent donc pas d’argent pour se développer avec une stratégie peu ou prou identique pour tous : être présent dans des secteurs professionnels où il y a, d’un côté, une demande de formation de la part des familles, et de l’autre, des débouchés.

“Notre objectif est de développer une offre ciblée. La logique est simple : un titre mène à un métier”, déclare Philippe Grassaud, président d’Eduservices. En chœur, les dirigeants des groupes affirment que la bonne insertion professionnelle de leurs diplômés est la meilleure garantie de la qualité de leurs multiples formations : “Les taux de réussite et d’insertion professionnelle parlent d’eux-mêmes”, assure Novétude sur son site.

Si certains groupes font preuve d’éclectisme et jouent la carte de la complémentarité, comme Eductive, d’autres en revanche misent sur une identité sectorielle, comme Novetude Santé, ce qui peut permettre de mettre en place des passerelles entre les différentes formations, et de proposer à un étudiant qui a échoué dans une filière de se réorienter dans un autre cursus, pas si éloigné, au sein du même groupe. L’idée, à terme, étant également de fédérer une communauté de professionnels dans le domaine de la santé avec, par exemple, des médecins et des infirmières qui s’associent pour créer ensemble un cabinet.

Au-delà de la santé, les autres domaines sur lesquels les groupes investissent massivement sont les arts appliqués, le commerce et, depuis quelques années, le numérique. “Notre projet a démarré il y a quatre ou cinq ans avec l’idée de rassembler des écoles ou cursus liés au digital pour des raisons pratiques”, lâche sans détour David Inquel, ancien judoka, directeur général d’Ynov. Ynov est une filiale d’Auvence, un groupe spécialisé au départ dans l’immobilier, qui s’est ensuite tourné vers les établissements pour personnes âgées avant de voir dans le numérique “un sujet d’avenir doté de possibilités de développement importantes”. Le digital apparaît ainsi comme le dénominateur commun d’écoles aussi diverses qu’Ingésup (informatique), Lim’art (design) et, dernière acquisition en date, l’Isee (management).

Un besoin de reconnaissance

La plupart des formations ne bénéficient pas d’une reconnaissance de l’Éducation nationale (exception notable, les écoles d’ingénieurs reconnues par la CTI appartenant au groupe Ionis : l’Esme, l’Epita , et plus récemment l’Ipsa. Beaucoup en revanche sont inscrites au RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles).

Cet enregistrement est crucial pour les groupes qui évoluent dans un univers extrêmement concurrentiel. Leur objectif est souvent d’inscrire tous leurs titres au RNCP dont ils maîtrisent bien les arcanes de la procédure et, si possible, au niveau le plus élevé (bac+5). L’effet de masse a pour conséquence de donner aux yeux des familles de plus en plus d’importance à ce “label” bien plus facile à décrocher que les reconnaissances du ministère.

Une communication “corporate” pour franchir les frontières

Autre effet de masse : les anciens. Leur nombre gonfle année après année : ils seraient plus de 60.000 chez Ionis Education Group, 20.000 chez GEDH. Et même s’ils sont diplômés d’établissements différents, c’est bien au sein du groupe qu’ils sont comptabilisés. Avec le temps, le poids de ces ambassadeurs permet aux groupes de sortir de l’ombre. “Nous ne communiquons pas sur Ionis, mais ce sont nos anciens qui mettent en avant le réseau”, assure Marc Sellam, le patron d’Ionis Education Group.

Studialis, de son côté, ne cache pas sa volonté de communiquer désormais au nom du groupe, alors que jusqu’à présent, il restait retranché derrière la notoriété de ses écoles. L’enjeu ? Conquérir de nouveaux territoires, notamment à l’international. Laurent Van Tran Lieu, PDG de Studialis, vise comme beaucoup de ses concurrents plus particulièrement le continent africain : “La démographie explose en Afrique francophone et les États auront du mal à suivre les besoins en formation dans le supérieur, les opportunités de développement sont donc très importantes et plus faciles à mettre en œuvre qu’en Asie.” Les groupes privés jouent ainsi le label “made in France” pour continuer à grandir.