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Université : la course électorale précipite la sélection en master, par Faïza Zerouala, Médiapart, 25 octobre 2016
mercredi 26 octobre 2016, par
À en croire les acteurs impliqués dans la réforme du master, l’accord signé le 4 octobre devrait permettre de corriger une situation devenue intenable dès la rentrée 2017. Sortir de l’impasse dans laquelle étaient placées les universités, contraintes de sélectionner illégalement les étudiants entre la première et la deuxième année de master, faute de places. Ainsi ont-ils perpétué des années durant un vieil usage, hérité des pratiques de sélection entre la maîtrise et le DEA-DESS, sans base légale et au mépris des préconisations de la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat) de 2002.
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Tous ceux qui ont entériné l’accord le répètent, il était temps de mettre fin à ces pratiques. L’introduction d’une sélection – encadrée, jurent ses partisans – à l’université est actée. L’accès au master est dorénavant conditionné par l’examen du dossier du candidat et une capacité d’accueil suffisante. Par ailleurs, la proposition de loi afférente, inspirée par celle déposée par le sénateur (UDI) Jean-Léonce Dupont, doit être votée les 26 et 27 octobre. Celle-ci précise le mode d’accès au master, soumis désormais « à l’examen d’un dossier de candidature et à une épreuve spécifique ou un entretien, selon des modalités définies au sein de l’établissement ».
En contrepartie, la sélection à l’entrée du master 2 est supprimée : « L’accès en seconde année est de droit pour les étudiants ayant validé les deux semestres de première année », avec quelques exceptions. Le texte a aussi dû intégrer le droit à la poursuite d’études, l’un des acquis nés des négociations. Absent du texte du sénateur de droite, un amendement de la sénatrice Dominique Gillot (PS) adopté en commission l’inscrit dans la proposition de loi. Par ailleurs, un sous-amendement adopté en commission prévoit que le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur examine à partir de 2019 les effets de la réforme.
Sur le papier, tout semble se dérouler sans accroc et la communauté universitaire abonder dans le sens du ministère. Seulement, installer un filtre à l’entrée du master, sur le registre symbolique d’abord, ne va pas de soi. Longtemps, cette question s’est heurtée aux réticences des uns et des autres. Le moment politique et l’année préélectorale ont été propices. Pour les parties en présence, le dossier devait être bouclé avant une possible alternance et effectif dès la rentrée 2017, autant dire dans des délais contraints.
Franck Loureiro du SGEN-CFDT considère que l’État, jusqu’alors, n’avait « jamais pris ses responsabilités », paralysé par la peur de réformer l’enseignement supérieur et de mettre les étudiants et les personnels des universités dans la rue.
Certains des acteurs concernés racontent avoir aussi signé ce compromis à la suite des déclarations des sept candidats à la primaire de la droite et du centre dont certains plaident pour une sélection dès l’entrée de la licence, à l’instar de Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé ou Nathalie Kosciusko-Morizet.
En comparaison, l’accord porté par Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, et son secrétaire d’État Thierry Mandon, apparaît mesuré même s’il crée une brèche dans le principe d’une université ouverte à tous et toutes. Mais la multiplication des recours en justice par des étudiants recalés en M2, avec des universités toujours perdantes, a accéléré les choses.
Florent Verdier, avocat bordelais, s’est spécialisé dans la défense de ces cas d’étudiants refoulés en master. Depuis trois ans, raconte-t-il, il a eu entre les mains une centaine de cas. Des étudiants « au fond du trou » après avoir fait quatre ou cinq ans d’études. « Leur sélection en M2 ne dépendait que d’une seule personne et on leur disait qu’ils n’avaient pas un niveau suffisant. Alors le seul recours était une action en justice car souvent la décision était illégale, on ne peut scinder un diplôme que l’on acquiert en deux ans. »
Le 25 mai, un décret a été pris. Il autorisait certains masters 2 à sélectionner à l’entrée, dans 1 300 formations – soit 40 % de l’offre – dont il donnait la liste. Mais il ne s’agissait en aucun cas d’une solution vouée à perdurer. Par ailleurs, la condamnation d’universités pour cette sélection, jugée illégale par le Conseil d’État en février 2016 après deux saisines, avait rendu la situation intenable.
Les plus frileux ont donc opté pour le moindre mal, tout en assurant rester vigilants quant à l’application de la future loi. Sans surprise, le Cneser (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche), qui représente la communauté universitaire, a entériné le 17 octobre à une large majorité la réforme (50 voix pour, 19 voix contre, 1 « ne prend pas part au vote »). Parmi les organisations ayant voté contre, la CGT, FO, SUD et CFE-CGC. Ces dernières, au contraire de la CPU, la Cdefi, l’Unef, la Fage, le PDE, le Snesup-FSU, le Sgen-CFDT, Sup’Recherche-Unsa et le SNPTES, n’avaient pas été conviées à participer à la concertation lancée avant l’été.
Les négociateurs sont conscients du profond changement induit par cette future loi, mais expliquent qu’il fallait tourner le dos aux idéologies anti-sélection et pro-sélection pures et dures. Etre pragmatiques en somme.
Tous expliquent les limites du système actuel. Les effectifs sont difficiles à gérer, alors même que les universités peinent à boucler leurs budgets. La France consacre 2,25 % de son PIB à l’enseignement supérieur, là où l’objectif européen prévoit 3 %.
Le ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur a annoncé cet été que 850 millions d’euros supplémentaires allaient être octroyés dans le budget 2017, après quatre années de stagnation. De quoi desserrer un peu l’étau, mais ce bonus ne sera pas suffisant pour juguler les effets de la pression démographique. Depuis trois ans, il y a eu 40 000 étudiants supplémentaires, soit l’équivalent de deux grosses universités. Cela devrait empirer dans les années à venir, lorsque l’effet « baby-boom » des années 2000 va se faire sentir et accroître un peu plus le nombre d’entrants dans l’enseignement supérieur.
Éviter les erreurs d’orientation
L’idée d’introduire une forme de sélection à l’entrée du master n’est pas nouvelle. Déjà, en septembre 2015, le rapport sur la stratégie nationale de l’enseignement supérieur (StraNes), sorte de feuille de route (à lire ici dans son intégralité), préconisait de « supprimer la sélection entre le M1 et le M2 » et « mettre en place un dispositif de régulation des flux à l’entrée en M1 pour faciliter la mobilité et la poursuite d’études et atteindre 25 % de diplômés de Master dans une classe d’âge ».
Ce rapport avait été rédigé par Sophie Béjean, présidente du Cnous, et Bertrand Monthubert, à l’époque président de l’université de Toulouse III et aujourd’hui président du comité du Livre blanc de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui sera rendu public en novembre. Il défend l’intérêt d’une telle loi, qui répond selon lui à un besoin de diplômés qualifiés. « Cet accord s’inscrit dans le mouvement d’élévation du niveau de qualification. La prospective des métiers et des qualifications conduite par la DARES estime que la croissance des métiers de cadres serait presque deux fois plus forte que celle de l’ensemble des métiers d’ici à 2022 : on risque de manquer de diplômés au niveau Master dans certains secteurs à cause des transformations des métiers. Les nouveaux secteurs d’activité comme la transition énergétique ou le numérique impliquent de recruter de plus en plus de diplômés à ce niveau Master. Dans la StraNES nous avons proposé d’amener 25 % d’une classe d’âge à ce niveau, ce qui a été repris par le gouvernement. L’accord sur le Master ne correspond pas à une politique malthusienne à l’université, au contraire. »
Ce dernier argument revient, mot pour mot, dans la bouche de tous les acteurs impliqués dans la concertation. En miroir, tous expliquent qu’il n’était plus possible de se complaire dans « la démagogie ».
Gilles Roussel, le président de la commission de la formation et de l’insertion professionnelle de la CPU (Conférence des présidents d’université), partisane de la sélection, voit là une occasion d’optimiser la prise en charge des jeunes : « Nous devons dire aux étudiants “Fais ce que tu veux” mais c’est notre rôle de les accompagner, leur proposer des formations plus adaptées à leur profil pour leur éviter l’échec. Cela coûte à l’État lorsqu’un jeune se plante, et en plus il prend la place d’un autre qui aurait pu réussir. »
Hervé Christofol, du Snesup, syndicat majoritaire du supérieur, considère aussi cet accord comme une bonne chose. Il est persuadé que cela devrait « améliorer significativement » la situation bancale actuelle. Il rappelle les situations problématiques de ces étudiants « laissés sur le carreau par la sélection systématique entre le M1 et le M2 », les abandons précoces ou la mobilité forcée et sans aide financière pour certains. Ses collègues syndicalistes de l’UNSA ou du SGEN abondent dans le même sens. Ils expliquent qu’il y avait une demande « du terrain » de clarifier ces pratiques.
Frank Loureiro du SGEN-CFDT est soulagé. La réforme du master devrait mettre fin aux errances de l’orientation. Selon lui, le droit à la poursuite d’études va « leur permettre de voir aboutir leur projet professionnel ».
À l’université, d’autres plaident pour le maintien de la situation actuelle, sécurisée selon eux par le décret du 25 mai.
C’est le cas de Thomas Perroud, professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas (Paris II) et membre du collectif Qualité de la science française (QSF). Estimant qu’il existe déjà une forme de sélection, dès la première année de licence « par l’échec », il aimerait pouvoir continuer à sélectionner entre le M1 et le M2. Pour lui, le M2 est la seule année où il est possible de « travailler en profondeur car en première année de master on accueille ceux qui n’ont pas vocation à être là. ». Le collectif a publié, le 21 octobre, une tribune dans Les Échos où il explique que cet accord contribue à « une démonétisation du seul diplôme universitaire valorisé aujourd’hui par les employeurs : le master ».
Gilles Roussel, de la CPU, imagine pour sa part que cette réforme va au contraire contribuer à donner une image positive de l’université. « On va ainsi défendre la qualité des masters. Il faut que les étudiants continuent de s’inscrire à la fac et aient envie de le faire. Si on dévalorise le diplôme, ils vont emprunter des voies de contournement. Certains ne vont pas nécessairement poursuivre leurs études. D’autres vont intégrer des écoles privées coûteuses avec un diplôme non reconnu par l’État. Pour éviter cela, il faut proposer une vraie alternative. »
Bertrand Monthubert explique qu’il fallait trouver un moyen de réguler les flux car, aujourd’hui, n’importe quel étudiant titulaire d’une licence peut intégrer un master de son choix : « Mais il faut être réaliste, tous les étudiants ne peuvent pas poursuivre leur scolarité dans les mêmes masters. Il existe des phénomènes de mode qui congestionnent certaines filières, dont les débouchés professionnels sont limités. Or il faut pouvoir encadrer correctement les étudiants, leur permettre de faire des stages intéressants, ce qui n’est pas possible s’ils sont trop nombreux, et qu’ils puissent trouver un emploi. »
Certains masters, à l’intitulé parfois original, restent méconnus alors même qu’ils offrent des débouchés professionnels concrets. Bertrand Monthubert est pour la mise en place, entre la L3 et le M1, d’« une véritable orientation pour permettre aux étudiants d’élargir leurs choix de poursuite d’études ».
Dans ce concert de louanges sur les améliorations induites par cette future loi, certains font néanmoins part de leurs inquiétudes et relèvent les possibles effets pervers de cette nouveauté.
Pour l’avocat Florent Verdier, cette loi n’est qu’un « coup de communication » du gouvernement. Pire, pronostique-t-il, elle aura des conséquences négatives car « les universités ne vont pas jouer le jeu. Elles vont continuer d’accepter un maximum d’étudiants au début de la licence pour montrer que leurs formations sont attrayantes avant de les recaler en master ». Il explique que cela va automatiquement créer un système d’entonnoir à l’entrée du master puisque, d’un coup, l’accès sera barré. De quoi simplement déplacer le problème, juge-t-il.
La crainte de créer des “masters poubelles”
De son côté, Gilles Roussel, président de l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, s’interroge sur l’irruption d’un nouvel acteur : le recteur chargé de garantir le droit à la poursuite d’études (revendication portée par les organisations étudiantes), devra proposer trois alternatives à un étudiant recalé : « Comment va fonctionner cette plateforme ? Quelle visibilité pour le système, que ce soit pour les étudiants à l’entrée ou les employeurs à la sortie ? » Stéphane Leymarie, de l’UNSA, pointe de son côté « une grosse inconnue » : comment le recteur va-t-il pouvoir être informé en temps réel et de manière fiable du taux de remplissage d’un master et décréter donc qu’il n’est plus ouvert ?
Au-delà de ces points techniques, la principale inquiétude des acteurs syndicaux porte sur la possible création d’une université à double vitesse. Le risque de voir se créer des « masters poubelles », accueillant ceux dont personne ne veut, est réel. Pour Frank Loureiro, du SGEN-CFDT, cette possibilité existe mais, veut-il croire, les établissements n’auraient « rien à y gagner ». Par ailleurs SUD s’alarme du fait que rien ne garantit « que la poursuite des études corresponde aux souhaits des étudiants ». La CGT met en garde pour sa part contre un usage « opportuniste » des capacités d’accueil, transformées en filtre sélectif, et contre le « risque de grands établissements sélectifs et de petits établissements qui accueillent les autres ».
Stéphane Leymarie imagine de son côté que l’aide à la mobilité, un coup de pouce financier destiné à aider les étudiants devant poursuivre leurs études loin de chez eux, devrait aider à répartir les effectifs de manière intelligente pour éviter un effet de congestion dans certains endroits prisés. « Cela incitera les étudiants à bouger, à découvrir d’autres labos, d’autres écoles de pensée et à mettre en valeur de nouveaux masters », assure-t-il.
Tous ces arguments ont du mal à convaincre Séverine Chauvel, sociologue, maîtresse de conférences à l’université de Paris-Est-Créteil et auteure de l’ouvrage Course aux diplômes : qui sont les perdants ? (éditions Textuel). La chercheuse pointe au contraire le risque de voir se transformer ce droit à la poursuite d’études en « une orientation un peu forcée ». Ce qui pourrait créer une nouvelle hiérarchie entre les bons et les mauvais masters, crééer des parcours à double vitesse et, fatalement, un creusement entre les différentes classes sociales. Selon elle, l’accès à l’emploi sera encore plus clivé et restreint à une élite fermée. « Les diplômes ne se suffisent pas à eux-mêmes, l’insertion professionnelle dépend aussi des ressources de son détenteur. Là c’est le diplôme comme garantie collective qui est menacé car il y aura une nouvelle hiérarchie entre les diplômés basée sur l’établissement qui leur a délivré leur master. Automatiquement, les plus précaires vont perdre, ceux qui ont moins de ressources à la naissance, moins de réseau, ou qui sont plus exposés aux discriminations. »
Elle poursuit : « Les masters vont être mis en concurrence entre eux. Les plus sélectifs auront une sorte de label de qualité. Il y aura aussi deux sortes d’étudiants : ceux qui arrivent à passer le barrage de la sélection et les autres. Or, on sait bien que le master est plus protecteur contre le chômage. », analyse-t-elle. Pire, les étudiants les plus fragiles, ceux qui travaillent en parallèle de leurs études, vont être exclus de la possibilité de mobilité car il leur sera plus difficile d’abandonner leur emploi d’appoint.
Hervé Christofol, du Snesup, ne réduit pas le seul problème des universités à l’équation sélection/non-sélection. Le principal défi à son sens demeure encore et toujours financier. Toutes les réformes n’auront aucune efficacité si les moyens octroyés aux universités françaises restent insuffisants et n’accompagnent pas cette volonté de démocratiser encore plus l’accès au diplôme de master. « Pour ça, il va falloir qu’on recrute des personnels. Aujourd’hui ils sont en bout de course et voient leur charge de travail exploser. Il faut mieux répartir les étudiants dans les différents masters et, surtout, y augmenter les capacités d’accueil. L’État doit comprendre que l’investissement dans l’enseignement supérieur n’est pas une charge. Sinon on ne progressera jamais. »
Avant d’être définitivement adopté le texte devra passer à l’assemblée nationale.