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Les présidents d’université, les données de la science, le bien commun et le bal des faux-culs - Olivier Ertzscheid, Affordance, 4 octobre 2015
lundi 2 novembre 2015, par
Vous connaissez la CPU ? La CPU c’est la Conférence des Présidents d’Université(s). L’association, le groupement qui réunit, donc, tous les présidents de toutes les universités françaises. Et la CPU, surfant sur la double vague de la prochaine loi Lemaire sur le numérique et de la récente tribune publiée dans Le Monde sur la science comme bien commun, la CPU, disais-je, vient de publier, sur son site, une tribune intitulée : "Les données de la science : un bien commun".
Bien commun ? Vraiment ???
Une tribune forte, intéressante, qui met parfaitement les doigts présidentiels sur des enjeux et des décisions à la fois absolument urgentes et absolument déterminantes pour le maintien d’une recherche publique de qualité, pour garantir l’accès aux données et aux articles scientifiques, pour qu’Elsevier arrête de saigner à blanc les bibliothèques universitaires, etc.
Et la CPU d’en appeler aux responsables politiques pour qu’ils prennent enfin les bonnes décisions, et qu’ils promulguent des lois obligeant - notamment - l’accès libre à toute publication scientifique financée majoritairement sur fonds publics, au plus tard 6 mois (pour les sciences dures) ou 12 mois (pour les SHS) après sa publication.
Le bal des faux-culs.
Non vraiment elle est bien cette tribune de la CPU. Elle est surtout d’une coupable et pathétique hypocrisie. Oui oui. Coupable et pathétique hypocrisie.
Parce que, ami Président d’université, je te le dis mais ça ne sert à rien que je te le dise puisque tu le sais déjà parfaitement, tu n’as absolument pas besoin d’une quelconque loi cadre ou d’un énième appel aux alcôves parlementaires pour décider, oui oui, décider, dans ton université, de mettre en place au moins deux des trois points qui composent ta tribune, et ce faisant, sinon sauver le monde, du moins le rendre meilleur.
Toi président d’université, tu sais (sinon ben ... renseigne-toi ...) que ta bibliothèque universitaire voit chaque année son budget d’abonnement aux "ressources électroniques" grimper de manière totalement scandaleuse pour augmenter les marges d’Elsevier. Et que seul l’Open Access peut arrêter de saigner à blanc les finances déjà passablement dans le rouge de ton université.
Toi président d’université, tu as pourtant depuis très longtemps à ta disposition une plateforme nationale d’archivage ouvert.
Toi président d’université, tu as aussi à ta disposition (ou si ce n’est pas le cas il suffit que tu le demandes) une plateforme d’archivage ouvert rien que pour ton université (exemple pour l’université de Nantes).
Toi président d’université, tu bénéficies de l’interopérabilité de ces 2 plateformes (ce qui est déposé dans la seconde "remonte" automatiquement dans la première).
Toi président d’université, à moins de vivre dans une autre galaxie, il est parfaitement impossible que tu ignores que depuis plus de 10 ans (et encore je suis gentil), ces outils existent et que ces questions sont essentielles. Parce que toi, président d’université, on t’a vu, à d’innombrables reprises, inaugurer ou participer à d’innombrables colloques et conférences sur la question de l’Open Access.
Toi président d’université, tu as souvent été élu sur la base d’un programme dans lequel tu annonçais que tu allais travailler pour que la science soit réellement "ouverte". Et dans l’immense majorité des cas tu t’en es tenu à cette posture morale oubliant tes promesses.
Toi président d’université, tu connais ta "communauté", celle des enseignants-chercheurs de ton université. Enfin j’espère ... Alors j’espère que tu sais qu’à part quelques valeureux Jedi de l’Open Access, la plupart des enseignants-chercheurs de ton université, spontanément, ne feront rien qui aille dans le sens de l’Open Access. Parce que trop souvent hélas ils sont ignorants de l’économie de la publication scientifique, parce qu’ils n’ont pas le temps, parce qu’ils n’ont pas envie, parce qu’ils n’ont pas le courage de prendre le risque - même s’il est infime - de "s’opposer" individuellement aux contrats scandaleusement léonins que leur font signer la plupart de leurs "éditeurs" à chaque publication d’article, et surtout parce qu’il faut qu’ils publient à tout prix.
Toi président d’université, tu es donc parfaitement conscient que si tu veux vraiment favoriser l’Open Access, je parle de vraiment favoriser l’Open Access, pas de publier une énième tribune pour clamer que la pluie mouille, que la guerre tue et que l’Open Access c’est bien, toi président d’université tu sais que si tu veux vraiment favoriser l’Open Access tu dois et surtout, surtout, tu peux, puisque c’est quand même un peu toi le chef, décréter, oui oui, décréter, à l’échelle de ton université, un mandat de dépôt obligatoire pour l’ensemble de tes enseignants-chercheurs. Les obliger (en respectant bien sûr certaines conditions et certaines spécificités disciplinaires), les obliger à déposer leurs putains d’articles scientifiques déjà financés par des putains de fonds publics dans des putains d’archives ouvertes institutionnelles.
Oui pardon je suis un peu grossier mais je suis très énervé. Tu sais que tu le peux, tu sais que tu n’as pas besoin d’une énième putain de loi qui sera de toute façon édulcorée par l’interventionnisme de putains de lobbies prêts à tout tant les enjeux financiers sont colossaux et leur rente pourtant si fragile, tu sais que dans d’autres pays, il y a plus de 7 ans de cela, d’autres l’ont déjà fait sans avoir eu besoin de lois, tu sais que ça s’est très bien passé, tu sais que ça marche, tu sais que si on le fait les résultats sont là, tu sais que c’est le sens de l’Histoire.
Et toi président d’université tu fais quoi ?? Tu publies ... une tribune ? Pour demander une ... loi ?? 25 ans après la création de la première archive ouverte (ArXiv) ? 15 ans après l’initiative de Budapest pour l’accès ouvert ? 12 ans après la déclaration de Berlin pour le libre accès à la connaissance ? Déclaration que toi ou ton prédécesseur avez pourtant signée il y a déjà 12 ans ? On en est encore là ? Vraiment ? A publier des tribunes de bonnes intentions et à geindre dans le giron du législateur en rêvant qu’il nous ponde une loi pour résoudre nos problèmes alors que l’on connaît les solutions, que l’on a les outils pour les mettre en place, qu’on sait que ça marche ?
Universités et grandes écoles confondues, la France compte à la louche une petite centaine d’établissements d’enseignement supérieur. Combien d’entre eux ont mis en place un mandat de dépôt obligatoire ? Quarante ? Vingt ? Dix ? Non. Une. Une seule (à ma connaissance). L’université d’Angers. En 2013.
Ne serait-ce pas plus prosaïquement un évident manque de gonades mâles ?
Est-ce que toi, président d’université, tu ne serais pas un peu en train de réaliser le Hat-Trick parfait : rater le train de l’Histoire, nous prendre pour des dindes, et tout mettre en place pour organiser le status quo plutôt que conduire un changement dont tu as la responsabilité et pour lequel - pardon de te le rappeler - tu as quand même été un peu élu ?
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