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Le crédit impôt recherche, fournisseur de « jobs à la con » - Dorothée Barba, France Inter, 21 avril 2016
mercredi 27 avril 2016, par
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C’est un dispositif qui permet aux entreprises de se voir rembourser une partie de leurs dépenses de recherche, et à l’Etat de soutenir l’innovation. Depuis longtemps, le Crédit Impôt Recherche (CIR) est très critiqué par les chefs d’entreprises. Cette semaine, un témoignage publié sur le site de l’Obs, sous le titre "mon job à la con", donne un autre relief à ces reproches.
A en croire de nombreux patrons, le CIR serait trop complexe et engendrerait trop de redressements fiscaux. Le scénario : l’entreprise dépose un dossier de CIR, elle touche de l’argent et c’est seulement ensuite que son dossier est contrôlé. Le fisc lui demande, le cas échéant, de rembourser. On apprenait ainsi la semaine dernière que la société Netgem, fabricant français de décodeurs télé, s’est vue contester le versement du CIR pour les années 2011, 2012 et 2013. Montant du redressement : trois millions d’euros.
C’est justement pour éviter ce genre de déconvenues que de nombreux cabinets de consultants proposent leurs services aux entreprises. Ils les aident à monter leur dossier crédit impôt recherche. Ces consultants ont tout intérêt à pousser leurs clients à faire une demande de CIR, même s’ils n’entrent pas dans les critères. Ils prennent bien soin de préciser par contrat que ce ne sera pas de leur faute si, derrière, il y a un redressement (en gros "n’allez pas me réclamer quoi que ce soit si vous devez rembourser" !). Cette pratique a été dénoncée l’été dernier par le médiateur des relations inter-entreprises.
Alors si vous travaillez dans une entreprise qui fait appel à ce type de consultants, vous serez attentif à ce que raconte Antoine. Son témoignage est publié sur le site de l’Obs, dans un dossier ahurissant sur les métiers vides de sens : « mon job à la con ».
Antoine travaille pour une société de conseil. C’est lui qui rédige le dossier technique de CIR, qui n’est lu que s’il y a un contrôle. Ce qui n’arrive que dans trois cas sur dix. « Bref, dans 70% des cas, dit Antoine, mon travail ne sert à rien. En plus, les entreprises pourraient très bien faire ce dossier en interne, au moment où le fisc le demande, sans payer de consultant. Mais ma boîte, explique Antoine, a réussi un coup de marketing en disant aux entreprises : laissez faire les pros, les règles changent tout le temps. Bref, je vends du vent. Certaines demandes de CIR sont toutes pourries, explique encore ce consultant, dans ce cas il faut inventer, baratiner ».
Traduction : surtout ne pas expliquer au client qu’il ferait mieux d’abandonner sa demande de CIR car il n’entre pas dans les critères. C’est ainsi qu’Antoine se retrouve à écrire des dossiers que personne ne lit, des pages et des pages sur une nouvelle recette de ketchup, par exemple. Quand il le remet au client, ce dernier dit « ah, merci » et le pose sur un coin de sa table sans y jeter un œil.
Voilà qui est très éclairant sur les pratiques de certains cabinets de conseil. Mais pour ce qui est de sa situation personnelle, Antoine relativise : « c’est pas le bagne non plus » Il est bien payé et on lui fiche la paix. Et de conclure par une phrase empruntée à Daniel Pennac : « Beaucoup trop payé pour ce que je fais, mais pas assez pour ce que je m’emmerde. » Hommage à ce cher Benjamin Malaussène.