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Accès à l’université : des bancs du lycée aux bancs du tribunal - Michaël Hajdenberg, Médiapart, 24 août 2017
jeudi 24 août 2017, par
Des milliers d’étudiants n’ont toujours pas de place attribuée pour 2017. Certains ont choisi d’abandonner leurs études ou de se tourner vers le privé. D’autres se sont résignés à suivre une formation qui ne les intéresse pas. Dans leur bon droit, ils pourraient saisir les tribunaux en masse.
APB est le nom d’une nouvelle série qui débarque en France à la rentrée. Selon la critique, sceptique, il s’agit de l’histoire d’un milliardaire qui, non satisfait des services de la police, décide d’investir sa fortune pour faire profiter le commissariat du coin de technologies de pointe.
Mais APB (admission post-bac) est le nom d’un autre feuilleton, dont la 7e saison, estivale, ressemble furieusement à la précédente : quelques milliers de jeunes n’ont pas pu s’inscrire à l’université, faute de place. Aucun milliardaire n’a prévu de se porter à leur secours, et on doute que tout cela finisse bien. Ou alors, devant les tribunaux.
Car pour plusieurs milliers d’étudiants (ou plutôt, de potentiels étudiants), il s’agira du dernier recours. Au début de leurs vacances, ils étaient environ 65 000 bacheliers à ne pas avoir d’affectation. Aujourd’hui, le ministère communique sur le fait qu’ils ne seraient plus que 6 000.
Cette comptabilité reste mystérieuse, mais le ministère n’a pas donné suite à nos sollicitations. Sur les réseaux sociaux, tous les jours, des étudiants se plaignent du trou noir dans lequel ils sont plongés.
Rapide rappel des épisodes précédents : en France, selon l’article L. 612-3 du code de l’éducation, « tout candidat est libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix ». Et depuis l’arrêté du 3 mars 2011, tout candidat à une formation universitaire doit s’inscrire sur la plateforme APB, formuler des vœux de pré-inscription par ordre de préférence et attendre les résultats délivrés par la machine.
Le problème apparaît lorsque le nombre de candidatures excède les capacités d’accueil d’un établissement. Dans ce cas, en théorie, une « sélection » est envisageable, mais seulement en fonction du domicile et de la situation de famille du candidat. Il n’est nullement prévu qu’un tirage au sort puisse être effectué.
L’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, dans un rapport rendu public en février 2016, a d’ailleurs elle-même mis en cause le principe du tirage au sort et les fondements d’APB.
L’an passé, quelques dizaines d’étudiants, laissés sur le carreau, ont donc saisi le tribunal administratif. Et une immense majorité d’entre eux ont obtenu gain de cause. Le gouvernement se devait donc d’apporter une réponse, qui est survenue sous la forme d’une circulaire, le 27 avril 2017, pour tenter de donner un fondement au tirage au sort. « Mais cette circulaire a été passée en catimini, sans que le CNESER [Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche – ndlr], qui y était opposé, ne soit consulté », explique Me Jean Merlet-Bonnan, qui a défendu une dizaine d’étudiants l’an passé devant les tribunaux. Il y a de fortes chances pour que ce texte, attaqué tant sur le fond que sur la forme devant le Conseil d’État, soit annulé dans les prochains mois : une circulaire ne peut contrevenir à la loi.
Le souci premier du gouvernement était cependant ailleurs. Il s’agissait de faire fondre le chiffre de 65 000, pour arriver à des statistiques plus présentables, comparables à celles de l’an passé. En communiquant sur le chiffre de 6 000, et en dépit de nombreux articles de la presse locale qui rapportent ici ou là la situation de brillants bacheliers privés d’affectation, l’opération d’enfumage semble réussie.
Dans le détail, pourtant, l’insatisfaction est majeure. Sur les 65 000, environ 11 000 ont disparu des radars. Cela signifie soit qu’ils ont renoncé à leurs études. Soit qu’ils se sont tournés vers des formations privées, coûteuses et souvent peu valorisables. Dans les deux cas, il s’agit d’un échec lourd pour le service public.
Les autres ? Lors de la procédure complémentaire ouverte cet été, certains ont peut-être profité du fait que des places se sont finalement libérées dans les universités qu’ils ont choisies, mais le ministère ne dit pas combien de jeunes sont concernés. Et il est surtout probable qu’une immense majorité d’entre eux aient accepté une formation, soit qu’ils n’avaient pas envisagé de suivre car elle ne leur faisait pas envie, soit dans un endroit en France qu’ils n’avaient nullement envisagé de rejoindre.
Certains espèrent retomber plus tard sur leurs pieds, mais le manque de motivation pourrait participer d’un effet boule de neige. S’ils redoublent faute de motivation, « cela ne fera qu’accroître l’engorgement du système », comme l’explique Jimmy Losfeld, le président de la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), pour qui « la situation actuelle est un scandale ».
Alors que la Fage a déjà été sollicitée cet été par des centaines d’étudiants en carafe, Jimmy Losfeld précise qu’« APB n’est qu’un symptôme. Le problème, c’est le manque de places en licence et le taux d’échec qu’on y observe, parce que les lycéens sont mal orientés, de façon aléatoire. Il faut donc une réforme globale : libérer des places d’accueil par un investissement massif de l’État et par une dématérialisation des enseignements, pour faire face à la hausse des effectifs. On comptera 3 millions d’étudiants en 2025, contre 2,6 millions aujourd’hui ».
La Fage soupçonne le ministère de minimiser le nombre de tirages au sort et souligne les inégalités actuelles : « Les trois quarts des 6 000 jeunes en attente d’une affectation sont titulaires d’un bac professionnel ou technologique. Ce sont les premières victimes. Ils ne trouvent plus de place dans les BTS ou les IUT qui leur étaient originellement destinés et qui sont pris d’assaut par des lycéens issus du bac général. »
Alors que la Fage a déjà été sollicitée cet été par des centaines d’étudiants en carafe, Jimmy Losfeld précise qu’« APB n’est qu’un symptôme. Le problème, c’est le manque de places en licence et le taux d’échec qu’on y observe, parce que les lycéens sont mal orientés, de façon aléatoire. Il faut donc une réforme globale : libérer des places d’accueil par un investissement massif de l’État et par une dématérialisation des enseignements, pour faire face à la hausse des effectifs. On comptera 3 millions d’étudiants en 2025, contre 2,6 millions aujourd’hui ».
La Fage soupçonne le ministère de minimiser le nombre de tirages au sort et souligne les inégalités actuelles : « Les trois quarts des 6 000 jeunes en attente d’une affectation sont titulaires d’un bac professionnel ou technologique. Ce sont les premières victimes. Ils ne trouvent plus de place dans les BTS ou les IUT qui leur étaient originellement destinés et qui sont pris d’assaut par des lycéens issus du bac général. »
Pour l’instant, les organisations étudiantes contactent les rectorats pour tenter de trouver des solutions au cas par cas, lancent des recours administratifs. Et se méfient des recours judiciaires : « Ce sont des procédures lourdes juridiquement et financièrement, les avocats se gavent. Prendre 1 500 euros à un étudiant, c’est dégueulasse. C’est peut-être légal, mais pas moral », estime Jimmy Losfeld.
1 500 euros pour un recours en référé devant le tribunal, c’est en effet le tarif affiché en toute transparence sur son site par Me Jean Merlet-Bonnan, avocat de l’association Droits des lycéens. « C’est ridicule : on ne reproche pas à un médecin de profiter d’une épidémie de grippe. Ceux qui profitent du système, ce sont les formations privées, dont les effectifs explosent, et qui sont autrement plus coûteuses. » L’avocat rappelle en outre que des assurances peuvent payer une partie des frais, qu’il existe une aide juridictionnelle pour les plus démunis, sans compter que les tribunaux demandent parfois aux universités attaquées de rembourser les frais de justice engagés par les étudiants.
Quoi qu’il en soit, ces procédures en référé (en urgence) ne pourront pas être lancées avant la fin du mois de septembre, à la fermeture du système APB. Et peu d’étudiants s’y lanceront : « Peu y pensent, beaucoup s’imaginent que cela prendra du temps et tout est fait dans le système pour les dissuader de le faire. » Me Jean Merlet-Bonnan ajoute qu’il encourage toujours les étudiants à s’inscrire quelque part, s’ils ont la possibilité de le faire, quitte à saisir parallèlement la justice pour obtenir une scolarité dans la licence de leur choix.
Son confrère – également bordelais – Florent Verdier, qui s’est fait connaître en défendant les étudiants recalés des masters, conseille lui aussi des bacheliers depuis 2015. Très sûr de son fait, il affirme que « matériellement, il y a de la place pour tout le monde, hormis certaines licences parisiennes, voire à Toulouse ou Montpellier. Mais comme on ne peut pas dire qu’il y a un tirage au sort dans seulement trois endroits, on fait ça partout, pour tout le monde. Mais j’ai fait inscrire une centaine d’étudiants depuis que je fais ces démarches, et cela n’a jamais posé de problèmes alors que des présidents d’université m’avaient garanti que si on les obligeait à intégrer tel ou tel étudiant, le système exploserait et qu’ils fermeraient la licence… ».
Au vu du nombre de jeunes concernés, l’idéal serait peut-être une action de groupe d’étudiants floués. Mais la loi, très limitative, ne permet pas pour l’heure une telle démarche.
Pour lire le texte sur le site de Médiapart