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Le président de l’Agence nationale de la recherche écarté - Sandrine Cabut , Nathaniel Herzberg, Le Monde, 21 juillet 2017
dimanche 23 juillet 2017
Le président de l’institution, Michael Matlosz, a été écarté par la ministre de l’enseignement supérieur. Gouvernance, missions, financement : l’organisme vit une crise profonde.
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Nouvelle fronde contre la politique gouvernementale, au lendemain du départ du chef d’état-major ? Après les militaires, Emmanuel Macron essuierait-il la colère des chercheurs, cette fois dans une relative indifférence ? Le rapprochement est tentant. La réalité semble plus prosaïque. Contrairement au général Pierre de Villiers, le patron de l’Agence nationale de la recherche (ANR) a été remercié par la nouvelle équipe gouvernementale.
L’information a été rendue publique, mardi 18 juillet, dans un communiqué : « Michael Matlosz, président de l’ANR, remet sa démission à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal. » La décision prend effet vendredi 21 juillet. « La ministre et le président ont convenu qu’après une période de restructuration indispensable une nouvelle impulsion devait être donnée maintenant à l’action de l’agence, référence nationale du financement de recherche sur projet en France », poursuit le communiqué.
L’intérim sera assuré par Arnaud Torres, déjà directeur des grands programmes d’investissements de l’Etat à l’ANR. Et enfin cette précision : « L’agence sera recentrée sur ses missions fondamentales en privilégiant l’excellence scientifique et ses débouchés vers l’innovation. »
La ministre a pris sa décision après avoir constaté tout à la fois une désorganisation importante de l’institution, un flou sur ses missions, une succession de conflits avec les chercheurs et un manque de confiance au sein même du conseil d’administration.
A SON ARRIVÉE À L’ANR, ON PRÊTE À MICHAEL MATLOSZ L’INTENTION DE SACRIFIER LA RECHERCHE FONDAMENTALE
Selon plusieurs sources interrogées par Le Monde, le prédécesseur de Mme Vidal, Thierry Mandon, avait déjà envisagé cette issue, mais avait préféré la différer, à quelques mois de son départ. Une intention que ne confirme pas l’intéressé. « Il y avait à l’évidence un problème relationnel et d’articulation des pouvoirs scientifiques et administratifs, mais il serait injuste de réduire cela à une affaire personnelle. L’un des principaux éléments est l’austérité financière », assure l’ancien secrétaire d’Etat.
Depuis sa création en 2005, l’ANR a pour mission de sélectionner des projets dans différentes disciplines et catégories. L’objectif affiché est de promouvoir l’excellence et de permettre aux jeunes chercheurs brillants d’échapper aux lourdeurs des grands organismes. En réalité, face au manque de moyens chronique, les appels à projet deviennent vite, pour les scientifiques, une source de financement des dépenses de base.
L’arrivée de Michael Matlosz à la tête de l’institution, en septembre 2014, fait grincer des dents. On prête à l’ingénieur chimiste, diplômé de l’université américaine de Berkeley, membre de l’Académie des technologies, l’intention de vouloir sacrifier la recherche fondamentale, à large spectre, pour une recherche plus appliquée.
Une gouvernance qui passe mal
L’agence a, il est vrai, annoncé sa volonté de répondre aux « défis sociétaux ». Une ligne particulière de sélection de projets a même été réservée à cet effet, alors même que le budget d’intervention (dévolu aux recherches) vient de passer de 710 millions d’euros en 2012 à 554 millions en 2014. En 2015, le budget poursuit sa chute, à 528 millions d’euros.
Parallèlement, le taux d’acceptation des dossiers est au plus bas : 8,6 %, avec 1 043 projets financés en 2015. Face à cette situation décrite comme « intenable » par les chercheurs, le président d’alors, François Hollande, annonce un coup de pouce à la recherche. En mars 2016, il demande « une forte hausse des taux de sélection, avec un effort particulier pour la recherche fondamentale ». Le budget de l’ANR va alors remonter (il sera de 596 millions d’euros en 2016), tout comme le taux d’acceptation des dossiers.
AU PRINTEMPS 2016, APRÈS LA GROGNE DE RESPONSABLES DE L’ANR, LE SOCIOLOGUE FRANÇOIS HÉRAN AVAIT CLAQUÉ LA PORTE
Mais la gouvernance de Michael Matlosz passe mal. Le patron est accusé d’évincer les scientifiques seniors au profit de personnes moins expérimentées. Au printemps 2016, les responsables des cinq départements – biologie, physique, sciences humaines, mathématiques, environnement – s’en inquiètent auprès de Thierry Mandon, alors secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche, et demandent de « siéger dans une instance exécutive ». Ils ne sont pas entendus. Le sociologue François Héran, chef du département des sciences humaines et ancien patron de l’Institut national d’études démographiques, claque la porte.
A l’été 2016, c’est au tour du comité chargé d’évaluer les projets de mathématiques et informatique de faire trembler les murs. Les vingt membres viennent de boucler au forceps un processus lourd de réception des dossiers, de sélection de personnalités extérieures pour effectuer un premier examen, puis d’une double lecture par les membres du comité. Mais au moment d’opérer leur classement, ils découvrent des contraintes imprévues. Ils ne peuvent ni choisir le nombre de projets acceptés ni l’enveloppe attribuée à chaque projet. Dénonçant « l’opacité du processus », ils refusent de transmettre leurs choix et de démissionnent en bloc.
En mai, le département biologie-santé, poids lourd de l’agence avec 40 % des activités, prend le relais. Le budget global a beau avoir remonté, avec 643 millions d’euros annoncés, les taux d’acceptation restent « ridicules », estime Bernard Hoflack, président du comité de biologie cellulaire et du développement : vingt-deux dossiers retenus sur 170 candidats, soit 12,9 % dans sa commission. Lui et les trente membres regrettent également un processus qui place la commission « en porte-à-faux avec la communauté ». Ils font part de leurs griefs. « Nous voulions rendre le processus plus efficace », précise le biologiste. Arrivé en fin de mandat, il est remercié.
« Clarifier le rôle des acteurs »
Comme l’est la responsable du département biologie-santé, Catherine Dargemont. Elle et dix collaborateurs ont écrit au conseil d’administration pour déplorer « la faible prise en compte de la compétence des cadres du département biologie-santé dans l’organisation interne de l’ANR ». La chercheuse est limogée. Ni Michael Matlosz ni l’ANR n’ont souhaité s’exprimer.
Face à une telle situation, « il est plus sain de repartir sur des bases nouvelles », indique t-on sobrement dans l’entourage de Frédérique Vidal. Changer d’abord le casting. Mais la ministre entend aller plus loin. Auditionnée au Sénat, le 11 juillet, elle a assuré vouloir « clarifier le rôle des acteurs nationaux de la recherche, l’ANR se consacrant en majorité aux financements sur projet, les grands organismes se concentrant sur l’animation des programmes ».
Une évidence, pourrait-on dire. Cette séparation est inscrite dans le paysage français de la recherche. Mais le Syndicat national des chercheurs scientifiques ne cesse de dénoncer la part grandissante de l’ANR. Dans leur collimateur, notamment, les neuf « défis sociétaux », catégorie dans laquelle les projets sont choisis selon des priorités thématiques transversales. Non seulement cela empiète sur le terrain des organismes (CNRS, INSERM…), mais « cela conduit à tordre un projet de maths pour le faire entrer dans la case énergie propre ou sécurité alimentaire, précise-t-on dans l’entourage de la ministre. C’est absurde. A la fin, on prend les mêmes projets, mais tout le monde a perdu son temps. »
Pour assurer les chercheurs de sa bonne volonté, Mme Vidal s’y est engagée : « Les crédits de l’ANR devront être augmentés. » En 2017, ce devait être le cas, avec un budget prévu de 643 millions d’euros. L’effort allait se poursuivre… Las ! Un nouveau coup de rabot de 160 millions d’euros a été annoncé. Et Emmanuel Macron a indiqué, mercredi 19 juillet, qu’« aucun autre budget que celui des armées ne sera augmenté en 2018 ». Mauvaises nouvelles.