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Le piège des IDEX - Yann Bisiou, 24 janvier 2016
samedi 14 mai 2016, par
Le jury de la 2ème session de la 2ème vague des IDEX qui fait suite aux deux sessions de la 1ère vague et précède la 3ème session de la 2ème vague vient de rendre son verdict et le piège des IDEX se referme sur tous les acteurs.
Il se referme d’abord sur le jury, marqué idéologiquement, contestable scientifiquement et taraudé par les conflits d’intérêts à un tel degré que même la décision la plus objective ne sera jamais légitime. Rappelons tout de même qui participe à ce jury.
Il y a d’abord le président, Jean-Marc Rapp, ancien président de l’association des Universités Européennes, un lobby bruxellois. Il y a Rolf Tarrach, recteur de l’université du Luxembourg qui lui a succédé à la présidence de ce lobby et qui trouvait très spirituel de déclarer le jour de son élection « Les universités sont les institutions les plus conservatrices après les religions et les syndicats ». Rolf Tarrach qui prône ouvertement le « rapprochement des universités et du privé » au motif qu’il n’y aurait pas assez d’argent pour financer le SUP. Quelle raison objective justifie le choix de ces personnalités ? Qu’ont-ils réussi de si fantastique pour juger de la pertinence des projets des universités françaises ? La réponse est simple : rien.
L’université de Lausanne qu’a aussi présidé M. Rapp est dans les profondeurs du classement de Shanghai entre le 200ème et le 300ème rang. Quant à l’université du Luxembourg elle ne figurait ni au classement de Shanghai, ni à celui du THE ou de QS lorsque M. Tarrach en était le recteur. Alors on est allé chercher quelques cautions scientifiques anglo-saxonnes. Ce sont souvent des seconds couteaux, et leur nom importe moins que celui de l’institution qui les héberge. « Caltech », « McGill », il faut que ça brille ; c’est de la politique Fouquet’s les IDEX !
Et puis il y a les autres/la mère qui ne dit rien/ou bien n’importe quoi/Et du soir au matin/Sous sa belle gueule d’apôtre/Et dans son cadre en bois/Y’a la moustache du père/Qui est mort d’une glissade/Et qui r’garde son troupeau/Bouffer la soupe froide/Et ça fait des grands flchss/Et ça fait des grands flchss… pardon je m’égare mais « Ces Gens-là » de Brel va bien à ce jury.
Car la mission de ce jury est ingrate ; il est l’instrument du capitalisme le plus brutal et le plus cynique. L’objectif des IDEX n’est ni l’excellence scientifique, ni l’avenir de la France, non. L’objectif des IDEX est bien plus prosaïque. Il s’agit de mettre les moyens de la France au service d’intérêts privés, de certains groupes industriels et de leurs actionnaires qui ont mis le SUP et la recherche en coupe réglée depuis 20 ans pour améliorer leurs bénéfices.
Et pour s’en assurer et être certain que l’argent ira là où il doit aller, il y a dans le jury plusieurs représentants de ces intérêts industriels. M. Bamberger d’EDF, par exemple, également « parrain » en 2012 de la promotion de l’école de management de Grenoble, associée au projet IDEX. Il y a aussi Mme Martha Crawford-Heitzmann de la société L’Oréal à l’origine, avec Nestlé, de la Joint Venture Galderma à Sophia Antipolis. Les conflits d’intérêts au sein de ce jury sont tellement nombreux qu’il a fallu faire en urgence un communiqué en décembre dernier pour expliquer que les membres concernés se déporteraient tout en précisant qu’il n’y avait pas toujours « conflit d’intérêts à proprement parler »… Mais comment peut-on juger objectivement de plusieurs projets lorsqu’on a suivi de près depuis plusieurs années le développement d’un de ces sites mais pas des autres ?
Le voici donc, ce jury bancal sous le feu roulant des critiques. Illégitime aux yeux de ceux qui, comme moi, contestent la logique des IDEX, soumis à l’attention inquiète du gouvernement, critiqué par les perdants, oublié par les gagnants sitôt le communiqué publié.
Mais le piège se referme aussi sur les candidats ; les « gagnants » qui vont devoir réorienter leurs financements sur l’IDEX et construire des usines à gaz pour faire fonctionner leurs EQUIPEX, leurs LABEX et leurs IDEFI. Les « gagnants » qui devront restructurer les « Alliances », « Fondations », « pôles de compétitivité » qu’ils ont créé avant les IDEX et qui continueront à payer des hordes de consultants, d’experts et de comptables pour donner une raison d’exister aux inspecteurs de l’ANR. Ces « gagnants » qui pourront fièrement se dire « EXCELLENTS » au milieu de dizaines d’autres excellences, à l’image de ces classements qui fleurissent dans les pages des magazines du monde entier, tellement nombreux, tellement différents, que tout le monde aura sa minute d’excellence. Warhol aurait adoré.
J’ai une pensée pour ces présidents d’universités que j’ai vu s’investir sans compter ces dernières années pour le prestige de leur établissement et qui devront se justifier devant des censeurs bien moins capables qu’eux. Mais les « perdants » aussi sont pris au piège, eux qui affirmaient hier que l’IDEX c’était merveilleux, c’était l’avenir, c’était LA VIE pour mobiliser leurs chercheurs et qui doivent aujourd’hui soit expliquer à leurs équipes qu’elles ne sont pas « excellentes », soit rejeter la faute sur « les autres », vilipender le jury qu’ils adoraient, les concurrents, ceux qui n’ont pas voulu y aller et ceux qui auraient bien voulu.
Le piège des IDEX s’est refermé sur tous ces acteurs et d’autres encore, le gouvernement qui ne pourra « vendre » ce néo-concours aux épisodes incompréhensibles du commun des mortels, le Commissariat Général à l’Investissement et son président de bientôt 74 ans censé construire l’avenir de la France, la presse aussi qui relaie en boucle la communication politique sur les « millions » sans la moindre distance critique.
Les IDEX sont une version contemporaine de ce bouquin terrible d’Horace Mc Coy « on achève bien les chevaux ». Comme dans Horace Mc Coy, les IDEX exploitent la misère, la misère dans laquelle les gouvernements successifs ont plongé l’enseignement supérieur et la recherche en France et en Europe. Personne n’est dupe de ce simulacre d’excellence, de ces millions largement virtuels, de ces intérêts privés qu’il convient de satisfaire, mais la plupart font semblant, par crainte, par habitude, par peur du ridicule, ou tout simplement dans l’espoir de grappiller quelques miettes pour survivre.
Il y a pourtant de beaux projets, de belles idées et tellement de dynamisme et d’innovation dans toutes ces universités, ces écoles et ces organismes qui se sont mobilisés à l’occasion de cette course aux IDEX. J’ai lu plusieurs projets, tous ne m’ont pas séduit, mais certains m’ont fait rêver. Comme à la lecture du bouquin de Mc Coy on se dit que c’est un sacré gâchis et qu’on aurait pu faire tant de choses merveilleuses pour la France sans consultants, sans inspecteurs, sans ANR et sans IDEX, mais avec des crédits de fonctionnement, des enseignants-chercheurs et des chercheurs. C’est bien triste et bien misérable d’en être arrivé là, mais ce n’est pas la seule désillusion depuis bientôt 4 ans.