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Enseigner à l’université, ça s’apprend - Séverin Graveleau, Le Monde, 19 septembre 2017

mercredi 20 septembre 2017, par Laurence

A partir de la rentrée 2018, les nouveaux maîtres de conférences devront obligatoirement être formés à la pédagogie. Une formation bienvenue face à l’arrivée massive d’étudiants aux profils divers.

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« Etre enseignant est un métier qui s’apprend  », aimait à répéter l’ancien ministre de l’éducation nationale Vincent Peillon, en 2013, afin de défendre le retour d’une formation initiale des professeurs du primaire et du secondaire, réduite à la portion congrue par la majorité précédente. « Les enseignants-chercheurs sont aussi des enseignants », aurait-il pu ajouter en guise de lapalissade. Pendant longtemps, la formation à la pédagogie des universitaires n’est, en effet, pas allée de soi, laissant les chercheurs apprendre sur le tard – et sur le tas – l’art de captiver l’attention d’un amphi, le charisme inné de certains marquant parfois pour longtemps la mémoire des étudiants.

Tout cela devrait changer à la rentrée 2018. C’est ce que laisse espérer un décret adopté le 9 mai, instituant pour les nouveaux maîtres de conférences une formation obligatoire de trente-deux heures « visant l’approfondissement des compétences pédagogiques nécessaires à l’exercice du métier  » (article 13). Sa mise en œuvre doit être précisée dans un arrêté à paraître dans les prochaines semaines.

Si le texte ne concerne pas les doctorants, docteurs et autres attachés temporaires d’enseignement et de recherche (ATER) ni les maîtres de conférences déjà en exercice, « la dynamique est lancée », se réjouit Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du syndicat enseignant SGEN-CFDT. Selon lui, « ce texte est fondamental  » car, jusqu’à aujourd’hui, la formation des nouveaux enseignants-chercheurs pendant leur année de « stage » (qui précède leur titularisation) était laissée à la discrétion des universités. Et reposait sur la motivation de jeunes enseignants parfois « noyés sous la masse de travail  » dans les premières années : travaux de recherche, demandes de financement, préparation de cours, etc. Des chercheurs dont le recrutement, comme l’évolution de leur carrière future, repose encore largement sur des critères liés à leur production scientifique. Or, « ce n’est pas parce qu’on a fait une thèse dans une discipline qui nous passionne et qu’on a décroché un doctorat qu’on est un bon pédagogue », souligne Franck Loureiro.

« Dynamique motivationnelle »

A partir de 2018, les nouveaux maîtres de conférences verront donc un peu de leur temps libéré pour suivre cette formation, même si le fait d’y participer ne conditionnera pas leur titularisation. Les jeunes sont-ils vraiment plus sensibles que leurs aînés aux questions de pédagogie ? « Les enseignants-chercheurs ont de tout temps cherché à faire leur enseignement le mieux possible  », rappelle Joëlle Demougeot-Lebel, chercheuse en sciences de l’éducation à l’Institut de recherche sur l’éducation (Iredu) et présidente de la section française de l’Association internationale de pédagogie universitaire (APU).

Mais grâce à la recherche, reconnaît-elle, « la conception de ce qui constitue un “bon cours” a évolué ». La clarté du propos, la valeur scientifique du cours, ou son caractère « à jour » par rapport aux dernières avancées scientifiques ne sont plus considérés comme suffisants. La recherche en pédagogie universitaire, qui a émergé en France au début des années 2000, a montré l’importance pour les étudiants d’être actifs (et pas uniquement attentifs…), de manifester ce que la chercheuse appelle une « dynamique motivationnelle » (« pourquoi j’apprends cela  »).

La demande est donc là. « Un vrai changement de mentalité s’est opéré chez les enseignants », affirme Jacques Ginestié, président du réseau des Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). « L’arrivée massive d’étudiants dans l’enseignement supérieur  » – près de 40 000 étudiants supplémentaires attendus pour la rentrée 2017 –, la « diversification de leur profil, de leur niveau  » et de leur capacité d’attention, obligent les enseignants à s’adapter. Dans ce cadre, dit ce spécialiste, « la révolution numérique offre de nouveaux outils pédagogiques » à même de leur faciliter la tâche. Elle bouleverse aussi le rapport entre professeurs et étudiants en permettant à ces derniers d’accéder directement aux connaissances, aux données, incitant au dialogue. L’image d’Epinal du mandarin universitaire seul détenteur du savoir a changé : l’enseignant d’aujourd’hui doit aussi être capable « d’apprendre à apprendre  ». Et tout cela se travaille.

Vote en amphi

Pour répondre à ces évolutions, les universités françaises n’ont pas attendu le décret du 9 mai pour mettre en place des services d’appui à la pédagogie – depuis près de quinze ans pour les plus précoces. La nouvelle obligation de formation devrait généraliser la pratique sur tout le territoire en s’appuyant sur nombre de services ayant déjà développé une expertise en la matière. En novembre 2015, 66 % des établissements indiquaient à l’Institut français de l’éducation (IFE) avoir mis en place des mesures d’incitation pour accompagner pédagogiquement les enseignants-chercheurs, de manière volontaire la plupart du temps.

C’est le cas à l’université de Nantes où existe depuis trois ans un service pédagogique. «  Le découpage traditionnel “cours magistral - travaux pratiques - travaux dirigés” est moins pertinent que par le passé, commente Anne-Céline Grolleau, conseillère pédagogique, notre rôle est d’aider les enseignants-chercheurs à mixer les techniques d’animation. » Elle illustre : « On sait par exemple aujourd’hui faire faire du travail en groupe à des amphis de 500 ou 800 étudiants, les mettre en activité pour rythmer un cours magistral, etc. Encore faut-il connaître ces techniques. » Les conseillers sont aussi là pour répondre aux questions des enseignants : « Quels sont mes objectifs d’apprentissage ? Comment j’organise mon cours ? Comment je l’évalue ?  », détaille sa collègue Sylvie Gastineau.

La formation passe enfin par la maîtrise de nouvelles technologies. Des « boîtiers de vote » ont fait leur entrée dans certains amphis il y a quelques années, qui permettent par exemple aux étudiants de répondre en direct à des questions simples de l’enseignant, et en retour d’évaluer leur compréhension des notions abordées pour adapter la suite du cours.

Le ministère a prévu de laisser une importante marge de manœuvre aux universités dans la mise en place des maquettes de formation, laissant aux réseaux de conseillers pédagogiques et aux services les plus avancés sur la question la possibilité de partager les bonnes pratiques. « Cette formation, qui est bienvenue, ne doit pas être réduite à l’usage d’une “ingénierie” pédagogique ou de simples outils donnés aux enseignants de manière hors-sol, prévient Muriel Coret, coresponsable de la formation des enseignants au syndicat SNE-Sup FSU. Cette formation, qui ne devra pas être faite à distance mais en présentiel, nécessite une connaissance de la discipline de l’enseignant-chercheur par le formateur.  » Autant de critères qui coûtent de l’argent, dans un contexte de difficultés financières importantes pour les universités.